Immortaliser la nuit pour que la fête ne meure jamais
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Auteur·ice : Matéo Vigné
24/06/2022

Immortaliser la nuit pour que la fête ne meure jamais

| Photo : Antoine Grenez

Dans la vie, il y a des événements marquants que l’on voudrait garder à jamais gravés dans notre mémoire comme le gateau de son 18ème anniversaire, une retournée acrobatique en finale de coupe locale de football face à l’équipe rivale, la première fois qu’on a été déçu·es par la vraie taille de la Statue de la Liberté ou encore le dernier bisou que l’on fait à son/sa partenaire avant de partir pour une longue période à l’étranger, ce qui est synonyme de longue distance et, malheureusement, de fin proche.

Cependant, il y a un endroit où les souvenirs se font, se mêlent, se ressemblent et divergent d’une perspective à une autre, c’est dans le monde de la nuit. Malgré une faible exposition à la lumière et des circonstances tout aussi institutionnelles que sauvages, la nuit regorge d’occasions intempestives et aléatoires que l’on voudrait capturer, mais qui nous échappent car on est là pour l’instant et pas pour la capture. On a tous·tes en tête un moment pareil : quand ton artiste préféré·e te fait monter sur scène, quand tu te retrouves dans un appartement de 200m2 avec alcool à volonté en after je-ne-sais-où ou encore en festival quand tu rencontres une personne géniale mais qu’aucun·e des deux n’a ni batterie ni aucun moyen de garder vos numéros ou du moins une photo pour immortaliser cette douce rencontre. Oui, c’est frustrant. 

Néanmoins, il y a un type de personne dont le rôle est de capturer ces instants quasi magiques pour que les souvenirs de la fête passent d’un état volatile à une mémoire figée et tangible. Les photographes de soirée. Ces héro·ïnes du quotidien (pour les plus fêtard·es) / du week-end (pour les plus raisonnables) sont là pour sublimer vos souvenirs les plus dansants, les plus joviaux, les plus suaves et les plus sexy. Que ce soit en soirée, en festival, en extérieur, en intérieur, de façon organisée ou totalement à l’arrache, les photographes ont su s’adapter pour capter le meilleur de chaque nuit pour en tirer les plus beaux clichés qui puissent exister. 

On a rencontré la crème (de la crème, de la crème, de la crème) des photographes de soirées pour leur parler de leurs plus beaux clichés de la nightlife ainsi que de leur passion pour cette photographie si atypique.

Naïri (@nai.iri)

La Vague Parallèle : Hey Naïri, tu peux nous parler de ta passion pour la photo night life ?

Naïri : J’ai commencé par de la photo de concerts de rap, c’est ce que j’aimais vraiment. Maintenant, ça fait un an que je me suis mise à travailler dans des clubs de before et d’after.

LVP : C’est différent de ce que tu connaissais avant ?

Naïri : Le milieu de la nuit est particulier. Le jour, les gens font attention à leur comportement, à comment iels parlent, comment iels marchent. Comme découvert à la lumière. La nuit, les gens se lâchent, tombent parfois les masques. J’adore observer cette dissociation, capturer cette impulsivité et spontanéité qu’on a tendance à vouloir oublier avec l’alcool.

LVP : Tu donnerais quoi comme conseils à quelqu’un qui souhaiterait se lancer ?

Naïri : Un conseil à donner pour un·e photographe se lançant dans le milieu de la nuit : faire très attention aux relations qu’on crée avec les autres. La nuit, les gens ne sont plus les mêmes. C’est parfois le moment pour certain·es de révéler une personnalité qu’on aurait aimé ne pas connaître. Il faut rester prudent·es et loin des histoires. Mieux vaut ne rien savoir et se concentrer sur son travail. Dans ce milieu on confond souvent loisir et travail, relations professionnelles et amicales. Le danger est là.

LVP : Il y a tout de même de bons souvenirs non ?

Naïri : Oui ! Les échanges avec certain·es client·es surtout. Celleux qui dansent avec toi, qui se prêtent au jeu et te proposent des mises en scène… Aussi, quand les client·es me reconnaissent en pleine soirée et qu’iels prennent le temps de venir m’aborder et me féliciter pour mon travail en exprimant leur respect et admiration pour celui-ci. C’est toujours très gratifiant.

LVP : Ça t’arrive de ne pas avoir ton matériel et de le regretter ?

Naïri : Parfois ça m’arrive de sortir en tant que cliente en club et je vois des gens se prendre dans les bras, s’embrasser, ou se jeter quelques regards, une expression, une danse et j’imagine automatiquement la photo parfaite que ça aurait pu donner à l’instant T. Je n’ai pas de souvenir précis de photo en tête, mais il s’agit souvent de moments comme ça pour moi. Des moments humains et d’amour.

Maryan Sayd (@deepinsayd)

La Vague Parallèle : Coucou Maryan, ça fait longtemps que tu shoot la nuit ?

Maryan : Ca fait 3-4 ans déjà, je compte les années covid parce que ça nous a fait skiper du temps. Je suis arrivée à Bruxelles il y a 5 ans, il m’a fallu quelques années pour avoir des contacts ici. J’ai commencé à aller en soirée, au début c’était pour le fun, je prenais mon argentique pour rigoler et je faisais des photos parce que j’aime ça. J’en faisais déjà plus ou moins de manière professionnelle et petit à petit c’est devenu de plus en plus sérieux. Cette année c’est devenu un vrai job et j’aime beaucoup ça, ça m’arrange.

LVP : Tu trouves que c’est une pratique particulière par rapport à la photographie diurne ?

Maryan : Oui, pour plusieurs raisons je dirais. Tout d’abord, c’est un milieu hyper intimiste, les gens viennent là pour tout donner, l’idée même de la fête c’est que les gens sont moins pudiques que dans leur vie extérieure, moins réservés peu importe leur état. Les gens se déchainent comme ils peuvent, comme ils veulent. C’est un milieu très visuel, les jeux de lumière, avec la musique, esthétiquement tu ne demandes que ça. Toutes les photos que tu peux prendre peuvent devenir des claques visuelles. Au niveau musical, ça dépend des soirées, mais souvent c’est hyper intéressant la corrélation musique-lumière. Quand t’as un peu le FOMO comme moi et que ça te fait sortir, rencontrer plein de gens, c’est génial. C’est assez étonnant parce que je suis introvertie, moi le milieu nocturne ça me libère, ça me fait rencontrer plein de personnes intéressantes, c’est pour ça que c’est si particulier et incroyable pour moi.

LVP : Des tips pour éviter les grosses galères de photographe ?

Maryan : Dans le milieu nocturne, la plus grosse galère c’est qu’il n’y ait pas du tout de lumière pour un show, une performance, une fête. Mais genre pas du tout. Et que tu ne puisses pas utiliser le flash. Je ne suis pas une grande fan du flash mais j’aime bien l’utiliser de temps en temps pour des petits détails. Après faut savoir travailler en post-prod si tu travailles en digital ou juste laisser tomber cette partie-là. Une autre galère, mais qui concerne surtout les gens, c’est d’éviter les gens qui posent. Je déteste ça, l’idée de faire poser quelqu’un pour une photo, sauf à quelques exceptions près. C’est un peu dur de devoir mettre un vent à une personne mais bon… Tu dois choisir entre ne pas mettre de vent et faire semblant de prendre une photo. Ou sinon tu peux prendre la photo et ne pas l’utiliser.

LVP : Tu pourrais nous partager un de tes meilleurs souvenirs ?

Maryan : Un très bon souvenir, dernièrement, c’était le Listen Festival 2022. J’ai fait 2 soirées l’une à la suite de l’autre. En général c’est galère parce que tu travailles et tu dois tenir, mais en même temps c’étaient de très belles soirées, niveau musical c’était incroyable et en plus je pouvais m’amuser. D’ailleurs la photo que j’ai sélectionnée c’était au Listen, elle est assez abstraite, je ne sais pas pourquoi c’est le meilleur souvenir, tout était bien pour mes conditions de travail, c’était si beau, si fun, les gens n’étaient pas lourds du tout.

LVP : Et du coup la photo que tu n’as pas pu prendre mais que tu aurais rêvé de capturer ?

Maryan : En général je planifie tout en avance histoire d’éviter les angoisses de place / matériel. Ça ne m’est jamais vraiment arrivé, les photos que j’ai voulu avoir je les ai eues en général. Des photos que j’aurais bien aimé avoir si la situation me le permettait, c’était les photos d’after. J’aurais aimé avoir plus souvent mon appareil quand j’allais en after à l’époque. Pas forcément pour photographier les gens, j’en ai des photos comme ça, elles sont très jolies mais peut être trop intimistes, il y a des choses en after que j’aurais bien aimé avoir. Même si j’avais parfois mon appareil sur moi, je ne voulais pas prendre trop de place. J’aurais aimé faire un portrait de Mykki Blanco, à la soirée Outrageous à l’Ancienne Belgique. Je n’ai pas réussi à l’avoir parce qu’il est arrivé hyper en retard et quand je suis rentrée dans sa loge et que je lui ai demandé il m’a dit « Je pense, ma belle, que t’auras pas cette photo ». Il était en train de se laver le visage et était vraiment fatigué. Mais c’est pas trop grave parce que c’était super fun d’être dans sa loge, puis j’ai compris qu’il était aussi désespéré que moi de ne pas pouvoir me fournir la photo.

Antoine Grenez (@antoinegrenez)

La Vague Parallèle : Salut Antoine, ça fait longtemps que tu photographies les âmes perdues dans la nuit ?

Antoine : Je photographie depuis mes tout débuts en photographie, il y a 6-7 ans. J’ai commencé avec un petit point and shoot dans les soirées alors que j’étais encore à l’école. Ça n’a pas tout de suite pris mais on s’est lancé·es dans un projet pour éditer le travail de nuit avec Lara Gasparotto et Simon Johannin qui s’appelait « Après la pluie ». On a encore tous les fanzines dispo. C’était un fanzine grand format off-set qui était exposé par la suite au C12.

LVP : Pourquoi as-tu choisi de nous partager cette photo aujourd’hui ?

Antoine : Elle représente assez bien ce qui m’irrite dans la nuit, un outil indispensable de la connexion, des voyages, des aventures, pouvoir rejoindre un·e tel·le. Je le dis haut et fort : attention au téléphone qui peut vous absorber, ça accapare énormément l’attention surtout en club. Le but d’un club c’est justement de nous sortir de notre vie de tous les jours, c’est une expérience sensuelle. Le téléphone pour moi c’est un objet avec lequel j’essaye de poser des limites.

LVP : Pour toi travailler de nuit c’est une autre pratique tu dirais ?

Antoine : C’est surtout le non conformisme que dégage la nuit, la nuit c’est le moment OFF, c’est le moment qui te pousse à ne pas fermer les yeux, à vaincre la fatigue. Ce qui provoque des réductions de taille entre les dimensions subtiles qui habitent ce monde. Pour moi, la nuit c’est le ciel noir qui laisse une place énorme à l’imagination, aux projections futures, à la cosmologie, aux étoiles… Il y a quelque chose de très beau là dedans, tu rends le passé tangible, le futur tangible. Le présent, tu essayes de l’étirer le plus longtemps possible avec des ami·es, des errances, de l’écriture, de l’insomnie…

LVP : Il y a des choses essentielles à ne pas rater quand tu photographies la nuit, dans le processus créatif, technique, social ?

Antoine : Le consentement c’est quelque chose d’assez compliqué à pouvoir demander à chaque personne. Je dirais qu’il est bien important de connaître les personnes, les sujets principaux en tout cas, et pouvoir leur parler et pouvoir le faire. J’ai eu déjà une mauvaise expérience en prenant une très belle photo d’un ami, ça représentait un bisou entre deux protagonistes, il s’est avéré que cette love story ne s’est pas terminée de la meilleure des façons, sauf que j’avais déjà imprimé cette photo pour un calendrier. Ça a fini par poser problème à tout le monde et je m’en suis voulu de publier cette photo sans trop d’accord.

La nuit représente un moment intime, l’exposer de cette manière-là ça demande beaucoup de tact, de précaution et de consentement de la part des personnes qui se retrouvent montrées. Pour les gens qui prennent des photos en club : ÉVITEZ LES FLASHS. L’agressivité d’un flash lors d’une soirée ça peut vraiment sortir les personnes de leur état, briser une vibe totalement, c’est très important.

LVP : T’en tires quoi de ce métier, de cette passion ?

Antoine : Mes meilleurs souvenirs se construisent au jour le jour. C’est le meilleur métier que j’aurais pu choisir pour me découvrir, découvrir le monde. Ça me donne les bons outils d’agencer l’espace, la lumière. Mais j’arrive au bout du truc, la photographie commence à perdre un peu de son essence à mes yeux, on va voir ce que le futur nous réserve.

LVP : T’as l’air d’être partout et nulle part à chaque fois, ça t’est arrivé de manquer le coche et ne pas pouvoir prendre une photo que t’aurais rêvé avoir ?

Antoine : C’est toujours un combat contre le hasard, l’obsession de vouloir capturer des snaps du réel. Mon premier Berghain, j’aurais adoré avoir un appareil photo sur moi mais c’est interdit et justement transgresser l’interdit c’est intéressant. Mais un mythe doit rester un mythe. Parfois les photos ont un impact de réalité beaucoup trop terre à terre pour permettre à l’esprit de divaguer dans des lieux de communion.

Nine Louvel (@snektang)

La Vague Parallèle : Salut Nine, depuis quand tu photographies le milieu nocturne ?

Nine : Ça fait 8 ans. Quand j’ai commencé à sortir, l’effervescence qui me bouffait toute crue m’a attirée vers la photo avec une force équivalente à l’impulsion qui me poussait à faire la fête. C’était logique, je me baladais d’after en after avec mon MJUII, je volais des gueules, des bouts de phrase, des moments intimes.

LVP : Du coup, selon toi, qu’est-ce qui rend cette pratique aussi particulière ?

Nine : Je n’en sais honnêtement rien. Si ce n’est l’impression latente d’entrer dans une autre dimension lorsqu’on photographie la nuit. Ça m’a toujours attirée, je voyais les gens défiler, électrisés, les situations toujours plus improbables se dérouler devant mes yeux. Photographier en soirée, c’est l’énergie électrique de l’envie. C’est capturer en fragments une beauté sale, un monde noir et lumineux à la fois dont chacun se rappelle d’une fraction de secondes seulement après avoir dessaoulé. 

LVP : C’est quoi les galères à éviter au moment de prendre des photos en soirée ?

Nine : Honnêtement ? Se faire gauler à prendre la photo. Quand t’as devant toi des corps qui dansent en extase, des bribes de phrases qui se perdent dans le son du club, t’as juste envie de te tapir dans l’ombre et capturer l’ambiance, capturer cet instant T où la meuf devant toi a fait le premier pas vers celui qu’elle ramènera plus tard, au chaud, chez elle. Les pires galères n’existent pas lorsqu’il y a consentement. Je sais que ce que je viens de dire est assez paradoxal, on aimerait tou·tes pouvoir prendre la photo des autres sans conséquences, mais ce que je retiens principalement c’est que dans la photo de soirée, le consentement de tes sujets est essentiel.

LVP : Tu as du voir pas mal de trucs à travers ton objectif, tu gardes quoi comme meilleurs souvenirs en tant que photographe ?

Nine : Quand je suis partie en camp militaire à Elsenborn suivre l’Ecole Royale Militaire. C’était en 2017. Mes Dr Martens ont percé dans la neige, je tremblais sous les -15° de février et je courais pour tenter d’avoir les meilleurs clichés de ces simulations de batailles. J’y ai passé 3 jours, levée à 4h pour me promener dans le camp militaire désert, à peine éclairé par des néons chauds. Je n’étais pas autorisée à prendre des clichés sans surveillance donc je m’échappais par le velux pour traverser la base et photographier les couleurs de la nuit. C’était surréaliste. Une base militaire déserte recouverte d’un manteau blanc, dans le silence absolu, c’est déroutant et apaisant à la fois.

LVP : T’es prête à tout pour sortir la photo parfaite ! Mais as-tu déjà eu des moments ratés, comme ça, que t’aurais voulu saisir avec ton appareil et qui, malheureusement, n’ont jamais été capturés ?

Nine : À 17 ans, je me suis retrouvée devant le Kit Kat Club à Berlin. La meuf à l’entrée m’a dit d’enlever mes fringues. Et tout le reste. Je me suis exécutée. J’étais en collants. Seulement en collants. Et tout autour de moi à l’intérieur gravitaient des corps brulant d’envie, des corps libres. J’étais entourée d’une énergie si belle, je ne savais plus où donner de la tête, et là j’ai regretté l’absence de mon appareil photo. Je pourrais te le décrire en long en large et en travers mais ça ne rendrait jamais justice à l’adrénaline que j’ai ressentie cette nuit-là. Ces photos qui n’ont jamais existé me manquent.

Laura Franco (@analogbylau)

La Vague Parallèle : Salut Laura, ça fait longtemps que tu prends des photos de la night life

Laura : Pour moi, ça s’est fait en deux temps : il y a eu d’une part le côté plus professionnel, et d’autre part celui plus personnel. Je me suis lancée dans le journalisme musical il y a plus ou moins deux ans. Ça m’a donné accès à un tout nouveau milieu, celui de la nuit, des concerts et évènements musicaux. Je fais partie des photographes, donc je suis toujours accompagnée d’un·e rédacteur·ice. C’est quelque chose qui m’a tout de suite énormément plu, les accréditations concert ne ressemblent en rien à d’autres travaux que j’ai pu faire en photo.

De façon plus personnelle, j’ai commencé il y a cinq ans en prenant mon argentique en soirée. En temps normal, je fais presque uniquement de l’argentique. Ça donnait une dimension beaucoup plus originale. Au-delà du processus argentique qui est par lui-même déjà spécial, le fait d’avoir nos souvenirs sur pellicule rendait les souvenirs encore plus précieux, plus tangibles. Chaque photo est comptée : le tout se joue dans le choix de la scène qu’on veut imprimer.

LVP : Qu’est ce qui rend cette pratique aussi particulière selon toi ?

Laura : Concernant les photos de concert, ce qui rend ça aussi particulier pour moi c’est le laps de temps : tout va extrêmement vite. En général, les photographes ont le droit de rester devant la scène pour seulement trois morceaux. C’est très peu pour réussir à capturer l’essence et l’atmosphère de la salle. Il y a pleins d’autres photographes sur place et parfois on se marche dessus. C’est un peu tout ou rien : on peut obtenir de super photos, qui capturent parfaitement l’ambiance, le bon moment et parfois c’est un peu plus difficile. C’est une sorte d’adrénaline qui me plait.

C’est incroyable de travailler dans ce monde-là. Se retrouver si proche de la scène, interagir avec les artistes, avoir des retours pro sur nos photos… C’est une tout autre façon de vivre un concert.

LVP : Pourquoi as-tu choisi de nous partager cette photo ?

Laura : J’ai voulu montrer une photo qui représentait tout autant l’artiste que l’ambiance. Les lumières étaient tamisées, la chanson venait de se terminer, le public acclamait. C’était un moment où je me trouvais dans la foule, de façon exceptionnelle. J’ai dû prendre beaucoup de clichés ce soir-là, lorsque je n’avais plus accès à la scène pour en réussir quelques-uns. C’était complexe, la foule était dense et les gens excités. Je suis cependant très contente du résultat, d’avoir pu capturer d’après moi l’atmosphère, ce moment de battement entre deux chansons. 

LVP : Tu dirais que c’est quoi les pires galères à éviter dans le milieu ?

Laura : Tout ce qui est technique : toujours prévoir plusieurs batteries, plusieurs cartes SD ou pellicules. Personnellement, je suis une grande stressée et je fais toujours en sorte d’avoir tout en plusieurs exemplaires « au cas où ». Il faut aussi savoir que dans ce genre d’évènements, les flashs ne sont presque jamais autorisés, il faut donc faire attention à prévoir ses réglages en fonction, et surtout à l’avance ! C’est presque impossible de modifier l’entièreté de ses réglages une fois devant la scène, surtout lorsqu’on a aussi peu de temps accordé, car tout va très vite.

LVP : Malgré ces galères, tu gardes de bons souvenirs de la scène ?

Laura : Un très bon souvenir que j’ai, c’était ma première accréditation avec La Vague, un évènement privé de Chuki Beatz pour la release party de son album. Je me suis retrouvée dans cette soirée pleine d’artistes que je connaissais sans jamais les avoir rencontré·e·s, et sans vraiment avoir ma place là non plus. Je me suis sentie un peu étrangère mais c’était tellement dingue d’en faire partie. Nous étions les seul·es journalistes présent·es pour couvrir le truc, c’était vraiment impressionnant. Mais en général, je dirais que chaque concert reste un très bon souvenir aussi. J’ai tendance à envoyer mes photos aux chanteur·ses pour lesquelles je reçois assez souvent des retours de leur part. C’est toujours gratifiant de pouvoir partager ça. Ces interactions me font me sentir un peu plus légitime dans ce que je fais.

LVP : Tu as une photo en tête qui n’a jamais existé ? Celle que t’aurais voulu prendre mais qui n’a pas pu se faire ?

Laura : J’étais allée à un concert il y a deux/trois ans d’un de mes artistes préférés : Aminé. Je n’avais pas jugé utile de prendre mon appareil sur le moment, je ne sais plus trop bien pourquoi. Finalement, je me retrouve dans cette toute petite salle au Botanique, au premier rang, avec une vue parfaitement dégagée. Sur le moment j’ai vraiment regretté de n’avoir rien prévu, parce que le résultat aurait pu être incroyable !

Maxim Vanheertum (@becotte1)

La Vague Parallèle : Salut Maxim, ça fait longtemps que tu fais de la photo en milieu nocturne ?

Maxim : J’ai fait ma première session de photographie nightlife quand j’avais 19 ans. Un de mes amis d’une autre école m’avait demandé de prendre des photos de leur fête de fin d’études. J’ai 26 ans maintenant, ça fait donc 7 ans que je fais ça.

LVP : Tu arrives à faire la distinction entre fun et boulot ?

Maxim : C’est du boulot, bien sûr, mais c’est aussi beaucoup de fête, de boissons et, bien sûr, de photographie. Si t’as déjà bossé dans le secteur de la photographie de concert, tu verras que petit à petit tu commences à connaître tout le monde (les directeur·ices, les promoteur·ices, les personnes derrière le bar, la madame pipi, les habitué·es qui viennent chaque semaine…). Au bout d’un moment, tu te rends compte que c’est juste une grande famille composée de personnes qui travaillent là et qui s’amusent en même temps. Tu rencontres des tas de gens très différents : dans une même soirée, tu peux croiser des avocat·es, des étudiant·es, des personnes travaillant dans le bâtiment… J’aime vraiment l’aspect familial de la chose, quand tu t’échappes un peu, tu te rends compte que des notions abstraites comme l’argent ne comptent plus, les frontières physiques et mentales disparaissent, je suis sûr que tu vois ce que je veux dire.

LVP : Ça t’est déjà arrivé de te retrouver en galère pendant une commande ?

Maxim : En tant que photographe, je n’ai jamais vraiment eu de problèmes, tout le monde est très gentil avec les photographes dans les boîtes de nuit. Il y a juste une chose un peu relou : les gens me demandent toujours où sont les toilettes et je ne sais pas pourquoi. Quelques conseils peut-être : ne dérangez pas les gens si vous pensez qu’iels ne veulent pas de photos, gardez de la distance, si vous n’êtes pas sûr·e, demandez toujours, ça prend une seconde et ça peut vous éviter des problèmes.

LVP : Tu t’es déjà retrouvé dans des endroits hors du commun ? 

Maxim : J’ai participé à des fêtes vraiment cools comme des événements sur des bateaux à Sydney, sous le soleil australien, c’était vraiment cool. Ou encore à Bali, je prenais des photos pour un club et, sorti de nulle part, il y avait un DJ d’Anvers, on ne s’était jamais rencontrés en Belgique et tout d’un coup on est ici, ensemble, à Bali. Il jouait de la musique et je faisais des photos. Notre amitié est née de là. Il s’appelle Kevin Kofii, allez voir ce qu’il fait.

LVP : Et dans des merdes ?

Maxim : Je ne pourrais pas parler d’une seule situation, car les galères ça peut arriver tellement de fois. Que ce soit des problèmes de batterie ou que quelque chose ne fonctionne plus, même si t’as tout vérifié trois fois avant de partir…

LVP : Elle représente quoi la photo que t’as choisi de nous partager ?

Maxim : C’est au Club Vaag à Anvers, un pur moment de délire et d’euphorie collective, le genre de trucs que t’es content d’avoir pu capturer avec ton appareil.

Lauren Liz Chanelle (@beingwestern)

La Vague Parallèle : Salut Lauren, tu peux nous parler de ton parcours photo ?

Lauren : J’ai commencé la photographie à 17 ans. Au début c’était majoritairement des portraits de mes ami·es et des paysages. Ce n’est qu’à 18 ans que j’ai réellement découvert le monde de la nuit et notamment la musique électronique grâce à ma sœur. À cette époque, il y avait un nouvel endroit qui venait d’ouvrir à Bruxelles et qui s’est très vite transformé en incontournable de la nuit. Les débuts du C12, c’était la folie. C’est là que tout a commencé. J’ai collaboré avec une plateforme belge indépendante qui me procurait un appareil jetable pour faire des photos du C12 en échange d’une place gratuite. C’était pour moi le combo parfait, faire des photos en étant entourée de mes ami·es, des gens avec plein de styles et de personnalités différentes tout en faisant la fête. Je ne pouvais pas rêver mieux.

LVP : Pour toi, qu’est-ce qui rend cette pratique aussi unique en terme de production d’images ?

Lauren : C’est avant tout un rassemblement de souvenirs. Des moments de vie que j’immortalise. J’adore de temps en temps revoir des photos qui datent d’un an ou deux et y retrouver tou·tes mes ami·es, ou des inconnu·es et replonger dans le passé. Que la soirée soit bonne ou pas, la nuit reste toujours spéciale. Ce qu’on adore faire avec mes potes en lendemain de soirée c’est regarder les photos et se demander : « Que s’est-il passé ? Qui était là ? » C’est trop fun !

LVP : C’est particulier comme pratique, y a-t-il des trucs à savoir avant de se lancer pour pas trop se louper ?

Lauren : Ce qui est peut être compliqué et délicat c’est d’essayer de ne pas être trop imposant·e, oppressant·e ou intrusif·ve. Je prends des photos avec flash et ça peut parfois être dérangeant, notamment pour les DJs. Au final, même si les gens sont souvent dans un très bon mood et adorent être pris en photo, c’est important de toujours demander leur accord. Je prends toujours le temps de demander aux personnes que je ne connais pas leur autorisation et si je prends une photo de loin j’essaie de capter le regard de l’autre pour qu’il ou elle me fasse signe que c’est ok. 

Des fois, il se passe aussi l’inverse, tu essayes de prendre une belle photo et tu as une personne ou un groupe de gens qui veulent absolument s’incruster, se mettre devant l’objectif, faire des blagues, etc. Après, ça fait partie du jeu. Des fois ça peut rendre l’image encore plus intéressante. Ce qui est justement chouette et perturbant au moment de prendre des photos dans le monde de la nuit c’est que c’est imprévisible, c’est du hasard, je dirais presque même un coup de chance.

LVP : Tes meilleurs souvenirs en tant que photographe ?

Lauren : Il y en a beaucoup. Un jour, il y a ce garçon qui insistait beaucoup pour que je le prenne en photo en faisant le poirier. Malheureusement l’alcool faisait qu’il avait beaucoup de mal à tenir sur ses deux bras. Il ne voulait pas abandonner. Il continuait à essayer encore et encore et tout le fumoir l’encourageait, c’était trop beau a voir. Il a fini par avoir sa photo en poirier, il était trop content. En général les meilleurs souvenirs que je garde sont ceux que je partage avec les gens sur l’instant. J’adore avoir ce contact, les voir s’amuser, faire la fête et glorifier pendant quelques instants, ça n’a pas de prix. Ça fait de super rencontres aussi, des gens avec qui j’ai par la suite créé un réel lien d’amitié. 

LVP : Tu as déjà regretté ne pas avoir pu sortir une photo à un moment crucial ?

Lauren : Un jour, j’ai eu un shooting avec Judith Kiddo, dans un ancien cinéma, le cinéma Aventure qui était à l’époque une salle de prostitution. Il y a des motifs de zèbre au sol, des murs rouges… Le lieu est magnifique. On a eu la chance de pouvoir l’utiliser comme on le voulait. J’avais 18 ou 19 ans, c’était mon premier « vrai » shooting avec une personne que je ne connaissais pas et qui allait être publié dans un magazine, j’avais une pression énorme. Je pense bien que c’est à cette occasion-là que j’aurais pu prendre la photo de mes rêves car tout y était ! Judith Kiddo, une artiste extravagante et si intéressante qui plus est dans un lieu emblématique de Bruxelles. Si j’avais pu refaire ce shooting aujourd’hui, avec ma vision des choses qui a évolué et mon identité artistique que je commence à développer, j’aurais sûrement pris LA photo.  

LVP : Bon, on ne peut pas tout réussir du premier coup, mais du coup, tu as choisi de nous partager quelle photo ?

Lauren : Cette photo à été prise au Fuse, le 1er Octobre 2021, à la réouverture des boîtes de nuit à Bruxelles. Cette photo est spéciale pour moi parce que c’est l’une de mes meilleures soirées, après un an et demi sans soirées (légales), mais aussi parce que c’est mon meilleur ami sur la photo, je trouve l’image juste incroyable avec la fumée qui traverse son visage, ses yeux à moitié ouverts…

Madeleine Petit (@maddoucephoto)

La Vague Parallèle : Salut Madeleine, ça fait longtemps que tu as commencé la photo ?

Madeleine : Ça fait maintenant 4 ans que j’ai mon petit Olympus Mjuii qui est toujours avec moi, et j’adore shooter au flash, donc en fait ca a commencé comme ça, en faisant la fête avec des potes à Montréal. À l’époque ca m’amusait pas mal de prendre surtout en photo les « avant » ou « après » teufs, plutôt que les foules en boîte.

LVP : Selon toi, comment on fait pour réussir une bonne photo ?

Madeleine : C’est un peu à double tranchant, il faut savoir lire le mood de la teuf avant de dégainer l’appareil en toute confiance. Il y a deux profils : les gens qui s’en foutent royal et ceux que ça rend ultra énervés d’être pris en photo dans des moments de fête, faut savoir prendre la température. En même temps c’est souvent des moments où il se passe plein de choses partout, c’est marrant de partir solo à la recherche des petits détails croustifondants, de trouver les images qui te plaisent dans l’ébullition festive sans pour autant faire des portraits. Moi je trouve que des images de fragments de teuf ou des hors champs peuvent être mille fois plus parlants que la teuf en elle-même.

LVP : T’as déjà eu des galères ?

Madeleine : La pire galère que j’aie eu c’était au tout début à Montréal. J’étais un peu éméchée et je prenais une photo devant un espèce de snack, il y avait des profils de personnes complètement improbables qui discutaient devant à 3h du mat en attendant leur poutine. Je n’étais pas tout près donc j’ai mis le flash et un des types a vrillé, je venais d’acheter mon Mjuii et il ne comprenait pas que je ne pouvais pas supprimer la photo sur un argentique. J’ai cru qu’il allait l’exploser par terre, j’ai réussi à le calmer mais après je n’ai plus repris des photos comme ça à l’arrache sans demander aux gens avant, ça m’a vacciné.

LVP : Bon, et à part les galères, j’imagine qu’il y a de bons moments ?

Madeleine : Mes meilleurs souvenirs, c’est d’office les rencontres à chaque fois, je prends très très peu de photos de paysages, je suis très axée sur « l’humain » même si c’est chelou de dire ça. Les expériences, les souvenirs, les rencontres, les liens qui se créent, c’est ce que je préfère. En fait ca permet aussi de découvrir plein de milieux différents. Parfois, je me demande si la photo n’est pas un peu un prétexte pour moi d’ailleurs, un moyen plutôt qu’une fin en soi.

LVP : Le plus gros seum pour un·e photographe ?

Madeleine : Franchement là, je n’ai pas d’idée qui me vient en tête si ce n’est le jour où je me suis fait voler mon appareil à la Rotonde de Stalingrad, et qu’a l’intérieur il y avait des gars qui dansaient du feu de Dieu et que j’aurais adoré les shooter.

Marin Driguez (@marin.driguez)

La Vague Parallèle : Salut Marin, ça fait longtemps que tu photographies le milieu nocturne ?

Marin : Depuis que je suis arrivé à Bruxelles, en 2017. A l’époque j’avais encore un appareil photo 24/24 sur moi, et pas de raison que ca s’arrête la nuit, bien au contraire.

LVP : Et selon toi, qu’est-ce qui rend cette pratique aussi particulière ?

Marin : Pour moi, la photo est un peu un prétexte. Un prétexte pour parler aux gens, découvrir des lieux, des environnements, pour rentrer dans des endroits où jamais je n’aurais eu le droit d’entrer sinon. Un moyen d’épancher ma soif de curiosité, un outil de compréhension du monde. Ce qui me plaît avec la photo de teuf, c’est que ça me permet de profiter de ce milieu que j’aime. 

LVP : Tu dirais qu’il y a des pièges à éviter dans ce genre de pratique de la photographie ?

Marin : La lumière. J’aime beaucoup faire des images en basse lumière, voire très basse lumière. Mais des fois c’est une vraie galère, surtout dans les soirées techno. Tu te bats avec les stroboscopes en rafalant 25 images, pour en avoir 23 complètement noires. Mais c’est peut être ca qui fait le charme de cette pratique aussi, cet aspect un peu hasardeux. J’ai souvent beaucoup de surprises après, à la retouche. 

LVP : Tu t’es retrouvé dans pas mal de situations différentes, c’est quoi tes meilleurs souvenirs en tant que photographe ?

Marin : Probablement des moments où je n’ai plus de souvenirs justement haha. Peut-être la première fois que j’ai bossé pour un festival, en 2018. J’y étais avec un pote, logé sur site dans une super baraque, catering, lieu de ouf, soleil, line up incroyable… Et dès le premier soir, je n’ai pas réussi à m’empêcher de profiter, de vraiment faire la teuf quoi. J’étais un peu inquiet pour mes images et finalement ca a beaucoup plu aux gens pour qui je bossais, il y avait tout ce qu’il fallait. Ce jour-là, j’ai compris avec beaucoup de joie que je pouvais faire la teuf et des bonnes images en même temps. J’ai même l’impression que c’est là que je fais les meilleures images, parce que je suis connecté avec les gens, avec ce qu’il se passe, en immersion.

LVP : Il t’est déjà arrivé de rater un moment qui aurait pu donner une photo parfaite ?

Marin : Ca faisait déjà une bonne demi heure que ma batterie était quasi à plat, et je repoussais jusqu’au dernier moment d’aller en chercher une autre, j’enchainais les photos j’arrivais plus à m’arrêter. Fin du festival, fin du set du dernier DJ, le gars monte sur les platines pour craquer un fumigène. Tout le public est à fond, la scène est magnifique, sauf que ma batterie lâche pile à ce moment-là. J’ai tapé mon meilleur sprint pour aller en chercher une autre, mais trop tard.

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