En ces temps incertains où la musique constitue l’un de nos plus sûrs remèdes contre la déprime, Bootchy Temple, quintet bordelais né en 2012, aujourd’hui francilien, se distingue par la sortie d’un quatrième disque intemporel et mélancolique qui sied parfaitement à la conjoncture actuelle. Intitulé In Consummated Bloom, cet album, dont le titre est extrait d’un poème d’Emily Dickinson, évoque l’idée de renaissance après un repli sur soi ; une manière pour le groupe de signifier ses états d’âme en cette période étrange et inédite. Sans surprise, on doit cette belle sortie au label indépendant Howlin’ Banana Records (en collaboration avec Safe In The Rain Records), qui s’attèle depuis bientôt une décennie à booster la scène rock indé française en dénichant de jeunes groupes à fort potentiel.
Au fil des albums, le son de Bootchy Temple se façonne et s’affûte, toujours en distillant, çà et là, l’héritage sonore légué par l’imaginaire psychédélique 60’s, et de la scène californienne 80’s du courant Paisley Underground. Même si le style psychédélique est assurément un élément intrinsèque à leur musique, les membres du groupe ont récemment pris un virage plus pop indé 90’s, où les morceaux mélancoliques, à la beauté contemplative, prédominent.
In Consummated Bloom est un album singulier car il reflète un état d’esprit, à l’heure où notre monde fait face à plusieurs phénomènes irréversibles laissant l’humanité impuissante. Au cœur de cette tourmente générale, Bootchy Temple nous livre une ode au passé regretté, à la liberté évaporée, dont l’enjeu principal est notre propre sort.
Plusieurs émotions nous traversent à l’écoute de cet opus puissant et limpide. Un halo feel good se dégage des rythmiques enjouées du chatoyant Blank Words et de ses guitares en suspension, de l’entraînant Lost Future, qui malgré son titre désenchanté donne un souffle d’espoir, mais aussi de l’enjoué Since I’ve Seen Your Smile, à la couleur twee pop. On change ensuite de décor avec l’ardent Wishing Well, qui nous électrise par ses sonorités teintées noise-pop.
Bootchy Temple signe aussi de belles ballades mélancoliques, marquées par la quiétude enivrante de Shame Stay, ou la rêverie de Sleep’s Raft, avec son introduction de guitares digne des Velvet Underground. Subtil et nuancé, Can’t Tell est certainement le morceau coup de cœur de cet album. Sans jamais se hâter, il nous bouleverse par ses variations sonores et rythmiques habilement menées, laissant émerger de manière triomphante un chant clair et captivant, après une longue plage instrumentale.
Le charme magnétique de l’album se prolonge avec les guitares vibrantes et le chant délicat de Something Part. 2, puis avec le contemplatif Nowhere Else et son delay hypnotique. Les guitares de Scarfpin nous entraînent, quant à elles, dans un univers folk rock 60’s jouissif, directement hérité des Byrds. Avec ses guitares fuzz brumeuses et son piano entêtant, Solastalgia nous embarque du côté obscur du shoegaze, en se rapprochant de l’univers de Slowdive. Dans la même veine, l’instrumental Hook nous invite à une médiation plus profonde encore, avec son beat résonnant et son thème de guitare répétitif.
Sans pour autant changer d’univers ni renier ses influences sacrées, In Consummated Bloom fait preuve d’une plus grande maturité sur le plan sonore, avec des morceaux plus aboutis, comparé aux albums précédents. On retrouve un son bien évidemment centré sur la guitare, avec une réverbération riche et des arrangements soignés, mais aussi des claviers, qui concourent significativement à rendre l’ensemble harmonieux.
Il y a quelque chose d’intentionnellement intemporel dans la musique de Bootchy Temple, si bien que sans les connaître, on serait certainement incapable d’y étiqueter une époque. Des guitares, une basse, des claviers, une batterie, des voix presque détachées : la structure a l’air simple et classique en apparence. Pourtant, nous sommes rapidement pris dans un vortex lumineux, sans vouloir y échapper. C’est en cela que réside le talent de cette formation ; dans le fait de produire des mélodies gorgées d’âme et qui dénotent une certaine sincérité.
Avec In Consummated Bloom, Bootchy Temple passe un nouveau cap en nous offrant certainement son plus bel album. Attention, il pourra facilement devenir la bande son de notre vie, en cette fin d’année morne, pour nous accompagner dans des moments de réflexion ou d’évasion. Voilà un album authentique et sans fioritures, qui n’est pas sans rappeler d’autres disques brillants de la fin des années 90, trop souvent oubliés, que sont Suburban Light de The Clientele ou Where’d You Learn to Kiss That Way? de The Field Mice, et qui ont le pouvoir de nous suivre fidèlement dans nos parcours de vie.
Mélomane en apesanteur.
#jamaissansmoncasque