(INTERVIEW) ALB : “Il y a des couleurs musicales très différentes sur l’album”
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Auteur·ice : Charles Gallet
13/09/2017

(INTERVIEW) ALB : “Il y a des couleurs musicales très différentes sur l’album”

C’est dans son studio surchauffé et rempli de machines qui feraient fantasmer n’importe quel musicien qu’ALB nous a donné rendez-vous. Le mois d’août voyait s’écouler ses dernières heures entre pluie et éclaircie, lorsqu’on a retrouvé avec le groupe français qui, on en prend le pari, va faire sonner la rentrée. En effet le désormais duo  sort son très bon troisième album Deux le 29 septembre. Ils se sont confiés sur sa genèse mais aussi sur la construction de leur live qui s’annonce incroyable.

La Vague Parallèle : Ma première questions sera pour Raphaël : Qu’est ce que ça fait d’avoir eu une « promotion » dans le groupe (ndlr : ALB était le projet solo de Clément avant que Raphaël n’en devienne un membre à part entière) ?
Raphaël : En fait c’est plutôt de bon augure parce que j’avais rien demandé moi (rires). Donc ça me promet un bel avenir si on suit cette logique là… Non ça fait très plaisir, ALB est le premier projet que j’ai vu à Reims en 2007 et que j’ai beaucoup apprécié… C’est moi qui parle, c’est pas sous la houlette du patron. Et donc c’est ce projet là qui m’a incité à rester dans la ville pour faire de la musique qui était un peu ma première passion et le métier que je voulais faire depuis que j’étais gamin. J’avais dit à mes parents « je vais faire des études de design à Reims » et finalement ça m’a un peu rattrapé.

LVP : Justement le titre de l’album, c’est pour dire que vous êtes deux ?
Clément : C’est ça.
R : Exactement.
: Déjà, c’est rigolo d’appeler son troisième album Deux. Je trouvais ça marrant, parce que beaucoup de gens connaissent Come Out! It’s Beautiful et Mange Disque (ndlr : son premier album) est plus passé inaperçu… Pas forcément dans la musique d’ailleurs, y’a un côté pas culte du tout mais y’a un côté genre «  ah oui le boitier orange » . Et surtout oui, le fait que ce projet est désormais un duo et assumé en tant que tel avec ma photo et celle de Raphaël sur le verso. Voilà pour le nom de l’album.

LVP : Justement comme l’album précédent avait eu du succès et de bons retours, ça n’a pas été trop dur de passer à la suite ?
: Tu veux dire la grosse pression après le succès mondial de Come Out! It’s Beautiful (rires) ? Non en fait la pression n’est pas venue du succès particulièrement, elle est venue du timing vu qu’on a beaucoup tourné après la sortie de l’album, et on a tourné sans que je fasse de chanson pendant ce temps-là. Il s’est passé aussi plein de choses pendant la tournée qui on fait que j’étais pas en studio. Donc quand la tournée s’est terminée, on s’est dit que si on voulait que l’album sorte mi-2017, on avait un an pour le faire. Donc la base de ce disque, c’était la contrainte de se dire « OK challenge complet par rapport à ma façon de travailler auparavant ». J’avais l’habitude de prendre mon temps. Come Out! It’s Beautiful, j’ai mis cinq ans à le faire. Et là, de se dire « Tiens, est-ce qu’on est capables de composer, mixer, produire, masteriser et finir un album puis lui préparer un live en un an ? ». Et c’est ce qu’on a fait.
R : Après si je peux me permettre, le timing est venu du succès aussi. Le fait qu’on aie fait les Victoires de la Musique, qu’on soient passés chez Ruquier, que certains titres soient beaucoup exposés à la télé et à la radio ça a créé une réelle attente.
: Y’avait une demande d’avoir un album assez rapidement sinon on aurait pu prendre notre temps.
R : Si on avait fait quatorze ventes du précédent, je pense que ça aurait été radicalement différent.

LVP : Et justement au niveau de la composition. Le fait d’être deux ça l’a faite évoluer ?
R : La compo, elle a pas changé.
C : C’est toujours la même méthode de travail sauf que… Si j’avais continué comme avant, Raphael je lui aurais montré des morceaux quasiment terminés où il aurait fallu enregistrer les parties de batteries avec déjà une maquette de la batterie tel qu’il devrait l’enregistrer. C’est ce qui s’était passé sur l’album précédent. Ici, Raphael écoutait les morceaux au stade de brouillon avec quelques instruments voir au stade de « nanana » sur un iphone. Il est arrivé dans la production bien avant.
R : Tout à fait.
C : Les mélodies, les accords, ce sont des trucs qui me viennent la nuit chez moi et que j’entasse sur mon téléphone ou ailleurs. Ou je suis pas sûr de moi et je commence une maquette sur mon ordinateur jusqu’à ce que ça ressemble à quelque chose d’écoutable… Mais Raphael dès ce stade-là il intervenait dans les morceaux.
R : Après, les choix ont été d’orienter une compo ou une maquette sur tel ou tel style de musique, tel ou tel style d’arrangements. Y’a des chansons qui étaient proposées par Clément qui étaient plus disco et se sont retrouvées presque samba à la fin. Aller chercher le côté hip hop, c’est aussi une discussion qu’on a eu…
C : Avoir un deuxième avis à chaque fois. Parfois les morceaux sortent tout cuits dans le bec et ils sont dans la forme dans laquelle ils vont être à la fin. Y’en a un ou deux dans l’album, Endless Together par exemple, qui marchent très bien. La plupart sont sujet à débat et ça a beaucoup changé par rapport à avant, où je pouvais vraiment retourner le truc pendant un an ou deux, faire 17 versions, alors que là, à deux pour le coup ça change vraiment la donne.
R : Et plus la deadline se rapprochait, plus on travaillait vite et plus il fallait faire des choix tranchés le plus rapidement possible. Y’a des changements qui n’étaient qu’au stade de maquette dans le dictaphone et qui ont réellement pris une envergure très peu de temps après la soumission des idées de Clément.
C : Et c’est ce qui fait la grosse différence par rapport à l’album précédent. Des choix plus rapides qui amènent à quelque chose pas vraiment plus brut… mais plus spontané. C’est pas plus brut car c’est toujours aussi arrangé, grandiloquent par moment, dur ou mélancolique mais tout est plus spontané.
R : Ce sont des choix qui nous ressemblaient à la période ou on les a faits.

LVP : Je trouve qu’il y a sur ce disque certaines chansons qui sont dans la continuité du précédent album mais en même temps, une vraie prise de risque sur d’autres, notamment Scar Cycles.
C : Etrangement Scar Cycles, je le trouve tellement ALB. Très Mange Disque, en fait. Les réferences Francois de Roubaix etc… en termes d ‘arrangements. En tout cas, on s’est pas donné de limite, on ne s’est pas dit « On peut pas se permettre de faire une samba ». C’était cool on kiffait, on s’est dit  « Vas-y on y va ».
R : Scar Cycles, c’est pas forcément l’intention, c’est plutôt le côté timbral qui fait la différence. Du coup il y a de la guitare accoustique jouée d’une certaine façon car c’était samplé. Et plus arrangé par rapport à des morceaux qui étaient un peu bossa ou brésilien sur le mange disque.
C : Et ça, ça n’a pas énormément changé pour le coup. C’est un peu à la fois l’éternel problème et le truc que moi je trouve cool sur ce projet : j’ai une tendance – et maintenant on a une tendance – à choisir un costume, ou en tout cas un habillage, pour le morceau plus que pour un album. Je me suis toujours ennuyé très vite et j’ai envie de partir à chaque fois dans un style différent et d’expérimenter plutôt que de faire tout un album avec la même gamme d’instruments, le même type d’accords, le même genre de thèmes. J’aime partir dans tous les sens, donc effectivement il y a des couleurs assez différentes sur l’album.
R : Et aussi parce qu’on a des bagages musicaux qui sont hyper larges.
: Moi j’aime la musique au sens large .

LVP : Je vais continuer sur le style de musique. Au final c’est quand même ostensiblement pop mais vous la malaxez pour qu’elle devienne ce que vous voulez.
R : C’est un beau compliment en tout cas.
C : C’est toujours des chansons avec des couplets et des refrains, y’a toujours une architecture de chansons classique.
R : Y’a des traceurs de la pop musique, à savoir ce que disait Clément au niveau des structures couplet / refrain, avoir des choses qui se chantent avec des thèmes assez intelligibles.
C : Parce que ce sont des histoires à chaque fois.
R : Et y’a aussi ce traceur timbral qui est existant parce que c’est fait dans ce studio-là avec les mêmes instruments.
C : La couleur des instruments utilisés est la même que sur l’album précédent. Le studio a changé, il a déménagé deux fois entre temps. Mais oui, j’ai quand même réuni une palette sonore pour cet album qui est derrière toi (ndlr : il montre les instruments) et qui me va. Ça fait un moment que j’ai pas fait du craquage collectionnite de nouvelles machines. On a acheté quelques petites bricoles, il y a de nouvelles sonorités un peu plus numériques, des choses un peu plus froides sur l’album. Mais en gros le panel sonore reste celui que j’utilise depuis quelques années.

LVP : En parlant de machines, je vais revenir à ton rapport aux technologies. Sur Endless Together d’abord : Est ce qu’on peut dire que Endless Together est le pendant musical de Her de Spike Jonze ?
C : C’est complétement ça ouais. Sans Her de Spike Jonze, pas de Endless Together. J’ai vu le film et ça m’a pas mal marqué. J’étais entrain de faire ce morceau et je me suis dit que c’était ça que je devais raconter : ce rapport homme-machine. Dans la chanson, ça se centre sur le moment où le personnage se fait larguer par sa machine, son intelligence artificielle.

LVP : Justement toujours sur ton rapport à la technologie : est ce que c’est important pour toi de mettre la technologie au service de ta musique ?
: Y’a toujours la volonté de faire un truc nouveau en tout cas. D’essayer quelque chose qui n’a pas encore été fait, dans ma sphère ou le plus loin que je puisse voir. Toujours essayer de proposer quelque chose de neuf, c’est une volonté de pas se répéter, et toujours chercher à faire « Coucou ici on produit des choses intéressantes ».
R : La curiosité, le fait que ça soit des choses nouvelles qu’on maitrise pas forcément. Plonger corps et âme là dedans et essayer d’extirper ta singularité à travers ça. C’est ça qui est important.

LVP : Oser quelque chose de différent à la limite.
: C’est ça. Pour compléter ce que dit Raphaël, le moment que je préfère à chaque fois que j’achète un nouveau synthé, c’est le moment ou je le branche au studio, je suis entrain de faire une nouvelle chanson, bah tiens ça tombe bien il est là, je le connais pas encore mais j’arrive à en sortir des choses super. Il y a cette espèce de découverte : à chaque fois que j’ai eu une nouvelle machine il y a eu un nouveau morceau ou quelque chose d’associés grâce à la fraicheur. Et c’est à peu près, à une échelle différente, la même chose avec les clips ou le reste : qu’est ce qu’on pourrait faire de nouveau, qui n’a pas encore été fait, quelque chose où on sait pas vraiment si ça marche et dans lequel on pourrait se plonger.

LVP : Justement la dessus, il a un vrai effort du live…
C : Ben là, il y a un effort fois dix milles.

LVP : Vous avez fait deux dates récemment, l’accueil a été comment sur cette nouvelle formule ?
R : Bel accueil ! Le Cabaret Vert on en attendait beaucoup, à la fois pour montrer notre nouveau show et puis, nous, pour retrouver des sensations. On est hyper content du résultat et de l’accueil, parce que les gens sont restés alors qu’il y avait Justice qui commençait à jouer sur la grande scène.
C : Ouais, c’était vraiment bien.
: On garde le focus pour la suite, y’a plein de choses à faire.
C : La grosse particularité c’est qu’on a tout préparé ici dans la cave et on a tout transposé directement en festival. Donc forcément on a tout filmé, on a tout analysé, on a tout re-regardé… Ça va évoluer en permanence. C’était super et notre principe fonctionne. En gros on a gardé le même principe qu’auparavant, à savoir que c’est les machines qui jouent avec nous et pas nous qui jouons par dessus les machines. Je pilote tout au pied et on a construit un système qui permet de diriger nos lumières et qui, désormais, nous permet de gérer aussi notre écran.

LVP : Sur vidéo, ça avait l’air particulièrement impressionnant. Vous pourriez nous parler et expliquer un peu votre mise en scène scénique ?
C : Est-ce que t’as deux heures devant toi (rires) ? Faut essayer de le dire avec des mots simples : il y a un cerveau, une machine des années 2000 qui s’appelle la MPC 100 dans laquelle y’a très très peu de mémoire et qui me sert à envoyer des sortes de partitions dans les instruments. En gros on fait une espèce de live humain augmenté en quelque sorte. Je peux chanter et jouer de la guitare, et pendant ce temps là il y a des effets qui vont s’ouvrir par dessus ma voix et qui vont faire en sorte que sur les refrains, j’ai des choeurs Et tout ça, on n’a pas à le faire avant, tout est piloté automatiquement, ça envoie des petites informations un peu partout. Je vais me tourner, je vais jouer un son et le son sera déjà là. Je change avec mes pieds les séquences, ce sera un autre son qui partira au bon moment. C’est un espèce de live automatisé comme ça où on s’est créé une aire de jeu globale, où tout communique avec tout. On peut tout jouer. Y’a une architecture bluetooth avec ça, ou je peux piloter toutes les machines depuis l’extérieur de la scène et faire toute notre intro et notre entrée depuis l’extérieure : je pilote à la fois l’écran de led, l’allumage des instruments, la première boucle de notes sur l’entrée de Raphaël… C’est un peu une machine à jouer du ALB.
R : Et pareil étendu à l’écran. En fait c’est pas un film derrière nous, c’est cette machine qui envoie des notes comme elle pourrait le faire avec d’autres instruments sauf que l’écran les interprète comme des médias et ça nous permet de composer des visuels en direct derrière.
: Y’a des choses qui sont pilotées par ma voix, y’a des choses interactives avec le public : un passage ou les gens peuvent se prendre en photos et le poster sur Instagram. S’ils ont mis le hashtag #alblive , on les récupère après et on fait une petite chorégraphie avec les gens derrière qui viennent dans l’écran qui viennent faire les chœurs avec nous sur un morceau. Sur chaque morceau, on a essayé de trouver un petit truc, un petit quelque chose intelligent, malin, qui fait que ça habille en live, que ça correspond à l’univers, que c’est excitant et qu’on aie envie de voir ce qui va se passer ensuite. On a plus travaillé sur un spectacle que sur un concert, même si j’aime pas le mot spectacle.
R : C’est un divertissement en tout cas. On n’a pas envie de faire une répétition sur scène.
C : On a accentué le côté divertissement pour présenter autre chose que de la musique en fait. Présenter quelque chose de total avec un univers graphique. Essayer de rendre de plus en plus évident ce qu’est ALB. Et y’avait aussi un challenge, de se demander si à notre niveau de notoriété, on pouvait réussir à proposer un spectacle plus ambitieux que quatre gus qui arrive avec une serviette géante devant eux, un clavier sur un X. Tout en restant dans notre catégorie, on a essayé d’exploiter au maximum nos talents et ce qu’on sait faire et le pousser pour le plus loin possible pour présenter le spectacle le plus complet possible.

LVP : Et c’est une mise en scène qui est transportable dans tout type de salle ?
C : Oui, dans l’idée c’est club.
R : Une ergonomie totale, ça fonctionne partout.
C : Ca fonctionne partout, toujours avec la même équipe qu’avant. On est cinq nous compris.

LVP : J’ai encore deux questions : quels sont vos coups de coeurs récents ?
R : En musique j’ai un gros coup de cœur, qui est pas très récent et date de l’année dernière : c’est Las Aves.
C : Ah ouais, moi aussi.
R : J avais écouté les chansons, vu deux trois clips, je trouvais ça chouette. Et je suis allé les voir sur scène, avec un autre groupe de potes que j’admire. Et j’ai pris une énorme claque en les voyant sur scène. Ils arrivent à faire de la pop mais avec une énergie qui me parle pas mal et qui est proche du punk et des groupes de rock que j’écoutais au lycée. Et à la fois en allant piocher dans des références r’n’b, trip hop parfois. Un groupe pour lequel j’ai énormément de respect.
C : Et du coup Raphaël m’a sorti et m’a emmené à un concert de Las Aves et c’était vraiment très bien. Moi mon coup de coeur récemment c’est Andy Shauf. J’ai aussi lu dernièrement la bio de Keith Richards que j’ai trouvée super, ça m’a permis d’en connaître un peu plus sur les Stones, parce que j’ai toujours été plus Beatles.
R : Ah et aussi, j’ai adoré les Gardiens de la Galaxie. (rires)

LVP : En même temps c’est dur de pas aimer les gardiens de la galaxie… Ma dernière question c’est une question con. Comment on prononce le nom du groupe ?
C : On dit alb.

LVP : Parce que moi je dis A.L.B …
C : Ouais, non non ya pas de points entre. On dit alb.

LVP : Et ça vient d’ou justement ?
C : ooooh …(clément se lève et s’éloigne tout en faisant semblant de recevoir un coup de fil avec ses doigts) Ouais attend, on avait fini justement… (rires).

Après l’interview, on a demandé aux bonhommes de se prêter au jeu du selfie. S’ils excellent dans la composition musicale et dans l’utilisation technologique, la prise de selfie est encore à travailler. On en a choisi deux (comme l’album) :

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