Bertrand Burgalat : “Quitte à aller au casse-pipe, autant le faire avec des choses qu’on aime”
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Auteur·ice : Alphonse Terrier
31/03/2019

Bertrand Burgalat : “Quitte à aller au casse-pipe, autant le faire avec des choses qu’on aime”

On ne présente plus Bertrand Burgalat. Le musicien et patron du label Tricatel était cette année le parrain du Paris Music Festival, un évènement à la programmation singulière qui met en valeur tous les ans quelques uns des plus beaux lieux de la capitale. L’occasion d’une rencontre dans ses bureaux, quelques jours après son concert au Musée des Arts et Métiers.

LVP : Bonjour Bertrand ! Tout va bien ?

Bertrand Burgalat : Très bien !

LVP : Vous étiez le parrain du Paris Music Festival. Qu’est-ce qui différencie ce festival des autres ?

B : Il me semble un petit peu différent, parce que beaucoup de festivals sont aujourd’hui des festivals de promoteurs. De grands tourneurs ont leur propre festival. Là, la programmation était assez différente. En dehors du fait que cela se passe dans des lieux qui ne sont pas habitués à recevoir des concerts, ce qui est une contrainte à la fois technique et intéressante, je trouvais qu’effectivement la programmation était différente.

À chaque période, il y a des évidences, parce que des artistes cartonnent et que tout le monde a envie de les voir sur scène, et c’est normal pour un festival de vouloir les avoir. J’aimais bien le fait que les organisateurs de Paris Music ne s’engouffrent pas dans cette brèche-là. En même temps, leur audace a été récompensée puisque la plupart des concerts étaient complets. Cela montre qu’en tant que public, on peut avoir envie de regarder autre chose que juste la star du moment.

 

LVP : Quel regard portez-vous sur l’industrie musicale aujourd’hui et qu’est-ce qui a changé selon vous depuis que vous avez débuté dans ce milieu ?

B : Le numérique a changé beaucoup puisque aujourd’hui, c’est une industrie qui réalise, dans son ensemble, 40% de son chiffre d’affaires du début des années 2000. Pour les artistes plus en marge, ça ne nous a pas fait descendre beaucoup plus bas que là où on était. L’intérêt, c’est qu’il me semble qu’il y a moins d’arrogance, moins de certitude. Surtout, cela doit nous inciter à faire les choses qu’on aime en musique, puisque de tout temps, il y a toujours eu plus de disques qui se cassaient la figure que de disques qui marchaient beaucoup. Maintenant que c’est peut-être encore plus le cas, quitte à aller au casse-pipe, autant le faire avec des choses qu’on aime. En tout cas, nous c’est ce qu’on aime faire.

C’est une industrie assez étonnante parce qu’elle est miraculée. Ça reste extrêmement difficile de vivre de la musique. Ça n’a jamais été facile mais ça l’est encore moins aujourd’hui. Par contre dans cinq ans il y aura toujours de la musique, mais ce n’est pas non plus spectaculaire. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’effets d’annonce où on dit “Grâce au streaming, ça repart”. Oui, mais dans la pratique ça reste difficile.

LVP : Je sais que vous êtes vice-président du SNEP (Syndicat National des Éditeurs Phonographiques). Qu’est-ce que vous aimeriez changer dans cette industrie ?

B : C’est une bonne question. Je pense qu’il faut que cela reste une industrie, c’est-à-dire que c’est une activité économique, et je pense que c’est important. Je n’aime pas du tout le discours pseudo-artistique où on met toujours en avant l’indépendance. En général, ceux qui mettent le plus en avant le fait d’être indépendant sont souvent ceux qui le sont finalement le moins quand on gratte un peu.

Quand on est dans une organisation comme le SNEP, on est face à des données objectives. Mon regard est beaucoup plus subjectif et je ne peux pas l’avoir dans le cadre de mes fonctions du SNEP. Je pense qu’au moment où il y a eu la libéralisation des ondes et les radios FM, qui devaient apporter un air frais et une diversité, il y a eu, au contraire, une uniformisation de la musique au fur et à mesure de leur rachat et des réseaux qui se sont montés dans les années 80. Il me semble que, là où la radio aurait pu jouer un vrai rôle, de donner de plus en plus de place à toutes sortes de musiques, on s’est retrouvé avec quelque chose de beaucoup plus unilatéral et ça a fini par influer sur ce que peut être la musique populaire aujourd’hui. Il reste de la place pour pleins d’autres formes d’expression.

La semaine dernière, on présentait justement les chiffres annuels du SNEP. On a passé un court extrait des vingt meilleurs disques de l’année, la plupart je ne les connaissais pas, et la plupart je n’étais pas très malheureux de ne pas les connaître. Il n’y avait rien où je me disais “Merde, c’est vicieux, c’est bien fait…” Je trouve que c’est un peu triste, parce que cela fait une culture à deux vitesses. À côté, on a des orchestres formidables, du jazz, de la musique classique, des choses très bien qui se font. Mais je trouve que dans la musique populaire, il y a un nivellement par le bas. Je trouve ça triste, parce qu’une chanson populaire ou un morceau populaire ça peut être très bien.

 

LVP : Vous avez vécu beaucoup de vies différentes. Y’a-t-il une vie en particulier que vous regrettez de ne pas avoir vécu ?

B : En fait, j’ai fait des choix qui étaient inconscients. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir prise sur mon existence. Finalement, les choses se font d’une façon très empirique. Quand on passe un certain cap, on se rend compte que, de toute façon, même si on changeait d’activité professionnelle, on se retrouverait face aux mêmes écueils, parce que ce sont les nôtres, ce sont nos défauts. J’ai beaucoup de plaisir à faire de la musique. Il y a plein d’autres choses que j’aimerais faire, qui m’intéressent, mais je pense que je me retrouverais exactement face aux mêmes problématiques.

LVP : Votre concert avait lieu vendredi soir au Musée des Arts et Métiers. Selon vous, la musique est-elle plutôt un art ou un métier ?

B : C’est marrant parce que quand les gens disent que c’est un métier, il y a ce côté professionnel de la profession qui m’agace. Mais quand les gens disent que c’est un art, ça m’agace aussi. C’est un peu comme le côté indépendant ou les gens qui se désignent eux-mêmes comme intellectuels. Plus ces gens se désignent eux comme des artistes, moins ce qu’ils font n’a, à mon sens, de valeur artistique.

C’est très bizarre de dire “je suis un artiste” ou “je suis un intellectuel”. C’est comme si quelqu’un disait “je suis beau”. La musique peut procurer des émotions extraordinaires, comme d’autres activités. Je ne suis pas en train de dire que tout est pareil. Mais on a connu une époque, où, quand j’étais plus jeune, il y avait la grande musique qui était la musique classique, et on considérait tout le reste comme complètement mineur. Maintenant, c’est plus du tout pareil, mais dans la musique populaire on sent qu’il y a la grande musique populaire, ce que sont devenus des trucs comme Radiohead ou Björk. La grande musique continue. Dans les années 70, Keith Jarrett, c’était devenu la grande musique, alors qu’avant c’était Mozart.

LVP : Comment définiriez-vous l’identité de Tricatel ?

B : L’identité de Tricatel, c’est d’essayer de sortir des disques qui ne suivent pas la mode du moment mais que l’on aimerait entendre aujourd’hui. Ça veut dire que si quelque chose sort chez nous et que ça pourrait mieux sortir ailleurs, il ne faut pas que ça sorte chez nous.

LVP : Des artistes en particulier vous ont-ils donnés envie de vous lancer en tant que musicien ?

B : Les premiers artistes que j’ai entendu et qui m’ont épaté. Des gens comme Pink Floyd, ça m’a ébloui. Je ne savais pas si j’y arriverai mais ça m’a donné envie. J’adore, aujourd’hui encore, quand il y a des disques qui me donnent à la fois envie de faire de la musique et d’arrêter de faire de la musique, tellement je trouve ça bien. Quand c’est comme ça, c’est réussi. Je trouve qu’un bon disque, il faut que d’une certaine façon, il m’anéantisse. Que je me dise que c’est super et dix fois mieux que ce que je fais.

LVP : Et vous avez eu des coups de cœur de ce genre récemment ?

B : Récemment, l’artiste qui m’a le plus impressionné c’est Louis Cole, un américain qui est à la fois batteur et claviériste, sur disque et sur scène. J’ai eu exactement ce sentiment-là quand je l’ai vu. Je me suis dit que c’était rude et très fort. Ce qui m’épate le plus, c’est quand des gens comme lui arrivent à faire une musique sophistiquée, et en même temps comprise et partagée par le public. Là on se dit que c’est fort.

 

LVP : Quels sont vos projets en cours ?

B : Je prépare un double-album que j’ai commencé à enregistrer, mais qui va me prendre encore un peu de temps. On a beaucoup de projets pour le label et les emplois du temps sont bien remplis, mais il faut déjà que j’arrive à trouver le temps de bien faire cet album pour une sortie à l’automne ou en début d’année prochaine.

LVP : Et enfin, qu’est-ce que je peux vous souhaiter ?

B : J’aimerais garder l’appétit et l’amour de la musique. C’est un plaisir d’en écouter, d’en faire, de la partager avec les autres. Et quand ça devient un métier, comme on en parlait tout à l’heure, il ne faut pas que cette magie-là se perde.

Bertrand Burgalat jouera le jeudi 4 avril au Festival Mythos à Rennes.