Interview fleuve : les 1001 projets de Stephan Eicher
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Auteur·ice : Victor Houillon
14/11/2019

Interview fleuve : les 1001 projets de Stephan Eicher

Lui, c’est celui dont vos mères étaient amoureuses et vos pères admiratifs. Rapidement érigé au rang de coqueluche du public avec les succès de Combien de temps et Déjeuner en paix, celui qui avait démarré par le post-punk aura pourtant toujours choisi le contre-pied pour se sortir du star-system. Une industrie qui l’a par ailleurs mis au repos forcé pendant les sept dernières années pour cause de conflit avec sa maison de disque, une période qui a atteint l’artiste aussi bien moralement que physiquement. D’habitude réservé aux gros médias, il a pourtant accepté de faire une infidélité à Nagui pour une discussion sans filtres où il balance quelques exclus juteuses sur ses projets fous. Rencontre de prestige avec le dandy Suisse, Stephan Eicher.

 

La Vague Parallèle : Bonjour Stephan ! On vous rencontre quelques semaines après la sortie de Homeless Songs, votre nouvel album. Vous avez eu des retours intéressants ?

Stephan Eicher : Oui, beaucoup de retours. J’ai déjà commencé la tournée depuis trois semaines. J’ai fait un disque où je n’ai pas pensé aux médias, au format… (il chuchote). Je n’ai même pas trop pensé au public (rires). J’ai pris les paroles de Philippe Djian et Martin Suter, mes amis, en me disant “Comment peux-tu les sublimer ? Comment amener la lettre la plus simple, la plus directe ?” J’ai fait ce disque en n’écoutant presque personne, avec seulement deux musiciens, Martin Gallop à la guitare et Reyn Ouwehand au piano. On a fait les prises ensemble, et c’est devenu la team qui s’occupait de ses chansons dont on ignorait si elles sortiraient un jour. J’ai donc discuté avec ces deux personnes-là, oui, mais jamais une maison de disque ou un manager n’est entré dans le studio. Le critère, c’était que si ça nous avait touché, on se disait “c’est bon, on arrête“. Certaines chansons, on ne les a délibérément pas finalisées. Il y a un orchestre sur quelques chansons, et on me demande souvent “Pourquoi tu ne l’as pas mis partout ?” Eh bien, parce que je n’en avais pas envie (rires) ! S’il est présent partout, il en devient invisible. Je remarque que, maintenant que je ne travaille plus pour leur plaire, les médias réagissent étonnamment bien.

Je ne souhaite ça à personne. Ce qui s’est passé pendant sept ans, honnêtement, c’est devenu quelque chose de physiquement dangereux pour moi.

LVP : Cette pause forcée de sept ans, c’était donc peut-être un mal pour un bien ? (NDLR : en conflit avec sa maison de disque, Stephan Eicher n’a pu sortir d’album pendant une longue période)

SE : Je ne souhaite ça à personne. Ce qui s’est passé pendant sept ans, honnêtement, c’est devenu quelque chose de physiquement dangereux pour moi. Là ça va, je vous retrouve sans canne, sans anti-douleurs, sans médicaments, mais cette histoire m’a forcé à arrêter la musique pendant trois mois parce que je ne m’en sortais plus. J’étais malheureux, et mon corps a commencé à créer des douleurs, créer des problèmes, qui m’ont empêché de voyager. Encore une fois, je ne souhaite cela à personne. Mais, qu’est-ce qu’un artiste ? C’est quelqu’un qui n’arrive pas à s’exprimer dans la société, et qui, par le livre, le ballet, le théâtre ou la chanson, trouve le moyen d’exprimer qu’il est toujours frustré. La deuxième chose, c’est peut-être aussi que l’artiste essaye de trouver des solutions, de faire fonctionner quelque chose qui n’est pas prédestiné à fonctionner. De ce côté-là, la musique est une chose extraordinaire. Imaginons qu’on soit en majeur, et que tout à coup quelqu’un fasse une faute et joue en mineur, on va crier “attends, c’est pas mal ça ! Pourquoi on ne changerait pas totalement l’idée de la chanson ?“. Ce type d’accidents m’arrive beaucoup. Je voulais faire un prochain disque après l’Envolée, puis une tournée, et il y a eu cette espèce de tribunal qui bloque tout. Je suis donc parti en tournée avec des automates en reprenant mes anciens tubes, et c’est devenu une des tournées préférées de ma carrière. Peut-être que c’est ça, un artiste : quelqu’un qui essaye de s’en sortir, de ne pas se noyer.

LVP : Vous faites également du dessin, pourquoi ne pas avoir utilisé cette autre forme d’art pour évacuer cette frustration ?

SE : Je suis moins bon ! J’ai quand même une famille à nourrir (rires). Le dessin ne m’aurait même pas nourri moi-même. C’est vrai, oui, je dessine, je photographie aussi. Mais la musique est arrivée assez tôt, à 19 ans avec mon frère dans un groupe qui s’appelle Grauzone. Même si on nous a mal traités, que l’on ne nous a pas payés comme il aurait fallu, si vous vendez un million de singles, même en étant très, très, très mal payés, tout à coup vous pouvez vivre de votre passion. C’est dès cet âge-là que j’ai remarqué que la musique pouvait faire vivre ma famille. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles j’ai poursuivi dans cette voie. Vraiment, je crois que je nourrirais même pas mon chien avec mes dessins.

 

Grauzone ? Il y a le deuxième disque. (…) On n’a jamais été si proche.

LVP : Vous mentionnez Grauzone. Cette année, on a vu des groupes comme Kraftwerk ou New Order se reformer pour des tournées d’anthologie. Ça vous tenterait de faire de même ?

SE : Absolument ! Pas une tournée, mais il y a le deuxième disque. Je ne chante que deux ou trois chansons sur le premier disque, c’est surtout mon frère Martin qui a écrit les plus belles paroles, les plus belles musiques de Grauzone. On s’est retrouvé en septembre dans mon studio pour retravailler sur des idées. Pour moi c’est plus amusant que pour lui, parce qu’il fait le gros travail alors que je me contente de produire, plus ou moins. Mais je trouve ça amusant de dire “le deuxième disque nous a pris quarante ans“. Ce doit être une sorte de record.

LVP : Potentiellement, on pourrait donc avoir ce disque tant attendu en 2020 ?

SE : Je ne saurais pas dire quand exactement, mais on n’a jamais été si proche. Certaines des nouvelles pièces qu’il a écrites me bouleversent. Elles sont beaucoup plus orchestrales, moins minimalistes, mais ça reste son style. Les gens seraient surpris s’ils les entendaient. Ça délaisse le post-punk pour devenir très cinématographique, très noir. Très, très noir (rires). Très, très Metropolis.

 

On s’est dit “là, on est bon” quand on a vu que des bagarres éclataient lors de nos concerts

LVP : Grauzone chantait en bernois ou en allemand ?

SE : En allemand. À l’école, on apprend l’allemand écrit car tous les Suisses parlent des langues différentes. Mais en tant que Suisses, on était sensé chanter en anglais, voire en français ou en italien. Chanter en allemand était considéré comme un affront. Nous, on était des fouteurs de merde. On s’est dit “là, on est bon” quand on a vu que des bagarres éclataient lors de nos concerts. J’ai donc poussé mon frère à continuer à chanter en allemand, ce qu’il fait très bien d’ailleurs, car on a une grand-mère qui vient culturellement d’Allemagne, avant de l’avoir quittée pendant la Seconde guerre mondiale.

 

Ce texte de Philippe ! Comment arrive-t-on à un texte comme ça ?

LVP : Pour en revenir à Homeless Songs, c’est un disque qui fait la part belle aux textes de Philippe Djian et Martin Suter. Comment faites-vous pour vous approprier les textes d’autrui ?

SE : Ce disque est différent des précédents, les deux m’ont vu mal en point. Ils m’ont rendu visite à l’hôpital, et on a parlé de cette histoire, du fait que je n’allais pas bien. Ils ont pris compte de ça. Si Tu Veux Que Je Chante peut par exemple à la fois être vu comme une chanson sur une relation amoureuse ou sur l’industrie du disque. C’est le génie de ces deux garçons. Une chanson comme Prisonnière, c’est encore autre chose. Ce texte de Philippe ! Comment arrive-t-on à un texte comme ça ? Il prend le rôle d’une femme, avec cette idée de soumission qui est une force. C’est vraiment troublant. C’est comme son roman Oh… qui a donné le film Elle avec Isabelle Huppert, ça me gêne à la base, ce que tu décris. Mais après, ça me touche aussi, c’est tellement bien exécuté. Il n’y a que lui et Michel Houellebecq pour faire ça. Là, je lui ai dit “Continue, continue, c’est bon ça, on est bon !

 

L’abstrait. J’ai plus de couleurs, plus de libertés. Et sur un texte comme Papillons, wow ! Je peux nager très, très loin du bord.

LVP : Les chansons de Philippe Djian peuvent être très abstraites, comme Papillons, ou très concrètes, comme Tu Ne Me Dois Rien. Qu’est-ce qui est le plus intéressant à travailler ?

SE : L’abstrait. J’ai plus de couleurs, plus de libertés. En ce moment, je suis sur un trip où je cherche à servir le texte, pas une idée médiatique. Et sur un texte comme Papillons, wow ! Je peux nager très, très loin du bord. Tu Ne Me Dois Rien, je l’adore, c’est une de mes chansons préférées pour finir un concert, mais ça reste du storytelling. Déjeuner En Paix a également un storytelling puissant. Mais aujourd’hui, j’ai un faible pour les chansons dont chacun peut faire une projection très libre. C’est ce que je cherche. Si je voulais vraiment guider les gens vers la lumière, je ferais de la politique. J’aime que chacun soit libre de finir la chanson dans sa tête.

 

Chacun essaye d’impressionner l’autre, c’est un concours très tendre.

LVP : Une fois que vous avez adapté un texte en musique, les auteurs ont-ils un droit de regard ?

SE : Ce n’est pas un droit de regard, plutôt un plaisir physique. C’est comme s’écrire des lettres au XIXème siècle, ils m’envoient les textes et attendent la réponse. Chacun essaye d’impressionner l’autre, c’est un concours très tendre. Certaines chansons existent en cinq versions différentes, comme Papillons, dont c’est la deuxième sortie en un an. Une chanson bouge, c’est une connerie de l’enregistrer. Regardez Joan Sebastian Bach, ses pièces n’ont jamais été enregistrées, ce qui veut dire que chacun est libre de les interpréter à sa manière. Je suis sûr que la manière dont Glenn Gould a joué Bach n’était pas la manière dont Bach l’avait imaginé, mais le génie de Glenn Gould est justement cette proposition différente. Je trouve ça dommage que Satisfaction soit figée dans un même tempo, une même attitude. Ce qui est difficile en plus pour les Stones, qui avaient vingt ans à l’époque et qui doivent en avoir au moins trente désormais. J’aime réinventer tout le temps. En revanche, je ne touche pas les paroles. Si elles ne me parlent pas, je les range dans un tiroir et ne les chante pas. Le chemin parcouru au fil des versions – parfois totalement différentes – pour arriver à la chanson finale est troublant. C’est un peu schizophrène de ma part. Parfois, je voudrais sortir un disque avec toutes ces versions d’un même morceau.

LVP : C’est pourtant ce que vous aviez fait pour Oh Ironie !

SE : Oui, avec une version électronique, instrumentale, piano-bar… Ah, je vois que vous êtes connaisseur !

LVP : Je ne pense pas être le seul de ma génération. Que ce soient les textes ou les arrangements, votre musique aborde des thèmes qui parlent à tout le monde.

SE : Ça serait un plaisir. Je sais que Grauzone a désormais beaucoup plus de fans jeunes qu’anciens, de par cette énergie et ce minimalisme. Chez moi, je ne sais pas trop.

LVP : Depuis Déjeuner En Paix ou même Eisbaer, vous avez toujours pris le contre-pied de ce que l’on attendait de vous…

SE : … Oui, car je m’ennuie très vite (rires).

C’est surprenant, cette fidélité en France. Si on participe une fois dans leur vie comme bande-son, ils resteront fidèles.

LVP : Malgré cela, et ces sept ans sans sortir de disque, on voit que vous avez une base d’admirateurs qui vous sont restés fidèles.

SE : Oui, et j’ai beaucoup de chance. Autrement, je n’aurais pu ni payer mes avocats, ni nourrir ma famille. C’est surprenant, cette fidélité, en France. Si on participe une fois dans leur vie comme bande-son, ils resteront fidèles. C’est moins le cas par exemple en Allemagne. Les États-Unis ont bombardé le monde avec leur musique. Les Allemands font maintenant de la musique américaine. La France, au contraire, a su garder sa propre culture. Edith Piaf a donné la main à Jacques Brel, qui a donné la main à Nougaro, vous voyez ce que je veux dire ?

LVP : Tout à fait ! Souvent, vous adaptez les textes français en ballades alors que les textes allemands donnent plus souvent des valses voire du jazz.

SE : Oui, la langue influence beaucoup de par sa sonorité. C’est très difficile de faire du rock français, la voix partage trop d’éléments avec la guitare et les autres instruments, ce son en “sss“, comme un charley de batterie. L’anglais au contraire est parfait : Be Bop A Luna, She’s My Baby. Il y a des angles dans les sonorités allemandes qui permettent d’aller vers des valses. C’est difficile de chanter vite en français. Monsieur Je Ne Sais Pas Trop fut un challenge, car ce n’est pas simple de chanter vite et bas. C’est justement pour ça que je voulais vraiment arriver à finir cette chanson. Mais sur scène, je lutte.

L’idée même de public est quand même quelque chose de fascinant.

LVP : Sur ce nouveau projet, quelles sont les chansons que vous préférez chanter sur scène ?

SE : La scène, c’est vraiment une chimie bizarre. Le premier qui influence le résultat, c’est finalement l’architecte de la salle. S’il était inspiré, vous savez que, même si vous êtes fatigué ou malade, ce sera un bon concert. Au contraire, dans certaines salles, même si vous avez le meilleur groupe possible et que le public est chaud, vos chansons vont tirer à côté. Ça, c’est la première chose. La deuxième, c’est que l’idée même de public est quand même quelque chose de fascinant. Quelqu’un qui se dit “ce soir, j’y vais“. Il s’assoit, ils sont plusieurs, il créé une attention… C’est émouvant. Personne ne regarde son téléphone, et une espèce de chimie se forme. C’est fascinant, et différent à chaque fois. Mais, même si ce que je dis sonne un peu ésotérique, je dépends vraiment de l’architecte. Je ne vais plus dans certains endroits, pas parce que je n’aime plus la ville ou le pays, mais parce que la salle ne fait pas de sens.

LVP : Ce genre de considérations a donc guidé votre choix vers l’Opéra Comique, où vous jouerez les 18, 19 et 20 novembre ?

SE : On a visité trois fois cette salle avant de prendre une décision. Déjà, c’est un lieu où on ne peut pas facilement entrer. À l’image des Bouffes du Nord, il faut avoir un projet qui séduit les programmateurs de ces salles. Ensuite, j’y ai envoyé trois fois mon équipe afin d’étudier si c’était faisable ou non. Au final, on s’est dit que c’était tellement beau qu’on ne pouvait pas ne pas y aller, même si le son est mauvais, on s’en fout. Bien sûr, c’est une blague (rires).

LVP : On évoquait cette relation particulière avec votre public. Sur Hüh !, vous avez tenu à faire de votre public la chorale de quelques chansons, dont je fais humblement partie…

SE : … Vous êtes un des chanteurs ? Hey (il applaudit) !

LVP : En effet ! Mais ce n’était pas trop compliqué d’intégrer ces chants, en termes de production ?

SE : Non, mais ça m’a pris trois jours quand même. J’ai dû sampler les différents chants et jouer avec un mixeur. C’était une performance de faire sonner le tout comme si tout le monde était au même endroit, alors que le groupe était enregistré en studio et vous en concert (rires). Je voulais que ça sonne trop grand, qu’on se dise “c’est un disque, un concert ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ?” Je voulais qu’on ne sache plus qui on était. Je voulais en faire trop. Il y a deux chansons que vous avez chantées que je n’ai pas réussi à concrétiser, et cela m’embête beaucoup. Peut-être une question de justesse, de tempo.

Que les musiciens prennent des somnifères au début du concert et qu’ils commencent à s’endormir doucement (rires). Ça m’intéresse de voir comment le public réagirait.

LVP : Vous avez fait énormément de choses, allant du post-punk avec Grauzone à la power-ballad pour Johnny Hallyday. Y a-t-il un projet que vous n’avez pas encore eu le temps de concrétiser ?

SE : Il y en a plein ! Je note des projets dans des classeurs. L’autre fois, quand je n’étais vraiment pas bien, je m’y suis plongé en me disant que je n’aurais jamais assez de temps sur cette terre pour tout faire, qu’il fallait que je commence à faire des choix. Il y a un projet que je n’ai pas encore osé faire avec Die Polstergruppe, qui se rapproche d’ailleurs plus d’un happening artistique que d’un concert. J’ai déjà joué avec eux, et le but est de faire s’endormir le public, qui est sur des transats, avec une musique vraiment planante. Si quelqu’un ronfle, c’est gagné. Je voudrais inverser cela. Que les musiciens prennent des somnifères au début du concert et qu’ils commencent à s’endormir doucement (rires). Ça m’intéresse de voir comment le public réagirait. Est-ce qu’il nous laisserait dormir ? Est-ce qu’il part ? Est-ce qu’il attend ? Il y a d’autres trucs. J’aimerais vraiment bien arriver à ce deuxième disque de Grauzone. Et continuer pendant quelques années à faire des chansons. C’est vraiment ce que j’adore. Là, j’en ai encore pour deux jours de promo, puis je peux retourner écrire.

LVP : Vous qui avez beaucoup voyager, vous préférez écrire ?

SE : Non, chanter sur scène et écrire sont vraiment les deux choses que je préfère. Mais c’est vrai que j’ai beaucoup écrit de choses qui ne sont jamais sorties pendant ces sept dernières années, et j’aimerais bien finir quelques idées.

Quelques-uns sont tombés dans les pommes parce qu’ils n’étaient ni nourris ni hydratés, j’ai dû leur amener de l’eau. Ce sont des projets qui m’amusent beaucoup.

LVP : Il faut donc s’attendre à de nouveaux albums bientôt ?

SE : Oui, c’était l’idée. Après, j’aime les spectacles assez élaborés qui prennent du temps à préparer. La France ne m’a pas encore invité pour cela, mais j’ai récemment fait un concert de six heures avec plusieurs groupes et 190 musiciens. Grauzone, puis le Homeless Songs Group, puis un groupe de bluegrass, pour finir avec une chorale de 120 personnes, et le Traktorkestar. On m’avait demandé de faire un “grand concert” à la Philarmonie de Berne. Pour moi, cela signifie faire trop. Mais le public est resté ! Quelques-uns sont tombés dans les pommes parce qu’ils n’étaient ni nourris, ni hydratés, j’ai dû leur amener de l’eau. Ce sont des projets qui m’amusent beaucoup. J’ai récemment travaillé avec un cirque au Paléo Festival. Les acrobates remplacent les solos des instruments. Mais les gens n’osent pas m’inviter avec ce projet en France. Ça leur fait trop peur.

LVP : En ce moment, pas mal d’artistes émergents partagent l’esthétique post-punk de Grauzone. Vous écoutez un peu ce qui sort actuellement ?

SE : Oui, pas mal, car il y a un projet – encore un projet, oui – qui n’est pas abouti. J’ai retrouvé des enregistrements de notre cave de répétition, et il y a six chansons inédites de Grauzone. Mon frère ne veut pas les finir, mais ce sont des bonnes chansons. On voudrait que tous ces groupes qui ont été influencés par Grauzone en choisissent une et l’enregistrent, pour un disque de reprises de chansons inédites. C’est comme si on avait un scénario de film aujourd’hui qui dise que le jeune De Niro entre dans une pièce, et que comme De Niro est maintenant âgé, il faille trouver un acteur pour jouer De Niro. Vous voyez le concept (rires) ? Ce seraient donc des jeunes groupes de Berlin. On travaille dessus avec le label underground We Release What The Fuck We Want.

 

Je n’ai plus l’attitude et la naïveté de croire que je suis Suicide à moi tout seul. En revanche, je travaille avec Superpoze en chantant sur sa musique électronique, on verra ce que ça donne.

LVP : C’est intéressant de voir que vous gardez cette curiosité vis-à-vis de la musique. Il y a d’ailleurs du vocoder sur votre nouvelle chanson Niene Dehei.

SE : Ce sont les instruments que je garde depuis mon tout premier album, Spielt Noise Boys. Ils sont toujours là, dans un coin de studio, et je m’amuse avec eux de temps en temps. Mais je n’ai plus l’attitude et la naïveté de croire que je suis Suicide à moi tout seul. En revanche, je travaille avec Superpoze en chantant sur sa musique électronique, on verra ce que ça donne.

LVP : Vous écoutez quoi en ce moment ?

SE : Vous pouvez le savoir sur Spotify ! J’ai fait une playlist avec toutes les chansons qui m’ont amené aux Homeless Songs. Là, j’en fais une deuxième qui m’amène au prochain disque. Vous pouvez voir tout ce que j’ai piqué (rires).

LVP : Pour finir, je me demandais si vous n’aviez jamais eu l’idée de mettre en avant vos dessins ?

SE : J’avais fait l’affiche de mon concert de six heures.  Mais je ne crois pas que ce soit très bon. Et sur un autre concert, un des participants, Michel Mayor, avait gagné le prix Nobel de physique pour avoir découvert la première exoplanète. Je voulais qu’il nous explique comment le monde allait évoluer pendant une performance artistique. Un membre de mon groupe qui a un prix Nobel, ce n’est pas rien ! Donc je vais faire la scénographie de ce projet. Si vous voulez vraiment voir mes dessins, un livre devrait sortir en Suisse par rapport à un concert où j’avais interdit les caméras, remplacées par trois dessinateurs. J’y contribue avec quelques esquisses. Voilà, vous avez entendu pleins de projets.

LVP : En effet ! Je suis notamment très curieux d’entendre ce nouveau Grauzone.

SE : Moi aussi… Ce n’est pas gagné, car mon frère est très lunatique, et jamais content. Là, on vient d’acheter quatre microphones et cinq pre-amps, tout en mono, pour qu’il soit satisfait… Mais ça sonne génial. Si vous avez une mono qui sonne bien, on s’en fout de la stéréo. Une seule baffle pour un orchestre… Il est fatiguant mais c’est un génie.

Stephan Eicher sera en concert les 18, 19 et 20 novembre 2019 à l’Opéra Comique.  

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