Intimate Immensity : Tomaga entre terre et ciel
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Auteur·ice : Marion Fouré
21/04/2021

Intimate Immensity : Tomaga entre terre et ciel

Il est des œuvres musicales dont le pouvoir émotionnel est intimement lié à un événement, une histoire, et ce pour l’éternité. Achevé peu de temps avant le décès tragique du regretté Tom Relleen, Intimate Immensity (Hands in the Dark Records) est le dernier héritage du duo britannique formé en 2013 avec la percussionniste Valentina Magaletti. Voyage instrumental dépaysant et immersif, empreint d’un sentiment d’urgence face à une mort aux aguets, ce dernier disque constitue certainement la plus belle production de l’insaisissable Tomaga, qui tire sa révérence en ayant atteint l’apogée. 

Tomaga a toujours produit autour de lui un effet de fascination et de curiosité en se construisant au fil des années une solide réputation de projet expérimental pointu, fusionnant avec virtuosité la motorik, l’industriel, le psychédélisme ou encore l’ambient. Toujours en quête d’exploration, avec une obsession évidente pour la déconstruction, Tom et Valentina, déjà partenaires au sein du groupe de rock psyché The Oscillation, ont érigé avec Tomaga un univers parallèle en perpétuel mouvement, parfois étrange, bien loin des schémas conventionnels. Leur imagination unique et débordante a donné naissance à une musique instrumentale analogique d’avant-garde où rythmiques étourdissantes et thèmes mélodiques éclectiques évoluent en parfaite symbiose dans les dédales d’un spectre sonore aussi large que complexe. Depuis Futura Grotesk en 2014, Tomaga n’a cessé de nous surprendre agréablement, en veillant toujours à diffuser cette aura enivrante si singulière. 

Moins bruitiste et alambiqué que les premiers albums, Intimate Immensity n’en demeure pas moins percutant et ô combien particulier lorsqu’on connaît son contexte de création. Fruit de deux années de travail acharné, ce dernier disque composé à huis clos aura finalement été achevé dans l’agitation, Tom Relleen se sachant condamné par un cancer foudroyant. Spontanément, cet ultime voyage sonore est devenu son tombeau spirituel et artistique aux côtés d’une époustouflante Valentina Magaletti dont les rythmiques tribales obsédantes occupent le premier plan. Le temps s’évapore, la réalité s’embrume au fil des dix titres très cinématographiques qui mettent littéralement nos sens en émoi. Une telle richesse instrumentale peut désorienter, mais c’est dans la répétition qu’elle finit par s’imprimer dans notre esprit et révéler toute l’ampleur de son pouvoir mystique, ésotérique, qui nous conduit jusqu’à l’état de transe. À l’instar de Dead Can Dance, l’expérience sonore est absolue, luxuriante et imprégnée d’un exotisme intemporel. Les titres Idioma et Mompfie Has to Pay plantent instantanément le décor de cette fiction “ethnicosmique” où percussions hypnotiques et synthés réverbérants s’épousent de manière innée.

 

Sur une autre planète de la galaxie Tomaga, The Snake et sa couleur psych-orientale nous font voyager dans une autre dimension, à la croisée d’Eric Serra (Le Cinquième Élément) et du fascinant Muslimgauze. Cette parenthèse sera de courte durée, car les percussions effrénées de Very Never (My Mind Extends) prennent le relai dans le bruit et l’urgence. D’une beauté envoûtante, le seul titre chanté de l’album fait mouche, sublimé par une Cathy Lucas (Vanishing Twin) semblant adresser un message incantatoire vers l’au-delà. Le tempo s’accélère toujours plus avec More Flowers qui lorgne du côté de l’électro-ambient aux accents world évoquant par moments la jeune discographie de Bonobo. Soudainement, un triptyque sonore aux allures de rite funéraire vient bouleverser l’atmosphère. Le martial King of Naples, le bruitiste et distordu Non Sia Mai, dont la sirène introductive sonne le glas d’un cycle, et enfin British Wildlife, nous invitent avec leurs percussions processionnelles et irrépressibles à une danse quasi macabre. Dans cette manière de jouer du minimalisme et de la répétition avec d’infimes variations, Tomaga ressuscite ici d’une manière très personnelle la musique de Silver Apples. Après la mort, le paradis ? Reverie for Fragile Houseplants flotte dans les airs avec une douceur onirique. Un sentiment d’immensité, de paix intérieure s’exprime, loin du tumulte terrestre. L’heure est maintenant aux adieux. Le morceau éponyme de l’album prend alors les airs d’un grand thème de musique de film dans sa dimension élégiaque et majestueuse. Pour son bouquet final, Tomaga nous brise le cœur et quelque part, on ne pouvait pas rêver plus beau dénouement.

 

Vous ne sortirez pas indemne de ce disque. Ce qui est certain c’est qu’il mérite qu’on s’en souvienne, qu’on le fasse vivre, à la mémoire d’un grand duo à l’apogée de son talent. À l’évidence, Intimate Immensity laissera une empreinte pérenne dans le milieu de la musique instrumentale et à travers lui, Tom Relleen existera pour toujours. Amen.


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