Into The Great Wide Open : insolite insulaire
"
Auteur·ice : Flavio Sillitti
20/09/2019

Into The Great Wide Open : insolite insulaire

“Ici c’est notre petit secret, n’en parlez à personne” nous partage une jeune mélomane au beau milieu de la file des toilettes, visiblement interpellée par la présence de deux francophones sur l’île de Vlieland. Il faut dire qu’il n’est pas coutume d’accueillir des étrangers sur les 36 kilomètres d’île néerlandaise accueillant chaque année l’un des festivals les plus discrets d’Europe. Logé au nord de la Hollande, ce cadre somptueux mêlant terre, mer et bières nous a offert la chance de découvrir ses secrets et de profiter de quelques jours de pure évasion, perdus entre dunes ensablées électroniques ou bosquets verdoyants acoustiques. Finalement décidés à trahir notre nouvelle meilleure amie/partenaire de queue de WC, nous vous racontons notre séjour aux Pays-Bas au cœur de l’éclectique Into The Great Wide Open. Attention : la suite de l’article est vivement déconseillée aux personnes sensibles aux bicyclettes hollandaises, aux mouettes bruyantes et à la bonne musique. 

Notre périple commence quelque part aux côtes venteuses du nord de l’Europe. Un ferry y a donné rendez-vous à quelques 7.000 amateurs de musique pour les emmener là où la magie opère : Vlieland. Plus petite île de l’archipel qui forme les îles de Wadden, c’est la terre sacrée de l’avant-gardisme trendy hyper prisé de tout bon hollandais du nord qui se respecte. Mais voilà, cette tendance se mérite : en effet, les tickets pour le fameux événement s’écoulent comme des petits pains en une quinzaine de minutes seulement, laissant un sourire indélébile à tous les chanceux présents sur place. C’est parmi eux que l’on naviguera une Mer du Nord calme et paisible, caressée par le soleil de plomb qui baignera gracieusement notre séjour. Un voyage en bateau ? Et l’écologie dans tout cela ? On y venait : Into The Great Wide Open se la joue bon élève en termes de sensibilisation à la cause écologique, à l’image du superbe We Love Green près de chez nous. En imposant l’utilisation exclusive de biocarburants de seconde génération sur l’île, l’événement a su, par exemple, réduire en 2016 sa production de CO2 de près de 85%. Une initiative parmi tant d’autres, on s’émerveillera notamment face au système de douches circulaires du camping, d’une abolition presque totale de l’argent cash et d’une très esthétique toilette en hauteur avec vue panoramique sur le festival qui laissera s’entasser les petits besoins des festivaliers pour produire un compost aussi organique que collaboratif. So poetic.

Contribuant fortement au statut eco-friendly du festival, on notera aussi l’absence plutôt surprenante de deux choses sur l’île : la voiture et la clope. La première se fait extrêmement rare sur toute la surface du Vlieland, poussant les insulaires d’un week-end à s’accommoder aux bonnes vieilles bécanes hollandaises aussi compliquées à manipuler qu’un bulletin de vote. Véhicule indispensable lorsque l’on sait que les scènes sont dispersées de façon éparse sur l’île, séparées parfois par plusieurs kilomètres. L’occasion de s’improviser maillot jaune du Tour de France le temps d’une balade le long des paysages somptueux de ces côtes septentrionales qui plairont sans doute à vos yeux mais nettement moins à vos fesses. Pour la cigarette, s’il est inutile de vous rappeler qu’elle vous tue lentement, il est nécessaire de souligner que c’est moche. Dans le milieu festivalier, la prolifération des mégots ci et là entache grandement le cadre. Ici, il n’en est rien ! Les pancartes Rookvrij sont donc omniprésentes sur l’ensemble de l’île, laissant seulement place à deux mini-zones fumeurs près de la Main Stage. Malgré quelques clopes grillées presque illégalement à la va-vite, nous adhérons amplement à cette politique contribuant tant au confort des festivaliers qu’à la maintenance de la flore fragile des sites accueillant les monstres à polluer que sont les festivals de musique de notre époque. Chapeau bas pour la mentalité sans faille d’une organisation éthique et évolutive capable d’allier les fondements d’un événement musical à grande échelle et la responsabilisation environnementale de chacun.

Et forcément, tout cela paie : Into The Great Wide Open nous en met plein la vue. Tout nous manquera, du vacarme des mouettes voisines de camping aux sombres sentiers empruntés à vélo au milieu de la nuit avec un verre en trop dans le nez, en passant par les innombrables œuvres d’art s’invitant discrètement au milieu des forêts du Vlieland. Car si la musique est centrale, l’art plastique brille également au travers de pièces esthétiques, abstraites ou symboliques. L’occasion de se laisser fasciner par l’esthétisme d’une discipline moins familière, qui colle parfaitement à l’univers de l’île et se marie avec passion au line-up musical.

C’est dans cette atmosphère bienveillante que l’on s’aventurera dans les bois profonds de l’est de l’île pour y expérimenter des effusions musicales toutes particulières, des prestations artistiques sublimées par le cadre féerique les invitant. On retiendra particulièrement l’atmosphère chaleureuse et intense de la scène Bij de Ijsbaan, un écrin perdu sous des grattes-ciels végétaux qui nous offrira notamment la prestation d’Angelo De Augustine, celui dont la mélancolie introvertie et la troublante pudeur auront su figer le temps en cette chaude après-midi d’été. Une beauté rare comparable à celle de Winnie Raeder, véritable découverte qui n’ira pas sans rappeler les débuts d’une certaine Adele. Voix forte et mélodies crève-cœur mielleuses, c’est acclamée par un public envoûté qu’elle se verra réquisitionnée sur scène pour un rappel inopiné nous laissant planer une seconde fois sur l’une de ses merveilles. Toujours sur cette même scène, c’est la belge Charlotte Adigéry qui s’est chargée d’embraser la première nuit du festival pour le plus grand bonheur de nos oreilles et de nos corps électrifiés par son virevoltant Paténipat ou par l’efficacité de son tube High Lights.

Quelques coups de pédales plus loin, c’est une autre scène qui restera dans les esprits : Open Plek. Plus grande, elle peut compter sur un foisonnement de food trucks et autres bars à cocktails hors de prix pour attirer une foule plus dense et, de ce fait, galvaniser les shows qui s’y déroulent. Superorganism assurera un live coloré et déjanté porté par la nonchalance grossière et attachante de sa leadeuse et par l’innocence pétillante des chœurs. Pas question ici de compositions prodigieuses ou de justesse vocale (nos oreilles saignent encore suite à cette reprise déconcertante du tube Congratulations de Post Malone) mais plutôt de prestance scénique, d’explosion de good vibes et autres gimmicks gracieusement exécutés qui rendent la performance captivante et dansante. Pas si étonnant donc d’entendre leur hymne Something For Your M.I.N.D. chantonnée à tue-tête chaque matin du festival dans les douches du camping (circulaires, on le rappelle !). S’en suivra l’ardente performance de la pépite r’n’b made in Holland Rimon. Véritable fierté nationale, la scène urbaine s’apprête à faire de la place pour cette voix d’or influencée par la soul de Jorja Smith, le charisme de Ms. Lauryn Hill et le flow de Little Simz. Finalement, c’est sur cette même scène qu’on retrouvera l’un de nos coups de cœur de l’année : Ex:Re. Le projet éphémère de la chanteuse du somptueux groupe Daughter nous aura chamboulé à de multiples reprises et on ne se lasse pas de la mélancolie frissonnante des représentations de ce nouveau quatuor, rassemblé une dernière fois sur scène pour un concert percutant d’une intensité folle. La scène principale de l’Into The Great Open, nommée Sportveld, ne sera pas en reste avec une programmation de qualité comptant le mystique Tamino, le band ascendant Jungle, la funk rétro du collectif Parcels ou encore la sensation électrique Hot Chip qui nous offrira l’un des concerts les plus bouillants du festival.

 

Quelques semaines plus tard, on ne se remet pas vraiment de cette incroyable virée en terres inconnues. Un sans faute pour ce festival qui ne promet rien et offre tout. Si son caractère intimiste fait son charme, ce n’est qu’une question de temps avant que le monde entier n’entende parler de lui. Courrez-y donc assez tôt pour profiter, vous aussi, des joies du “great wide open”.


Plus d’infos : https://intothegreatwideopen.nl

@ET-DC@eyJkeW5hbWljIjp0cnVlLCJjb250ZW50IjoiY3VzdG9tX21ldGFfY2hvaXNpcl9sYV9jb3VsZXVyX2RlX3NvdWxpZ25lbWVudCIsInNldHRpbmdzIjp7ImJlZm9yZSI6IiIsImFmdGVyIjoiIiwiZW5hYmxlX2h0bWwiOiJvZmYifX0=@