Isaac Delusion : “Nous avons osé nous réinventer”
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Auteur·ice : Lisa Margaux Omri
27/10/2020

Isaac Delusion : “Nous avons osé nous réinventer”

Avec leur nouvel EP, Make It, les Isaac Delusion sont bien décidés à sortir le monde entier de la vague de morosité qui nous submerge une seconde fois cette année. C’est d’ailleurs de cette noirceur qu’est né leur troisième EP. Entre sentiments troublés par l’expérience du confinement et créativité retrouvée au contact de la tranquillité d’un monde à l’arrêt, Jules et Loïc relèvent le défi de la mise à nu assumée. Comme un moment privilégié avec le groupe, Make It est une véritable invitation au lâcher-prise et à la spontanéité. 

La Vague Parallèle : Bonjour ! Tout d’abord, comment allez-vous ? 

Jules Pacotte : On va très bien !

LVP :  Quel impact a eu cette année particulière sur ce nouvel EP et sur le groupe ? 

Loïc Fleury : L’impact qu’a eu cette année a été de nous conforter dans notre démarche de réconfort et de donner du bonheur aux gens. Par les temps qui courent je pense qu’on se sent vraiment utile, on sent qu’on a une mission, et cette mission c’est de les sortir un peu de leur quotidien morose.

LVP : L’EP a été composé pendant le confinement. Quelle a été votre méthode de travail  ?

JP : On a tout fait à distance, en partant de la composition, jusqu’au mixage, au mastering. Ça a été une manière de travailler très inédite. On a l’habitude de travailler un peu à distance au début de l’étape de composition, on se renvoie la balle et on ajoute des éléments entre nous. Mais d’habitude il y a toujours un moment où l’on se retrouve en studio avec les autres membres du groupe, avec un ingénieur du son. Là c’est quelque chose qu’on n’a pas eu, mais on a réussi à rendre ça fluide et ça ne nous a pas dérangés dans notre processus. On se partage les tâches, on crée les morceaux à deux. Certains morceaux viennent de l’un ou de l’autre, on alterne et on pense que c’est ce qui fait la richesse musicale.

LVP : À la sortie de votre deuxième album, vous étiez assez effrayés à l’idée qu’il ne plaise pas autant que le premier. Vous avez dit que vous vous étiez finalement beaucoup plus facilement lâchés sur le troisième et que vous n’aviez plus peur de faire des choix artistiques différents. Justement, sur Make It, il y a des chansons qui ont été écrites il y a plusieurs années, pourquoi les sortir maintenant ? Vous n’aviez pas osé a l’époque ?

LF : C’est exactement ça !

JP : Ce sont des morceaux qu’on aimait beaucoup et qu’on avait composés pour l’EP 2. On n’avait pas osé les sortir à l’époque, ça ne rentrait pas dans les albums, et on avait peur qu’ils ne plaisent pas. Sur ce nouvel EP il y a eu un côté un peu décomplexé, où on s’est dit que c’était le moment de sortir les morceaux qui nous tenaient à cœur. Ne pas trop réfléchir et assumer que le fait qu’on les aime est une raison suffisante pour les présenter au public.

LVP : Le titre Make it feat Silly Boy Blue est un beau message d’espoir. Vous parlez du fait de ne pas avoir peur de prendre des risques ou de se tromper. À qui s’adresse le message ? Est-ce que ce n’est pas un message que les Isaac Delusion de 2020 pourraient adresser aux Isaac Delusion de 2011  ?

LF : (rires) Si, complètement !!

JP : On n’y avait pas pensé comme ça, mais tu as tout à fait raison !

LF : C’est une belle interprétation ! En tous cas, ce qui est sûr, c’est qu’on a commencé ce projet musical très naïvement, en faisant de la musique de chambre sans vraiment de moyens… Et on a fait des morceaux qui ont tout de suite accroché les gens. Puis ensuite je pense qu’on s’est pas mal perdu. On a découvert ce que c’est d’avoir « de l’ambition musicalement », et je pense qu’on a un peu bouclé la boucle et qu’on essaye de revenir à des formes d’expression musicale un peu plus naïves, un peu plus directes, sans réfléchir et en étant plus spontanés. Donc oui ça fait sens avec ce que tu dis et c’est la conclusion qu’on a tirée après 10 ans d’expérimentation. La spontanéité et l’instantané, c’est souvent ce qu’il y a de plus intéressant musicalement, en tous cas pour nous. Pour moi, les meilleurs morceaux qu’on a composés sont les morceaux qu’on a faits sans se demander si ça allait plaire. On les a juste faits parce qu’on avait envie de les faire. C’est comme ça qu’on fonctionnait à l’époque, parce qu’on avait beaucoup moins de pression, il y avait beaucoup moins de gens qui nous suivaient et pas de gens derrière notre épaule, en train de nous pousser ou nous orienter. Donc on avait une façon de faire de la musique qui était totalement différente, plus décomplexée, et c’est un peu ça qu’on a retrouvé avec cet EP. À trop faire ce que les gens attendent de nous et en ne faisant plus ce qu’on a vraiment envie de faire on peut perdre l’envie, et ça arrive à pas mal de groupes malheureusement. C’est souvent difficile de faire la part des choses, parce qu’il y a beaucoup de parasites dans les groupes qui ont un peu de succès (et je ne dis pas qu’on a un succès fulgurant), mais il y a beaucoup de gens autour de la table, et c’est facile de perdre l’authenticité et la sincérité du début.

 

LVP : Je retrouve un thème récurrent en écoutant l’EP, qui est “croire en soi, essayer, oser”, notamment dans Be True. Est-ce que c’est un thème qui vous tient à cœur ? On s’est un peu tous pris une claque avec le confinement, est-ce que la vôtre c’est de ne plus vous soucier du regard des autres ?

JP : Complètement ! Ça n’a fait que renforcer cette volonté-là ! Même dans nos vies personnelles, je pense que, comme tout le monde, on a fait cette introspection, on a fait des choix, pris des résolutions…  Et ça va forcément avec notre musique, ça fait partie de nous et c’est notre personnalité, donc c’est évident que le confinement a eu un impact.

LVP : On comprend souvent assez tard que la vie est courte et qu’il ne faut pas avoir peur de réaliser ses rêves, de tenter des choses, et ne pas avoir peur de l’échec, quel est votre rapport à l’échec ? 

JP : J’ai toujours eu un fort rapport à l’échec. Je pense que c’est quelque chose qui peut être paralysant, mais qui peut aussi être motivant à d’autres moments. Je pense que c’est le risque qui est excitant, et s’il n’y avait pas de risque d’échec ce serait sûrement moins plaisant à faire. Je pense notamment aux concerts. Faire un concert c’est se mettre en danger, risquer de faire des conneries, de ne pas jouer le morceau comme il faut ! Et pourtant, c’est ce qui fait que les concerts sont aussi excitants. C’est une sorte de mise à nu qui se retrouve aussi en studio. Composer de la musique, c’est assumer de la présenter au public derrière, sans avoir besoin de se justifier.

LF : Il existe un classique de la littérature, « les quatre accords toltèques », et un des accords est « quoi qu’il arrive, il faut toujours faire de son mieux ».  Je considère qu’à partir du moment où on donne le meilleur de soi, l’échec n’est pas à craindre, parce que même si on échoue on aura tout essayé, on aura donné le meilleur. C’est un peu comme ça que je vois la vie. Je pense que l’échec devient blessant quand on réalise qu’on n’a pas fait ce qu’il fallait pour réussir. À l’inverse, si on a fait ce qu’il fallait pour réussir ce n’est pas un échec, c’est qu’on apprend.

LVP : Est-ce que ce n’est pas tout le thème de cet EP ? 

LF : C’est marrant ce que tu dis, parce que quand tu fais une œuvre tu perçois le sens sans vraiment le percevoir. Par exemple, la Joconde ! Les gens sont encore en train de se demander “pourquoi ?”, ou “qu’est-ce qu’elle regarde ?”. Ils sont toujours en train de faire des interprétations, alors que si ça se trouve c’est juste une peinture d’une femme et point barre ! Une vraie œuvre intéressante, c’est une œuvre qui peut être interprétée de façon différente par beaucoup de gens.

LVP : Vous avez dit que chaque album était vécu comme un défi, quel est le défi avec cet EP ?

JP : Assumer les morceaux qu’on aime et qu’on n’osait pas sortir avant ! Oser, assumer nos choix, nos envies. Des morceaux qu’on a mis dans l’EP et qu’on pense indigestes pour la plupart des gens mais qui nous, nous plaisent.

LF : C’est très dur pour un groupe de passer le cap du premier album. On est dans une société de consommation où les groupes sont broyés avant même d’exister. Tellement de groupes ont des carrières éclair et on est hyper fier de continuer à faire des disques, faire parler de nous, après 9 ans de carrière. Pour nous c’est un peu un défi parce qu’il y a tout un paquet de gens qui nous ont rabâché que pour perdurer il fallait faire ci ou ça, et finalement ces gens se trompaient. On a toujours fait ce qu’on avait envie de faire, et 10 ans après on est encore là. C’est un peu le défi, montrer qu’on peut perdurer et se réinventer.

LVP : On retrouve un titre en français sur cet EP, Touché. On a pris l’habitude de vous entendre chanter en français, mais ça reste plutôt rare. Comment décidez-vous de faire tel ou tel titre en français ? C’est un feeling ou c’est choisi ?

LF : C’est un feeling, ça vient comme ça. Encore une fois, ça vient avec l’envie de surprendre. Par exemple, le morceau Touché est hyper synthétique, et avec une voix anglaise ça aurait tout de suite fait hyper Kavinsky. Et donc on s’est dit que mettre un son en français par-dessus, c’était assez incongru. Ce n’est pas forcément ce qu’on attend d’un morceau comme ça, et ça nous plaît de brouiller un peu les pistes et d’essayer d’être originaux.

 

LVP : Vous avez prévu une tournée, et on sait à quel point vous aimez la scène et à quel point vos morceaux évoluent grâce à la elle. On sait que malheureusement les concerts debout sont interdit jusque mars 2021 et que cette année a énormément modifié les usages dans le monde de la culture de manière générale. Comment envisagez-vous cette tournée ? 

JP : Nous-mêmes, on ne sait pas. L’Olympia a été annulé moins d’un mois avant, à cause du couvre-feu. On fait avec ce qui vient, on croise les doigts. On espère qu’on en fera le maximum, mais on ne peut pas se plaindre, on est déjà ravi de tourner en ce moment alors que c’est très dur. On a fait des lives Facebook pendant le confinement, parce qu’on était tous les cinq à des endroit différents. C’était très plaisant à faire, malheureusement ça ne remplacera jamais un concert… Je ne sais pas, ça dépendra du contexte, et si on n’avait pas le choix, sans doute qu’on le ferait au moins pour continuer à jouer, pour être ensemble et partager notre musique, mais ce serait quand même super triste. Je t’avouerais que ce n’est pas vraiment l’idée que j’ai d’un concert.

LF : Après, il n’y a pas que du négatif. Les gens ont plus de temps pour eux, et donc plus de temps pour écouter de la musique. Ils sont plus friands de divertissement, parce qu’on en a tous besoin, et c’est le bon moment pour être créatif et sortir de la musique. Les gens sont à l’écoute, et finalement c’est plutôt positif. Malgré l’absence de concert, on a quand même la chance de pouvoir continuer à s’exprimer.

Paul Rousteau

LVP : Est-ce que vous pouvez me parler un peu de votre visuel ? 

LF : On a fait appel à un artiste qu’on aime beaucoup, Paul Rousteau, pour lui prendre les droits de son image, parce qu’on est aussi assez branché art visuel. Je suis peintre amateur, Jules a fait du cinéma. L’esthétique est importante pour nous.

LVP : Justement, vous êtes également connus pour la qualité de vos clips, qui ont une esthétique assez unique. Pensez-vous réaliser vous-mêmes un ou plusieurs clips de Make It

LF : Non, à vrai dire, ça fait longtemps qu’on ne l’a pas fait nous-mêmes. On est très présent dans tout le processus d’un clip, on adore ça. De la sélection d’un pitch jusqu’au montage. Mais c’est un métier à part, une industrie, des équipes, des budgets, du temps…

Donc malheureusement, c’est quelque chose qu’on n’a pas réussi à refaire depuis un moment. On a fait des tentatives à certains moments, mais ça n’a pas abouti. Les projets n’étaient sans doute pas assez mûrs, mais on adorerait le refaire !

LVP : Une recommandation musicale à faire ? 

LF:  Blick Bassy. Il est déjà très connu et a déjà deux ou trois albums, mais c’est mon coup de cœur du moment. C’est un artiste qui chante en Bassa, un dialecte camerounais.

JP : Pour ma part je dirais Art Feynman.

 


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