I’ve Felt All These Things : Anna Leone fait chanter les sentiments
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
21/10/2021

I’ve Felt All These Things : Anna Leone fait chanter les sentiments

Sorti le 07 octobre dernier, précédant le weekend de sensibilisation mondiale sur la santé mentale, le premier album de la Suédoise Anna Leone a résonné dans nos oreilles et dans nos petits cœurs avec une intensité toute particulière. Co-produit par Paul Butler (à la production pour Michael Kiwanuka), I’ve Felt All These Things, comme son nom l’indique, nous invite à explorer les différentes émotions qui ont traversé la chanteuse récemment. Et il n’est pas impossible que vous vous retrouviez dans une bonne partie d’entre elles. Mélodies crève-cœur et vulnérabilité universelle : bouleversant en tout point. 

Pas d’artifices avec Anna Leone, tout est dans la sincérité et la transparence. Et c’est certainement ce qui rend ce travail aussi touchant. Lorsqu’il est question de faire la promo de son opus à venir, pas de faux-semblants : les démons que Leone aborde sur les différents morceaux l’accompagnent toujours. C’est donc avec parcimonie qu’elle s’expose, loin des carcans du star system qui s’impose désormais au plus tôt des carrières d’artistes. Il y a dans I’ve Felt All These Things, mais également dans la façon qu’à la chanteuse de porter cet objet, une façon de mettre le doigt sur les coins sombres des problèmes de santé mentale. Pas de glamourisation du phénomène, mais plutôt une véritable constatation des questionnements et des vertiges qu’il entraîne. Un peu d’espoir, également, car en parler, c’est s’en libérer, quelque part. En donnant autant d’espace et de texture à ses tristesses, Anna Leone conjure les grandes énergies qui la paralysent et propose un disque d’une consistance renversante.

Si on regrette un peu l’homogénéité de l’ensemble, on l’oublie vite face à la magie mélanco-acoustique de la musicienne. Un registre dans lequel elle fait loi, et qu’elle manipule avec finesse pour mieux transmettre les émotions qu’elle compte faire résonner. Dès ses débuts, la Suédoise avait décidé de faire des balades guitare-voix son terrain de prédilection, en témoignent les excellents My Soul I ou Wandered Away. Tous deux présents sur son premier EP paru en 2018, la chanteuse s’est rapidement aperçue que son écriture pouvait lui faire dire des choses enfouies, indicibles. Comme une envie brûlante d’en livrer davantage, paradoxe cathartique pour une introvertie comme elle.

 

Cet album ouvre donc les vannes, et déverse une tension accumulée au fil des années, résultant de soucis d’anxiété et de questionnements autour de sa sexualité. Le morceau qui ouvre la galette vient d’ailleurs traduire cette idée de patience : sur des nappes synthétiques (nouvelles dans l’univers de la Suédoise), elle module sa voix dans un écho enivrant pour répéter les mots “I’ve waited so long”. Still I Wait semble d’ailleurs répondre à cette introduction (“I thought I knew the rules/I thought I knew what I had to do”) traduisant cette idée que certains sentiments – les bons comme les mauvais – perdurent dans le temps, et que les réponses qu’on semble avoir trouvées ne sont pas à l’épreuve de toutes les surprises de l’existence. Les confessions sont lancées.

Avec Once, elle met en perspective la temporalité pour mieux aborder la nostalgie souvent à l’origine de ses maux. D’autres morceaux assurent plutôt l’acceptation de ses vulnérabilités, à l’instar de Wondering, le lead single du projet partagé en mai 2020. Un éveil qui se traduit par une véritable force : celle de nommer, de pointer, de remarquer ses failles. Pour pouvoir mieux les combler. Ou non, au choix. La santé mentale est ici prise avec un réalisme aussi fidèle que glaçant, dépeinte avec toutes les ritournelles descendantes et ascendantes qui peuvent l’accompagner. Ainsi, si on ressent un certain sentiment d’espoir sur les légers Do You Ever et Your Light (rendu possible grâce à des mélodies fluettes de guitare), c’est une tristesse sans pareille qui habite les déchirants In The Morning et All That I Ever Did qui clôturent l’opus. Le second nous offrant d’ailleurs des sections frissonnantes de semi-spoken words : “Cause I forgot how to sing/I woke up one day/And I couldn’t feel anything“.

I wrote my answers in a song and I cried
I held your hand like
I was saying goodbye
I never wanted you to doubt I’d survive

Sur Love You Know, notre coup de cœur de la collection, elle revient à ses fondements imparables : guitare-voix, mélodies crève-cœur, ambiance larmoyante. Rajoutez à cela l’intensité d’un piano en fond, des back vocals célestes et des paroles du style “Love you now/Even though it hurts/Even though I’m asking how will it be enough?” et ça y est : vous gagnez immédiatement nos cœurs. Dans la lignée de son tube My Soul I, le titre s’ancre dans des arpèges minutieux, dont les boucles font chavirer à chaque répétition.

Dans l’ensemble, I’ve Felt All These Things ne surprend pas vraiment par sa forme, mais plutôt par son fond. Par cette transparence totale quant au sujet épineux de la santé mentale. Un sujet que peut expérimenter Anna Leone au quotidien et qu’elle décide de prendre à bras le corps pour mieux le regarder dans les yeux et le déconstruire. Pour peindre ces dix tableaux sonores d’une beauté virginale et innocente, la chanteuse a su prendre du recul pour mieux remettre en perspective ses torrents intérieurs et nous les déverser dans les oreilles. Et on en redemanderait bien un peu.


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