Depuis une apparition fracassante à Taratata l’hiver dernier, il enchaîne les guichets fermés à Paris, que ce soit au Badaboum, au Trabendo et maintenant au Trianon. Lui, c’est Jacob Banks, la voix la plus puissante de la nouvelle génération. Après un beau chemin parcouru depuis son premier EP en 2013, nous avons discuté avec l’anglais de son nouvel album Village, de son univers, mais également de Walt Disney. Entretien avec l’homme qui aura réconcilié soul et pop.
La Vague Parallèle : Hello ! Tu viens de sortir ton album Village, comment te sens-tu ?
Jacob Banks : (Il réfléchit) Reconnaissant. Reconnaissant d’être dans une position de faire ce que je fais pour vivre. Je ne ressens pas de pression particulière, car je ne fais pas de musique pour rendre des comptes à qui que ce soit, mais plutôt pour tenir compagnie aux personnes qui en ont besoin. Ma musique vient d’un geste d’amour, donc je n’attends rien en retour. Ce qui m’arrive, c’est du bonus.
LVP : Avez-vous approché cet album différemment de vos EPs précédents ?
JB : J’utilise toujours le même procédé simpliste : toujours aller de l’avant. Changer la manière dont les gens pensent aimer la musique. Le plan est toujours d’avancer jusqu’à tomber d’une falaise.
LVP : Peux-tu nous dire un mot sur les influences Reggae / World de ce nouvel opus ?
JB : La jeunesse anglaise grandit en écoutant des sons caribéens, Reggae et Drum’n’Bass. Pour moi, c’était un clin d’œil à mon côté anglais. Je n’essayais pas de mettre en avant un style en particulier, mais plutôt de rester fidèle à moi-même. J’aime le Jazz, le Reggae, le Hip-Hop, la Soul… Et tout cela me représente.
LVP : Ta musique est d’une grande variété, allant de la ballade brute à des sons très produits. Comment abordes-tu le songwriting ?
JB : J’ai tendance à écrire les chansons plus produites avant d’arriver au studio. Il faut que j’ai déjà une idée de ce à quoi la chanson va ressembler. Pour les chansons plus brutes, j’y vais surtout au feeling. En résumé, sur les chansons les plus transformées, le feeling intervient après la production, tandis que sur les ballades le feeling est la première chose qui arrive.
Quoique veuille la musique, j’exécute.
LVP : Donc dès le début, tu sais qu’une chanson comme Unkwown restera épurée, tandis que d’autres seront plus complètes ?
JB : Pas forcément ! Parfois, une chanson commence comme une ballade et ne ressemblera plus du tout à cela dans sa version finale. On ne peut jamais savoir, et j’aime le fait de ne pas savoir. Je me mets au service de l’histoire et laisse l’idée musicale aller où elle veut aller. Quoique veuille la musique, j’exécute.
LVP : Quelles sont les chansons qui ont été les plus difficiles à créer, celles dont tu es particulièrement fier ?
JB : Il y en a eu plusieurs. Caroline a été un challenge, Slow Up aussi car j’avais énormément de choses à l’esprit, et je devais faire la paix avec moi-même afin de pouvoir écrire cette chanson. Je pense également que Prosecco fut compliquée : je n’étais pas sûr de la direction qu’elle prenait, mais tout le monde semblait l’adorer. C’est le comble de l’artiste : tout est entre tes mains, et donc tu réfléchis, encore et encore… La meilleure leçon est de garder les choses simples : ça te plait ? Si oui, publie-le. Si non, ne le publie pas.
LVP : Tu te bases donc surtout sur tes impressions ou tu as des gens de confiance ?
JB : J’ai des gens de confiance, mais à la fin cela dépend surtout de ce que je ressens à propos de la musique, car ça sera mon nom qui sera sur la pochette et non le leur. Succès ou échec, il faut que je sois sûr de pouvoir assumer mes décisions, et de ne pas reporter la faute sur quelqu’un d’autre.
LVP : Ton album comporte plusieurs collaborations. Comment se sont-elles amenées ?
JB : Je pense que tout s’est passé naturellement. Bibi Bourelly avait assuré les premières parties d’une de mes tournées. Seinabo Sey avait fait appel à moi pour un duo sur son album. Pour sceller notre amitié, je lui ai dit « Yo, j’ai une chanson qui pourrait être dope ». Ça c’est passé de manière organique, je n’aime pas vraiment forcer les choses.
LVP : Tu ne recherches donc rien de particulier dans un duo ?
JB : Juste le feeling. Si tu te sens à l’aise, laisse-toi emporter.
LVP : Vos projets sont toujours d’une grande variété, mais celui-ci repose moins sur des guitares blues que les précédents.
JB : L’idée était de continuer à avancer. Je voulais jouer avec plus de jazz, comme sur Peace of Mind, Mexico, Prosecco… Jazz et Blues vont main dans la main, donc j’ai préféré utiliser le jazz pour explorer quelque chose de nouveau.
LVP : Autre sujet, tu as teasé une nouvelle chanson, Pilot, durant ta tournée précédente, mais elle n’apparaît qu’en version cachée et raccourcie à la fin de l’album…
JB : (il me coupe) Oui, c’est pour ceux qui sont venus. Pilot a été difficile pour moi. J’ai dû essayer de l’enregistrer une vingtaine de fois, mais le feeling n’était jamais bon. Pilot n’a du sens que lorsqu’elle est enregistrée en live, alors je l’ai enregistrée directement là-dessus (il montre son téléphone). Je la voulais à la fin de l’album, mais je la voulais crue. Je voulais qu’elle transmette les mêmes émotions que lorsque je la joue en live : sans production, sans studio, sans tempo… Juste libre, brute, avec des erreurs. Elle a donc sa place après Peace Of Mind. Cette chanson appartient à ceux qui viennent aux concerts, et je la jouerai dans son intégralité sur scène, aussi longtemps qu’elle transmettra quelque chose au public.
LVP : En parlant de vos concerts, on a l’impression que vous vous amusez beaucoup sur scène, notamment avec des reprises inattendues de Calvin Harris ou A Great Big World.
JB : On aime simplement varier un peu les plaisirs. Ces mecs sont mes meilleurs amis, et j’ai la chance de partir en tournée, de voir le monde et de jouer de la musique avec eux, c’est toujours fun.
LVP : Ça révèle également votre côté pop.
JB : Exactement. J’aime ces chansons et j’aime les réinterpréter à ma manière. J’ai l’impression que ça m’aide à grandir en tant que musicien. Pop, Country, ou autre, tant que c’est de la bonne musique, j’y prêterai attention.
LVP : Une dernière question sur vos concerts : comment s’est déroulée la reprise de Let’s Stay Together d’Al Green avec Victor du groupe Her ?
JB : Taratata m’avait demandé de chanter sur un duo. Je cherchais parmi les gens dont j’avais entendu parler, et Her en faisait partie. J’ai découvert le son de Victor par la chaîne YouTube Colors, et j’ai trouvé ça « dope ». C’était fun.
LVP : Her, Michael Kiwanuka, Leon Bridges et toi-même incarnez un retour en force de la soul. A quoi l’attribues-tu ?
JB : Je pense que la Soul est le seul genre qui vivra pour toujours. La plupart des genres musicaux changent, à l’image du Hip-Hop ou du RnB. Mais la Soul, c’est de la passion pure. Tant que les gens chercheront à se connecter à quelque chose, à ressentir des émotions, la Soul aura sa chance. Tu ne peux jamais refuser la réalité, tu la reconnais quand tu l’entends. Les gens voudront toujours cette vérité.
LVP : Mais pourquoi maintenant plus qu’il y a une dizaine d’années ?
JB : Je pense que maintenant, avec Spotify, YouTube ou iTunes, c’est plus facile de trouver la musique qui te correspond. La musique Soul dépendait des radios, surtout occupées à passer David Guetta ou Pitbull, donc on avait l’impression que la Soul était au repos. Mais avec l’aide des services de streaming, tout le monde a sa chance.
LVP : Sur un sujet différent, ayant découvert la musique au travers des films Disney, quelle est ta bande-son préférée ?
JB : Ma préférée, donc pas la meilleure ? (Il réfléchit) Anastasia.
LVP : Ce n’est donc pas la meilleure ?
JB : Non, la meilleure est bien sûr le Roi Lion.
LVP : Tu ambitionnes toujours de collaborer avec eux pour un film ?
JB : C’est le rêve. Même si c’est juste pour une chanson, juste pour aider à la batterie, ou n’importe quoi. Je serais vraiment reconnaissant de pouvoir jouer un rôle dans un tel projet.
LVP : Quel genre de musique écoutes-tu en ce moment ?
JB : Surtout de l’Afrobeat. Et beaucoup de Grime. J’aime aussi la musique que je ne peux pas réellement comprendre, mais qui me fait me sentir bien, à l’image de Mayra Andrade qui chante en portugais, ou de Rosa Leon en espagnol.
LVP : Pas de plaisir coupable ?
JB : J’adore Shut Up And Dance (rires). C’est très pop, mais c’est une des meilleures chansons de pop jamais écrites. (il chante le refrain) Shut up and dance with me… Quelle chanson brillante de la part de Walk the Moon !
LVP : Le clip de Be Good to Me nous a marqué car il semble avoir un message social. Est-ce important pour toi qu’un artiste ait une voix politique ?
JB : Quand je fais une vidéo, je n’énonce pas une vérité en toutes lettres. Sur Be Good To Me, je mets juste situation de vie réelle en face de toi. Je veux que tu me dises ce que tu vois, et si tu y vois un message politique, c’est que tu as conscience qu’il y a un problème dans ce monde qu’il faut qu’on répare. C’est ce que je recherche : que tu parles de certaines choses à tes amis, et que vous vous demandiez « Que peux-t-on faire à propos de cela ? ». J’espère créer une conversation, que les gens aient un dialogue constructif. Si tu vois dans ce clip quelque chose que je ne montre que de manière implicite, ça veut dire que tu en as conscience, et donc que tu dois faire quelque chose à ce propos.
LVP : Donc tu penses que tu as plus d’impact si tu ne fais que suggérer ?
JB : Oui, car qui suis-je pour donner des leçons ? Je place juste une preuve devant tes yeux, et si tu la prends comme la vérité, cela veut dire que quelque part dans ton esprit, tu sais qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
LVP : Merci beaucoup pour ton temps. Que peux-t-on te souhaiter maintenant ?
JB : D’être heureux. De continuer à l’être. De continuer à aimer, à grandir, et je vous retrouverai au prochain album !
Petit, je pensais que Daniel Balavoine était une femme. C’était d’ailleurs ma chanteuse préférée.