| Photo : Anoussa Chea pour La Vague Parallèle
Propulsée en 2018 après sa participation à l’émission de télé-crochet The Voice, Liv del Estal a signé très jeune un contrat dans une major, avant d’en claquer la porte. Elle a depuis opéré un changement musical radical, et nous propose aujourd’hui une fuite jubilatoire, entre chanson et trance, entre mélancolie et soif de vivre intensément, sans compromis. Nous l’avons rencontrée avant son passage sur la scène du festival Pete The Monkey, à Saint-Aubin-sur-Mer (76), le jeudi 11 juillet 2024.
La Vague Parallèle : Salut Liv ! Comment ça va ?
Liv del Estal : Hello, je suis trop contente d’être là, ça fait hyper longtemps que je veux faire ce festival. Déjà, je kiffe la vibe de la scène sur laquelle je joue (Folie de Pete ndlr), je m’y sens bien, un peu confinée sous les arbres… C’est celle qui me va le mieux.
LVP : En janvier dernier, tu écrivais sur ton compte Instagram : “Bordel. On peut dire que ça fait longtemps. Longtemps que je vous laisse comprendre qu’un gros turn est en train de se passer.” Tu annonçais notamment avoir renouvelé ton entourage professionnel et “quitter des mauvaises énergies” qui bloquaient ta route. Et puis, récemment, tu as sorti deux nouveaux morceaux Amour Scandaleux et Space Invaders, qui dénotent totalement de ce que tu as réalisé auparavant. Peux-tu nous raconter ce qu’il s’est passé ?
Liv del Estal : J’avais un besoin viscéral de faire ce nettoyage. C’était presque politique. Tout est arrivé très vite (après sa participation à The Voice ndlr). J’ai signé chez une grosse major (Universal Music ndlr) à l’âge de 19/20 ans, dans laquelle je ne matchais pas forcément avec les gens. Déconstruire tout ça m’a pris du temps. J’ai commencé à réfléchir au son que je voulais retranscrire : un mélange de mon amour pour la chanson, pour l’écriture et les mélodies ; le sentiment de mélancolie, qui fait partie de qui je suis ; et d’influences de musiques électroniques, que j’ai toujours écoutées. Il me manquait ce contraste dans ce que je proposais. Je me sentais soumise. Aujourd’hui, j’ai l’impression de vivre pour la première fois un projet à moi, que j’ai envie de défendre, et pour lequel je n’aurais pas de regrets si jamais ça ne fonctionne pas.
“On a voulu faire de moi une petite Angèle”
LVP : Tu dis que tu “subissais” la musique durant cette période. Est-ce que tu veux dire que c’est une image qu’on t’imposait, et qui n’était pas en accord avec toi ?
Liv del Estal : Il y a deux choses : d’abord, je n’étais pas assez mûre et armée pour porter ce que je fais aujourd’hui. Et à l’époque, on a aussi essayé de faire de moi une étiquette et un produit.
LVP : Comment tu décrirais ce “produit” ?
Liv del Estal : Je dirais qu’on a voulu faire de moi une petite Angèle, avec des influences un peu latines. Donc, si de temps en temps je pouvais chanter en espagnol, c’était cool pour elleux. Je suis franco-argentine et hyper attachée à ces origines, mais je ne vais pas commencer à en rajouter, ce serait factice. Ça a été difficile pour moi de le réaliser, car j’avais envie d’y arriver, d’y croire, et de faire confiance aux personnes avec qui je travaillais. J’étais jeune, je me suis dit : “Let’s go, tu verras, peut-être que c’est cool”.
LVP : Quand est-ce que tu as pris conscience du contraire ?
Liv del Estal : C’est en allant sur scène que je me suis rendue compte du décalage. Je chantais des chansons qui étaient certes joliment produites, je n’en ai pas honte, d’ailleurs j’ai gardé le même nom, je n’ai pas voulu le changer. Mais ça ne m’excitait pas assez. Il me manquait l’essence du pourquoi j’ai décidé de mettre ma vie dans la musique.
LVP : Quel a été le processus ensuite, pour trouver ta propre identité ?
Liv del Estal : J’ai rendu mon contrat et j’ai pris des avocats. Je n’ai jamais fait autant d’administratif de toute ma vie ! C’était horrible en vrai, je ne faisais plus de son, j’étais toute triste. Mais au final, ça a marché. J’ai repris ma liberté et j’ai eu la possibilité de démarcher d’autres partenaires, de réduire mon équipe. C’est comme quand tu grandis et que tu choisis vraiment tes potes quoi (rires).
LVP : Quelles ont été tes sources d’inspiration pour mener ce nouveau projet musical ?
Liv del Estal : J’ai eu un déclic lorsque j’ai suivi mon frère dans des festivals de trance, psytrance, qui avaient lieu dans la forêt, en petit comité. J’ai alors pensé : “Ces gens libèrent tellement d’émotions sur cette musique, je les comprends, je les aime, et je pourrais grave chanter dessus et raconter une histoire“.
“J’avais envie de raconter une jeunesse éprise de liberté, aux émotions fêlées”
LVP : Comment tu décrirais ta musique aujourd’hui ?
Liv del Estal : C’est de la chanson mêlée à des influences trance, acid, techno, un peu breaké, DnB, mais dont le fil conducteur reste toujours celui du récit.
LVP : C’est d’ailleurs toi qui écris les paroles de tes chansons. Par quoi ça commence ?
Liv del Estal : Ce sont d’abord des mélodies qui arrivent dans ma tête, et qui restent. J’y ajoute ensuite des mots qui ont une sonorité fluide, qui s’emmêlent bien. Et la prod’ va aussi me raconter une histoire.
LVP : Dans le titre Space Invaders, tu écris et tu chantes “La nuit, on trace et dans nos cœurs ça tabasse / La vie nous flashe / Dans la nuit noire, on s’arrache” ; et dans Amour Scandaleux, tu commences par ces mots : “Là, devant moi, la scène / Dans la montée d’adrénaline / Et mon corps impatient / Attend le BPM”. On ressent un besoin de ne pas perdre une seconde et de vivre intensément…
Liv del Estal : J’avais envie de raconter une jeunesse éprise de liberté, aux émotions fêlées. Quand je vais en rave, en teuf, en festival, peu importe : j’aime regarder tous ces gens qui dansent ensemble et qui ne font qu’un. Même si individuellement, chacun·e extériorise autant de problématiques, de douleurs, et même de joies… Iels réveillent aussi un aspect antisystème et anticonformiste qui me parle : aujourd’hui, on refuse d’être soumis·e à une vie qui nous fait chier.
“J’ai toujours souffert des meufs qui n’aimaient pas les meufs, j’aime ce qu’on appelle la sororité”
LVP : Il y a aussi évidemment une notion d’assumer son désir, dans Amour Scandaleux par exemple : “Je veux ta peau, ton cul, tes yeux qui se souviennent / Je veux des pleines lunes et je veux qu’on se saigne”…
Liv del Estal : Oui, c’est comme une invitation à faire valoir ce qu’il y a de plus pulpeux en soi, quelque chose de l’ordre du “girl power”, de se sentir bien dans sa peau. J’ai toujours souffert par exemple des meufs qui n’aimaient pas les meufs, qui sont dans un truc où tu les rencontres pour la première fois, tu arrives à une table, il y a aussi des mecs, et tu sens une tension, une adversité de leur part à elles, sans comprendre pourquoi… ça me dérange. Moi j’aime les femmes, j’aime quand elles sont complices entre elles, et j’aime ce qu’on appelle la sororité.
LVP : Ces deux morceaux sont parus depuis le début de l’année 2024, c’est quoi la suite ?
Liv del Estal : Je vais sortir six sons, track by track, d’ici à mai prochain, ce qui constituera ensuite un album.
LVP : Qu’est-ce qui t’inspire en ce moment pour écrire et composer ?
Liv del Estal : La vie, l’amour, la déception, les désillusions, la solitude… Des états d’âme.
LVP : Et musicalement ?
Liv del Estal : C’est assez éclectique. J’écoute de tout. Je peux parfois choper une petite influence cold wave ou punk par-ci par-là, après je vais aller chercher des synthés ou des harmonies mélancoliques dans un track très trance, ou des voix dans un morceau hyperpop.
LVP : Que voudrais-tu que le public ressente en écoutant ta musique ?
Liv del Estal : J’aimerais qu’il ait envie de pleurer ses chagrins d’amour dans la boue, dans la terre, dans le son, et qu’il puisse entrevoir des fenêtres sur d’autres possibilités de la vie.
LVP : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le concert de ce soir ?
Liv del Estal : De prendre beaucoup de plaisir, de transpirer, et de vouloir faire la teuf après. Si je prends du plaisir, le public en prendra.
Liv del Estal sera en concert le 18 décembre 2024 au Point Éphémère, à Paris.
Prête à danser au rythme des basses et à découvrir de nouveaux artistes, la musique est ma religion.