“J’écris les mots que j’aurais souhaité entendre” – George Ka, la puissance de la plume
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Auteur·ice : Victor Houillon
06/07/2021

“J’écris les mots que j’aurais souhaité entendre” – George Ka, la puissance de la plume

Voilà un disque qu’on a tant attendu. Après quelques années à écumer les scènes slam du Grand Paris, George Ka a enfin sorti son premier EP. Ironiquement appelé Par Avance, il forme un véritable recueil de poésie. Les mots toujours justes, et les musiques pour les mettre en valeur. Accompagnée par ses fidèles compagnons Frillex et Malam, la jeune chanteuse narre des histoires sur lesquelles une génération entière se reconnait. On est allé rencontrer les trois zouaves pour une discussion émouvante, sincère, qui nous a permis de découvrir ce magnifique projet en toute franchise. 

La Vague Parallèle : Hello tous les trois ! L’EP Par Avance est enfin sorti, mais ces chansons sont trimballées de scène en scène depuis des années. Vous vous sentez comment ?

George Ka : Il y a ce côté “enfin, c’est sorti !“. Avant, j’avais presque l’impression que ces morceaux étaient déjà sortis car je les confrontais à plein de visages. Là, on a été privé de ça et sortir ces morceaux, c’est les voir renaître. De nouveau avoir des retours, voir les gens se les envoyer pour parler de sujets ou d’autres… J’ai beaucoup repoussé la sortie de cet EP. J’ai eu du mal à le sortir avec ce contexte. C’était une sorte de cercle vicieux qui faisait que plus on attendait, moins il y avait de concerts, et plus les morceaux dormaient dans un coin. Sortir ces morceaux, le clip de Garçon Manqué, Fille Manquante, c’est une sorte de renouveau. Comme renouer avec des vieux potes.

 

LVP : Frillex et Malam, les deux acolytes, comment vivez-vous cette sortie ?

Frillex : Nous sommes les musiciens live du projet. Cette sortie, ça donne envie de le jouer devant le public ! Dans les concerts qu’on a pu faire, il y avait déjà pas mal de gens qui connaissaient les paroles. On veut voir si, maintenant que l’EP est sorti, il y a encore plus de personnes qui chantent. Pour mon entourage qui a beaucoup entendu ces chansons en live, c’est une manière de les découvrir d’une autre façon.

Malam : La sortie de l’EP, c’est une première étape. On peut maintenant continuer à avancer et se concentrer sur la suite.

GK : C’est un EP qui a vraiment été créé dans le salon de mes copains. Je fais les tracks en binôme avec le compositeur Sigfried, sauf Incendie avec Anna Majidson. Dans les deux cas, ça a été fait dans leurs salons, leurs chambres. Tous ces morceaux-là sont vraiment indissociables de la scène et des souvenirs qu’on a créés à trois avec Frillex et Malam. Je revois le Point Ephémère, le Breakfast club ou tous ces moments emblématiques, d’applaudissement en atmosphères touchantes.

LVP : Tu mentionnes la chanson Incendie, qui se détache des autres avec une prod radicalement différente. C’est une piste à explorer à l’avenir ?

GK : Quand j’ai commencé, j’ai spontanément construit mon flow autour du boom bap qui me permettait de poser des textes narratifs, expansifs. J’avais à coeur de monter d’autres choses. Et ce morceau intervient dans un projet qui s’appelle À Notre Sauce. J’ai décidé, pour certains morceaux, de faire appel uniquement à des femmes, que ce soit la beatmakeuse, la réalisatrice d’un clip, la photographe… Incendie est le premier morceau de cette série. Oui, il est peut-être représentatif de ce vers quoi je vais tendre à l’avenir. C’est une nouvelle porte qui s’ouvre.

 

LVP : Est-ce que le fait d’avoir confronté ces chansons à un public a permis de les modifier au fur et à mesure des réactions ?

GK : On a tenté quelques bonnes intuitions, et les réactions du public ont permis de conforter ces prises de risque. On fait par exemple Garçon Manqué, Fille Manquante de manière très épurée en live, avec une voix presque a capella. Au début, on ne savait pas du tout si ça allait passer car c’est très nu. Mais finalement, ça a tout de suite créé un lien très fort avec le public. À l’opposé, on a testé, lors de notre tout premier concert à deux, avec Malam, de faire chanter le refrain de Saigon à Mains d’Oeuvres. C’était marrant de voir ces gens chanter en vietnamien, et ça créait une belle connivence avec le public.

F : Et forcément, la place de ma basse a forcément modifié le live. Dans les prods originelles, il y avait déjà une basse assez groovy, et c’était cohérent de la jouer en live. Ça donne un côté un peu plus vivant au concert. Être trois, c’est aussi très agréable au niveau de notre connivence sur scène. Je les avais vus en concert, et le texte de Garçon Manqué, Fille Manquante m’a vraiment parlé. Je me suis reconnue dans les paroles avec l’impression qu’on mettait des mots sur ce que je ressentais depuis petite. J’avais les larmes aux yeux. On s’était rencontrées avec George un peu avant, au petit matin d’un festival (rires). J’ai trouvé cette formation à deux très intimiste, je n’imaginais pas forcément les rejoindre mais George m’a proposé de jouer avec eux, et on s’est très bien entendu.

M : Coup de coeur ! Un coup de foudre amical.

F : Ouais, ça dépend des jours (rires).

Ces textes ne parlent pas uniquement de mon vécu, mais de quelque chose de plus large.

@Clara Rouget

LVP : C’est vrai qu’on ressent beaucoup d’amitié et de sincérité dans les petits regards que vous vous échangez sur scène.

GK : Venant de la scène ouverte, j’ai commencé en étant vraiment le seul support de tous les regards, en délivrant un texte en parlant d’expériences intimes qui visait à partager une complicité avec le public. Avoir sur scène des amis qui partagent ce message est très important pour moi. Je suis émue quand je parle de ça, mais je leur fais tellement confiance pour porter le message, autant que moi. Ils m’aident à comprendre que ces textes ne parlent pas uniquement de mon vécu, mais de quelque chose de plus large.

LVP : Tu dis que tu “racontes des histoires“. Quand as-tu pris conscience que tes histoires pouvaient aussi être celles d’une génération ?

GK : Bien sûr, si je les raconte, c’est que j’y vois une certaine forme d’intérêt. Je n’ai pas vocation à être un étendard, par contre, je prends la parole à la première personne. C’est un “je” que tout le monde doit pouvoir s’approprier. Quand j’ai fait Saigon, par exemple, où je parle de mon point de vue d’une jeune femme métisse, je ressentais le besoin de créer un morceau qui puisse correspondre à toute une frange de la population. Il n’y avait pas forcément de textes francophones qui parlaient de cette histoire. Quand je dis “je“, c’est pour tous les franco-vietnamiens qui peuvent se reconnaître dans ces propos. En partant de mon vécu, je cherche à pouvoir donner des supports d’émotion et de réflexion à des personnes qui se reconnaissent dans un quotidien qui, finalement, est banal. Ça a beau concerner des groupes assez larges, ce sont des thématiques qui sont assez isolées, avec peu d’oeuvres. Sur Mononoke également, j’écris les mots que j’aurais souhaité entendre. Une façon de combler mon propre manque.

 

La musique est un vecteur de pouvoir féminin.

LVP : Que ce soit dans les textes ou dans les images qui les accompagnent, on retrouve une sororité forte dans ce projet. C’est quelque chose que tu vois depuis petite dans le Grand Paris, ou dont tu parles justement pour le développer ?

GK : C’est assez récent dans ma vie. Tout comme la musique.

F : Je fais de la musique depuis toute petite. Très gros level de flûte à bec.

GK : Ah ouais ! Super cette interview, on apprend des trucs (rires).

F : Ce que je comprends dans ce qu’on se dit, c’est que la musique est vraiment un beau moyen d’expression, qu’il passe par les mots ou par les notes. J’ai l’impression que, dans ce projet, on s’exprime chacun par nos moyens. Il y a un jeu de questions – réponses entre les textes et les instruments. Je me reconnais totalement dans ce que dit George dans le fait d’exprimer des choses qu’on a envie d’entendre. Dans les textes de George, il y a une vraie dimension d’écoute. C’est pour ça que je fais de la musique.

George : Et pour en revenir à la sororité… Désolé Malam, je t’aime de tout mon coeur (rires). La rencontre avec Frillex a été une façon pour moi d’avoir un lien fort avec une musicienne. C’est une prise de pouvoir d’arriver en concert avec une formation majoritairement féminine, de la voir lâcher ses énormes solos. C’est venu tard, mais j’ai mis du temps avant de trouver des copines avec qui avoir un vrai soutien tacite entre femmes face à une culture masculine. Je me rends compte depuis que je fais quelques interviews que j’ai toujours été obsédée par les voix féminines. Lykke Li, Cat Power, the XX… La musique est un vecteur de pouvoir féminin.

@Clara Rouget

LVP : Tu as écrit Garçon Manqué, Fille Manquante, il y a maintenant plusieurs années. Comment vis-tu le fait qu’elle sorte maintenant ? Les mentalités ont-elles changé ?

GK : Je ne sais pas si, aujourd’hui, je l’écrirais de la même façon. Cependant, il est pour moi toujours plus que d’actualité. Il me représente toujours, tout autant que ce que je souhaite partager de mon expérience en ce qui concerne les stéréotypes de genre. Le voir résonner chez le public en le jouant sur scène est une occasion de se rappeler à quel point il est encore actuel.

F : En concert, le morceau est joué en piano – voix par Malam et George. Je redeviens spectatrice, avec des étoiles dans les yeux. Je redécouvre à chaque fois la complicité qui les unit d’un point de vue extérieur. J’aime beaucoup ce qui a été fait sur l’EP, mais il y a un vraiment un truc avec cette version live qui commence a capella. C’est un beau risque.

Le Point Éphémère était assez exceptionnel. On est sorti de scène avec le coeur qui battait et les yeux humides. On a vraiment senti ce que le public nous avait envoyé ce soir-là.

La Vague Parallèle : J’avais vraiment été marqué, justement, par ce moment au Point Éphémère pour votre audition de La Grande Party. La salle était blindée, on sait que c’est une salle bruyante, et tout le monde s’est tu en une seconde, les larmes aux yeux. Vous vous en rendez-compte depuis la scène ?

M : Oui ! On est très sensibles à ce moment-là. On s’ouvre totalement pour pouvoir recevoir un maximum de la part du public.

GK : Le Point Éphémère était assez exceptionnel. On est sorti de scène avec le coeur qui battait et les yeux humides. On a vraiment senti ce que le public nous avait envoyé ce soir-là. C’est assez nouveau pour moi. Je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir quelque chose d’aussi impalpable, une énergie pure aussi abstraite. Les publics comme celui-là, ultra-réceptif, deviennent une impression presque physique. On s’est senti grisé. Rien que d’en parler, là… Ce soir-là fait partie de nos meilleurs souvenirs.

Ce combat entre la musique et la vie normée est un combat de tous les jours.

LVP : Dans Par avance, tu dis “Jeune et déjà peur de vieillir, peur de perdre à “je n’ai jamais””. Vous êtes-vous lancé·es dans la musique à cause de cette urgence de vivre ? Y a-t-il eu un déclic particulier ?

F : Personnellement, ce combat entre la musique et la vie normée est un combat de tous les jours. Ce n’est pas évident tous les jours d’être dans ce milieu-là, mais il y a un truc qui me dit de continuer. Et ce type de projet me pousse à ne pas lâcher. Pour ma part, ce n’est pas du tout acquis, et c’est quelque chose contre lequel je me bats à chaque instant. J’essaye de trouver un entre-deux entre la vie de galère et le boulot typique cinq jours par semaine. L’idéal, c’est de se créer son cocon propre à soi. Plein d’artistes se posent beaucoup de questions là-dessus dernièrement, et j’ai envie qu’on s’entraide là-dedans. Sortir un disque a été un moyen de montrer qu’on tenait le choc.

M : Ayant des parents musiciens, j’ai commencé très petit, et c’est vite devenu une évidence, un besoin. J’étais un peu le mec tout seul dans la cour de récré, avec son petit livre. Le piano était vraiment un moyen d’expression. Depuis, je me suis spécialisé en musique de films. J’alterne maintenant entre la musique à l’image et d’autres projets pop, j’ai beaucoup de chance d’être tout le temps dans la musique.

GK : Cette urgence, je l’ai vraiment ressentie. Il y a eu un moment où je me sentais décalée. En découvrant l’impact que certains mots, certaines chansons pouvaient avoir, j’ai eu envie d’y consacrer tout mon temps. J’avais envie de m’extraire d’un job qui ne me convenait pas. Le fait de consacrer toute mon énergie à créer une valeur d’émotion, c’était aussi complètement changer mon rapport aux autres, modifier le sens des relations que j’avais avec les personnes qui m’entourent. Faire de la musique fait que je m’ancre désormais par rapport aux autres par l’émotion. Cette sorte de rencontre lorsqu’on crée quelque chose qui est écouté, reçu et amplifié par les personnes qui y sont réceptives génère de la connexion. Après cette découverte, rien ne me semblait plus important, car je ne pensais rien pouvoir faire de mieux.

 

La musique est géniale quand elle permet de rencontrer des sensibilités qui sont différentes des nôtres.

LVP : Frillex, quand tu parles d’entraide, tu pensais à quelque chose en particulier ?

F : Je n’ai jamais aussi peu rencontré d’artistes que ces derniers mois, et je trouve ça dur. La musique est géniale quand elle permet de rencontrer des sensibilités qui sont différentes des nôtres. C’est un manque cruel de ne pas pouvoir les partager, quel que soit le type d’arts. Être spectateur de l’art d’autrui, c’est déjà de l’entraide. Et je n’ai pas peur d’employer ce mot, “l’art“. C’est un mot qui peut sembler impressionnant, mais il doit être accessible à tous. Et l’on n’a pas ce sentiment-là ces derniers mois. Je souffre de ne pas pouvoir voir, écouter, partager. Je reste pleine d’espoir ceci dit. On va tellement être heureux de se retrouver, de se découvrir, de s’intéresser.

LVP : On ressent que pour vous, cet EP n’est pas un aboutissement en soi, mais plutôt un support pour continuer à aller de l’avant.

F : Complètement !

GK : C’est porteur d’espoir. On est là, on se projette.

F : C’était chouette de pouvoir faire quelques concerts sur internet, par exemple mes grand-parents ont pu découvrir ce que je fais en le projetant dans leur salon. Maintenant, on a hâte de se retrouver sur scène, collé·es aux autres gens !

@Clara Rouget


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