Joanna, les 3 facettes d’une étoile montante du R’n’B français
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
24/07/2020

Joanna, les 3 facettes d’une étoile montante du R’n’B français

Mais qui est Joanna, votre prochaine obsession pop-R’n’B made in France ? Guettée par les médias francophones clairvoyants depuis 2018 (grâce à son excellent titre Séduction), il semble que la jeune Rennaise soit prête à faire de 2020 son année. Féminisme, sensualité, sexualité, pop moelleuse, trap scabreuse, chanson française berçante, esthétisme pointu : Joanna vous promet tout et vous le donne en double. À l’occasion de la sortie de son dernier single Viseur, on vous invite à décortiquer ce futur grand nom de la scène francophone.

Auto-proclamée “le mélange entre Venus et Lucifer”, elle est l’enfant terrible de la musique émancipatrice féminine. Parfois insolents, tordants, grinçants, ses textes font sa force et transmettent à leur manière leur lot d’engagement. Articulé autour des thèmes de l’identité féminine et des problématiques liées au sexisme, son premier projet Vénus annonçait déjà la couleur. Et celle-ci est foncée, corrosive. Les nappes sonores de la jeune chanteuse sont froides et brûlantes à la fois. Le genre de musique qui puise sa force tant dans le côté épuré et froid d’une musique millimétrée que dans la ferveur d’un art chatoyant de messages et de combats.

Éclectique

L’un des grands atouts de l’artiste, c’est indéniablement son caractère caméléon. À l’aise sur la plupart des registres actuels, elle parvient à scinder son univers en une myriade de styles différents. Ainsi, elle joue sur la juste limite entre le côté expérimental de ses œuvres (sans jamais tomber dans l’ésotérisme limitant) et une certaine fibre pop plus légère (sans jamais témoigner d’une superficialité déjà vue). Oasis démontre assez bien cette exécution de composition à la fois facile et étriquée, portée par une instru épurée et des lignes rondes, tout en étant structuré de façon peu conventionnelle : en faisant la part belle aux parties instrumentales vaporeuses ou en n’usant que d’un seul refrain principal.

Une musique léchée, multi-facettes, toujours pertinente, qui suscite autant l’intérêt technique que la fascination allègre d’un morceau pop/R’n’B accessible. Avec Mâle Alpha, elle réitère en brouillant les pistes. D’entrée de jeu, le titre s’ouvre avec une intro survoltée à la Missy Elliot, avant de prendre un virage conséquent, empruntant aux années 80 les voiles embaumants de sonorités oniriques. Des nappes électroniques qui se mêlent ici au timbre lascif et au texte dans l’air du temps de l’artiste, donnant une impression d’anachronisme délicieux et brillamment maîtrisé.

Engagée 

Si le titre de son premier EP est assez explicite, il est utile de rappeler que le dévouement de la chanteuse pour la condition des femmes est remarquable. Loin d’un pinkwashing nauséabond limité à un seul titre, elle se dresse comme une porte-drapeau inspirante d’un combat qui siège sur l’entièreté de sa discographie. Un pari audacieux, honorable et hautement fructueux. Il faut dire que les inégalités sexuelles constituent un terreau fertile de créativité pour les artistes, tant ses formes sont multiples et omniprésentes. C’est donc naturellement que chaque morceau s’engage, à sa façon, à jeter sa pierre à un patriarcat lassant, une misogynie gonflante et une hypersexualisation systématique et toxique des femmes.

C’est ainsi que Pétasse venait glacer l’industrie musicale en décembre dernier, en abordant la problématique criminelle du viol de façon directe, ultra percutante et sensibilisante. Musicalement comme visuellement, cette pépite venait ainsi dénoncer un sujet d’actualité malheureusement trop familier pour beaucoup, et encore trop souvent mis en sourdine sous des “T’en avais envie, non ?” ou des “T’étais habillée comment ?”. Le féminisme de Joanna se manifeste aussi par une réappropriation de sa sexualité. Une façon de se redécouvrir maîtresse de son propre corps, de ses propres désirs, comme sur le libidineux Ocyticine, qui poétise l’hormone de l’amour ou sur le charnel Séduction. Qui a dit que sexualité décomplexée et chanson française ne faisaient pas bon ménage ?

Esthète

Portée par ses études d’Histoire de l’Art et du Cinéma, elle est de celles qui ne laissent filer aucun détail, choisissant et composant avec minutie les éléments constellant son identité artistique. Ainsi, on retrouve chez Joanna des visuels léchés, dont elle a réalisé certaines pépites (comme le clip de Séduction), dans la volonté de proposer un personnage atypique, captivant, corroborant avec le caractère sublimé de sa musique. Sa dernière prouesse en date, Viseur, réfléchit bien cette envie de proposer des expériences visuelles cohérentes et harmonieuses. Un morceau qui vient casser la coquille de la chanteuse pour exhiber sa vulnérabilité sentimentale : “Et je t’ai dans le viseur, comme jetée dans le vide. C’est la vitesse qui me caresse. Des images de toi qui m’apparaissent.”

Une fragilité dans le fond qui contraste avec la forme du morceau, plutôt trap et incendiaire, dynamisé par une instru électronique alléchante et efficace. Un second contraste s’opère au niveau du clip, réalisé par les visionnaires esprits du studio belge Bleu Nuit et qui met en scène une Joanna plus badass que jamais, en jouant sur les codes street et gangster, usant de motos cylindrées et autres Dobermans inquiétants. L’image est délicieusement granulée (marque de fabrique de Bleu Nuit) et les séquences, balancées entre sensualité, force et sensibilité, nous offrent une parfaite exécution de mélange audiovisuel maîtrisé.

Mettant ses œuvres au service de ses luttes, sans jamais user de langue de bois, Joanna déconstruit la poésie bienveillante de la chanson française pour nous proposer des textes percutants, justes et nécessaires, sur fond de rythmes R’n’B enivrants. Le phénomène est en marche.


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