Joyeux anniversaire : Géographie fête ses cinq ans !
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Auteur·ice : Paul Mougeot
05/12/2024

Joyeux anniversaire : Géographie fête ses cinq ans !

Les fêtes de fin d’année approchent à grands pas et parmi elles, il en est une qui paraît moins évidente mais qu’on n’aurait manquée pour rien au monde : l’anniversaire de Géographie Records. Le label fondé par Rémi Laffitte et Nicolas Jublot célèbre ses cinq ans d’existence et on y a vu l’occasion rêvée de revenir sur l’histoire déjà riche de cette petite structure devenue incontournable sur la scène parisienne.

La Vague Parallèle : Hello Nicolas ! Pour commencer, est-ce que tu peux nous présenter Géographie ?

Nicolas Jublot : Géographie, c’est un label qui a cinq ans et qui a débuté avec la sortie du deuxième album de Marble Arch.

Pour te redonner le contexte, à l’époque, je faisais du management pour Marble Arch et Bryan’s Magic Tears. J’avais aussi bossé avec Rendez-vous et TH Da Freak et je me retrouvais souvent à chercher un label pour ces artistes-là. Bryan’s Magic Tears a terminé sur Born Bad Records, TH Da Freak était déjà sur Howlin’ Banana Records et pour Marble Arch, il y avait des pistes avec des labels étrangers qui ne se sont pas concrétisées. Je me suis dit que puisque j’avais du mal à trouver un label en France pour ce type d’artiste, il y avait peut-être un créneau à prendre, qui se trouverait entre Born Bad Records et Pan European Recording. Un label un peu indie pop/indie rock qui a l’ambition de faire les choses correctement et de mettre en avant ces musiques : dream pop, shoegaze… Ce sont des esthétiques qui étaient peu représentées à ce moment-là et c’est devenu l’ADN du label parce que ce sont mes références depuis toujours. J’ai toujours porté ce type de musique dans mon cœur et ça m’a donné envie de développer des artistes qui s’inscrivaient dans cette veine.

Je crois aussi que c’est comme ça que j’ai découvert la musique depuis que je suis très jeune : je piochais dans les médiathèques en regardant ce que faisaient des labels comme Sub Pop ou Matador Records. Je faisais vraiment confiance à cette notion de label parce qu’il y a des labels qui, par leur étiquette, représentent une certaine idée de la musique et ont un vrai rôle de prescripteurs. Tu savais que tu allais toujours trouver des choses qui allaient te plaire chez eux. Donc en ce sens-là, en tant qu’amateur de musique, j’ai un peu réalisé un rêve en créant un label. Et puis en plus, je défends des projets que j’aime, donc je me suis dit que je pouvais sortir les disques moi-même.

Alors effectivement, quand tu te lances, tu ne te rends pas forcément compte du travail que ça représente mais je partais du principe que j’avais envie de me faire plaisir et de tenter quelque chose.

LVP : Donc la naissance de ce label correspondait à la fois à un besoin et à une envie finalement…

NJ : Oui et puis c’était aussi le prolongement logique de mon activité de management. C’est comme ça que j’ai rencontré Rémi Laffitte, avec qui j’ai monté le label et qui avait officié pendant dix ans au sein du label Atelier Ciseaux, qui a vu passer Dirty BeachesLenparrot… C’est l’un des premiers labels français que je contactais à chaque fois pour les groupes avec lesquels je travaillais en management. Lui, il arrivait au bout d’un cycle de dix ans avec son label, il avait envie de passer à autre chose et on s’est vite rendu compte qu’on était sur la même longueur d’ondes.

Je ne sais pas si je me serais lancé tout seul dans cette aventure parce qu’il me manquait une certaine expertise dans des domaines très précis comme la fabrication des disques, les deals de distribution… Ce sont des choses que je connais parce que j’évolue dans l’écosystème de la musique mais qui nécessitent des compétences très précises. On se complétait bien parce que moi j’avais les contacts avec les groupes et lui avait vraiment l’expertise label sur le fonctionnement. C’était le match parfait pour se lancer.

LVP : Et une fois que vous vous êtes mis d’accord sur la vision du label et son identité, comment est-ce que vous avez trouvé son nom ?

NJ : C’est le fruit d’un brainstorming qui s’est avéré long et intense (rires). On a voulu combiner beaucoup de choses dans ce nom.

Je crois qu’on tournait un peu autour de ces notions et ça a fini par faire sens d’opter pour Géographie parce que monter un label, c’est comme construire une carte musicale, une sorte de planisphère sur laquelle tu mets des points qui représentent les artistes que tu vas signer et qui peuvent venir d’horizons et d’endroits différents. Il y a aussi autre chose qui nous tenait à cœur : ce côté connexion avec les gens qui vont écouter la musique et qui peuvent venir de partout dans le monde.

On aimait beaucoup cette idée d’une carte qui se dessine au fur et à mesure des sorties.

LVP : Quand on parle de label, on englobe dans ce terme des structures à la dimension, aux moyens, aux fonctionnements très différents. Est-ce que tu peux en revenir aux fondamentaux pour nous expliquer le rôle d’un label indépendant ?

NJ : Je dirais que le rôle d’un label indé, c’est avant tout d’identifier et d’accompagner des artistes qui ont une vocation à se professionnaliser. Cette envie de se développer est primordiale. Et nous, on va apporter les outils nécessaires à leur développement pour les faire grandir.

Je prends l’exemple de Dog Park, qui est notre dernière sortie vinyle : quand iels sont arrivé·es chez nous, iels venaient de sortir deux singles et iels en étaient à l’étape de leur premier album. On a donc travaillé ensemble sur une stratégie pour mettre le disque en avant et le visibiliser au maximum.

En vérité, je ne devrais pas dire ça, mais ce n’est pas indispensable pour un groupe indé d’être signé sur un label en 2024. Bien sûr, ça leur permet de travailler avec des personnes qui ont une expertise et une vision assez claire des goûts musicaux établis mais je crois que l’intérêt pour les artistes, c’est avant tout d’appartenir à une famille musicale, de se retrouver dans une aventure humaine. Maintenant, un groupe indé peut enregistrer son disque chez lui, fabriquer son propre merch, s’entourer d’un·e tourneur·se et d’un·e attaché·e de presse et se débrouiller tout seul. Donc c’est vrai qu’en rejoignant un label indé, on vient y chercher un côté humain plutôt qu’un vrai intérêt d’un point de vue business.

LVP : Quels sont les enjeux auxquels vous êtes confrontés en tant que label indépendant ? 

NJ : L’enjeu principal, c’est de trouver un modèle économique. Je crois que si tu ne mets pas un peu d’argent au départ, c’est compliqué… Dans le cas de Géographie, la première sortie doit potentiellement permettre de financer la seconde, qui financera la troisième… On vit un peu au jour le jour, d’une certaine manière.

La chute de la vente de l’industrie du disque fait qu’aujourd’hui, les enjeux sont surtout digitaux. Or, à titre personnel, je ne viens pas du tout du milieu du digital. La consommation de musique a changé, il faut s’adapter à ça, mais on voit que ça s’est surtout développé sur des esthétiques autres que le rock en France, notamment le rap : il faut parvenir à exister au milieu de tout ça. Et il faut le dire, les fenêtres de tir sont très réduites… Il reste l’exposition dans les médias mais c’est pareil, il n’y a que quelques journaux qui parlent de rock, d’autant plus quand il s’agit d’artistes en développement.

Le développement de ces artistes, c’est vraiment un full time job. Or, j’ai quand même un métier à côté, je ne me rémunère pas là-dessus, je le fais vraiment par passion. Il faut bien avoir ça en tête, c’est un deal avec les artistes : je fais ça pour elleux. Si je peux continuer cette activité c’est chouette, je prends énormément de plaisir à le faire, mais je ne peux pas me projeter sur le fait que le label me rémunère un jour.

LVP : Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, c’est un type d’activité qui est condamné à rester bénévole ?

NJ : Il ne faut jamais dire jamais, ça reste forcément un objectif de pouvoir en vivre, mais je pense que c’est quelque chose qui se construit extrêmement progressivement. Tu peux signer un·e artiste qui va exploser et qui va faire changer ton économie du tout au tout, mais tu ne peux pas miser là-dessus. Et puis ce qui me motive avant tout, c’est de découvrir des artistes qui me plaisent.

J’aimerais bien pouvoir me consacrer à plein temps à l’activité du label parce que je pourrais encore plus le développer, mais ce n’est pas une obsession. Je ne me fixe pas de deadline au-delà de laquelle j’arrêterai le label si je n’arrive pas à me dégager un salaire d’ici-là. Pas du tout. D’une certaine manière, je sais que le développement est un travail long, j’aide un artiste à développer sa carrière tant que je peux et tant qu’iel veut travailler avec moi. C’est en ça que c’est vraiment une aventure humaine parce qu’on est connecté, on se fait confiance et dans le fond, ça remplace tous les dollars du monde.

LVP : Justement, qu’est-ce qui retient ton attention chez un·e artiste ? C’est quoi, le petit truc en plus qui va te donner envie de l’accompagner ?

NJ : Évidemment, ça part de la musique. C’est une décision qui se fait principalement sur des critères artistiques, avec les oreilles. Après, c’est vrai qu’au vu de l’énergie que tu es amené à déployer pour développer un·e artiste, la rencontre que tu peux avoir avec compte beaucoup aussi. Tu vas te demander comment se passe le contact avec l’artiste, quelles sont ses ambitions… Le fait d’avoir une tête bien faite et de ne pas être complètement déconnecté·e est important aussi. Il faut avoir conscience du travail à faire pour développer un projet, parce qu’il faut être quand même solide quand tu es artiste en ce moment. Tu es amené à lire des choses qui peuvent te blesser sur ton travail, tu es souvent en tournée… En vivre, c’est compliqué et il faut parfois parvenir à calmer les ardeurs des artistes. C’est aussi à ça que sert un entourage.

Tout cela rejoint vraiment la notion de petite famille avec laquelle on va travailler. Je n’irais pas jusqu’à dire que l’aspect humain prend l’ascendant sur l’aspect artistique mais de plus en plus, j’y prête une attention particulière.

LVP : À côté de ça, tu es le programmateur de Point Éphémère depuis huit ans. Qu’est-ce que le label t’apporte de plus que ton métier du quotidien ?

NJ : C’est vraiment la sensation de crush artistique qui m’anime, je crois. C’est un sentiment avec lequel je travaille aussi dans mon métier de programmateur mais la différence c’est que là, je suis amené à les côtoyer au quotidien, de manière plus régulière et plus poussée. Souvent, ce sont des relations qui débouchent sur des amitiés. On aime travailler ensemble et on se fait confiance.

Je représente un peu l’œil extérieur du groupe : je vais avoir un avis sur le live, sur la communication… C’est sans doute lié à mon expérience de manager aussi, qui me donne une expérience assez complète. Je pourrais me cantonner à la fabrication des disques et à la stratégie pour les sortir mais j’ai envie de m’investir davantage parce qu’on est sur du développement et qu’il y a beaucoup d’aspects à travailler. Tout ça, je prends énormément de plaisir à le faire.

LVP : Quelque part, tu es à cheval entre manager et label. Quelle différence tu fais entre un rôle de management et des fonctions de label ?

NJ : La vraie différence, c’est que maintenant, je sors les disques. Et puis en parallèle, en plus d’accompagner les artistes, j’essaye aussi de développer le label à travers elleux, de le pérenniser et de l’installer pour lui donner un rôle de prescripteur à terme.

C’est un objectif qui sert à la fois aux artistes et au label, les deux sont vraiment liés et ça bénéficie à tout le monde.

LVP : Cette année, Géographie fête ses cinq ans. Quel bilan est-ce que tu tires de ces cinq premières années ?

NJ : Déjà, ce qu’il faut dire, c’est que sur ces cinq ans, il y a eu une année et demi chaotique, perturbée par le COVID… C’est une aventure qui est difficile, il faut s’accrocher. Je n’ai jamais eu envie d’abandonner parce que je prends du plaisir à faire ça, mais la réalité économique du milieu te rattrape très vite et il faut arriver à la compenser. Je suis obligé de mettre un peu d’argent de ma poche et heureusement que j’ai un boulot à côté parce qu’autrement, le label ne serait pas en mesure de sortir des disques tous les trois mois.

Mon plus bel accomplissement, c’est de sortir des disques que j’aime et de travailler avec des artistes que j’admire : Dog Park, Marble Arch, Good Morning TV… Ce sont de supers projets, des disques que j’écoute encore régulièrement et j’en suis très fier. Ce sont des artistes authentiques et qui méritent d’être mis en avant.

LVP : Est-ce que tu aussi des regrets, certaines choses qui ne se sont pas passées comme tu l’espérais ?

NJ : Un regret… Oui, j’en ai un. Pour revenir à cette période du COVID, j’accompagnais Marble Arch sur une tournée aux USA. On avait fait des dates à New-York et on devait enregistrer une session avec KEXP, ce qui est un aboutissement pour un groupe français parce que c’est très rare. Malheureusement, on a dû rentrer en catastrophe en France après la date à New-York et prendre le dernier avion pour rentrer avant le lockdown et on est donc passé à côté de la session KEXP.

C’est un énorme regret parce qu’on sait que c’est une opportunité qui ne se représente pas de sitôt. KEXP, ce n’est pas la porte à côté !

LVP : Vous fêtez l’anniversaire aux Bars en Trans les 5 et 6 décembre. Qu’est-ce que vous nous avez préparé pour cette soirée ? Qu’est-ce que ça représente pour toi de fêter ça aux Bars en Trans ?

NJ : Au départ, je ne suis pas trop pour cette idée de célébration, de faire un anniversaire tous les ans mais là, je trouve que c’est un super clin d’œil. Pour un label qui s’appelle Géographie, je trouve que fêter son anniversaire à Rennes et non pas à Paris, où le label est basé, ça fait totalement sens.

Les Bars en Trans, ça colle bien avec l’esprit du label, avec cette idée de rencontre, de proximité, de vivre la musique dans des petits lieux, aussi. Il y aura donc deux soirées au Melody Maker, une première avec Logiciel et Dog Park et une le lendemain avec Disarme, SCHØØL et Marble Arch en DJ set. Le label va être représenté par cinq artistes et je trouve ça hyper cool de vivre ce moment-là toustes ensemble.

LVP : Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?

NJ : J’ai juste envie de continuer cette aventure, de découvrir des groupes, d’élargir le spectre musical du label, d’être surpris par des artistes. Là, dernièrement, j’ai reçu une demande de collaboration de la part de Disarme, dont on vient de sortir le premier single. Je trouve ça génial quand ça fonctionne comme ça, ce sont des moments hyper simples mais je vis vraiment pour ça. Ce n’est pas beaucoup plus compliqué que ça.

Si on me dit que dans cinq ans, on peut refaire la même interview, avec de nouvelles sorties, de nouvelles collaborations, de nouvelles découvertes, je signe tout de suite. Ça voudra dire que le label s’est pérennisé, qu’il a trouvé un équilibre, que l’aventure continue. Je ne demande que ça.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu aurais un coup de cœur ou une recommandation musicale à partager avec nous ?

NJ : Il y a un truc que j’aime bien, qui est un peu cheesy mais qui est très bien fait, ça s’appelle Wishy. C’est un peu rock indé US, un peu shoegaze, c’est typiquement ce que j’aime bien.

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