À l’heure où la peur, l’ennui et les souvenirs du monde d’avant teintent nos existences, KCIDY va à contre-courant et nomme son nouvel album Les Gens Heureux. Si certains titres comme Je vis mes rêves en vrai, Les rigolos ou encore Toutes tellement belles pourraient témoigner d’une certaine naïveté, KCIDY déjoue les attentes. Faussement ingénue et indéniablement ingénieuse, elle nous livre un album mélodique, épique et addictif.
On la connaissait avec les groupes Satellite Jockey et Tôle froide, mais aussi en solo avec son premier album Lost in Space sorti en 2017. Multi-instrumentiste et résolument curieuse, Pauline Le Caignec dite KCIDY n’a peur de rien et n’a de cesse d’explorer de nouvelles pistes de jeux. Du son à l’image, en passant par le théâtre, elle expérimente les disciplines et multiplie les écritures. Nul·le ne peut ignorer la réflexion visuelle qu’engage son projet, comme en témoigne la pochette de son nouvel album à laquelle on peut prêter une référence à la célèbre toile Ophélie. Si dans son tableau John Everett Millais invitait les spectateur·rices à contempler une Ophélie passive et désœuvrée par la mélancolie, cette fois-ci elle empoigne son récit, se tient debout, fleurs à la main et nous guide. En tête-à-tête, elle part, cavalier seule “avec le vent” comme le suggère le morceau choisi pour ouvrir l’album. Polyphonie, orgue électronique et utilisation d’instruments à vent, ce premier titre pose dès l’ouverture les bases d’une pop aux influences baroques. Soulignée dans certaines chansons comme Avec le vent ou Les rigolos, cette inspiration confère au disque une dimension épique. Voguant entre le rêve et la réalité, KCIDY décuple ainsi les ambiances et multiplie les récits. Aux titres dansants tels que Les gens heureux ou Souterrains, se mêlent le souvenir nostalgique de St-Florent ou l’énergie d’une manifestation féministe dans Les couleurs pleuvent, titre que l’on avait déjà pu découvrir à l’occasion d’un live enregistré au Fil de Saint-Étienne en décembre 2020.
Sage, ingénue, malicieuse, fougueuse, l’interprète laisse ainsi entrevoir un personnage qu’on ne saurait saisir autrement que dans ses contradictions. Dans une société individualiste où la socialisation tient paradoxalement lieu de norme, elle tente inlassablement de se connecter à celles et ceux qui l’entourent sans toutefois réussir à pleinement y parvenir.
Avec ce deuxième album sorti sur le label Vietnam, la chanteuse lyonnaise nous livre une synth-pop tantôt mélancolique, joyeuse, fantaisiste et efficace. Il ne faut toutefois pas se méprendre, KCIDY se donne l’élégance de ne pas choisir. Comme elle le chante sur ce disque, “les parfums se panachent”. De la musique baroque aux yéyés, de la pop au rock progressif des années 70, elle brouille les pistes, mélange les genres et nous dévoile une musique singulière, savamment travaillée et minutieusement arrangée. Au fil de l’album, les morceaux font la part belle à la guitare électrique, au synthé, à une basse marquée puis aux rythmes de batterie. La voix quant à elle s’échappe quelquefois, laissant place à des parenthèses instrumentales, des envolées mélodiques qui complexifient et ornent une assise déjà solide. Dans cet album, la composition instrumentale semble avoir une place de choix. Tout cela n’est pas sans convoquer le souvenir des improvisations musicales auxquelles la liberté et la sincérité du live donnent libre court.
Après un passage réussi dans l’Open Stage d’Arte Concert en février dernier, il nous tarde désormais de la découvrir sur scène entourée de ses compères Rémi Richarme, Mathias Chirpaz et Florian Adrien. À notre tour, nous nous laisserons ainsi aller à la « nuit nouvelle » et heureux·ses, nous danserons.
https://www.youtube.com/watch?v=EaqVsewJkgs&ab_channel=ARTEConcert
Navire voguant dans les nappes synthétiques et les horizons multiples, perdu entre le passé, le présent et l’avenir, Les Gens Heureux nous embarque dans une épopée pop, poétique et mélodique.
Le cœur grenadine et la déclaration facile, je passe mes journées les yeux rivés sur ma platine.
