Il nous fascine, ce King Krule. Il nous hante, aussi, de ses compositions pugnaces voire irascibles. Cette haine et cette noirceur fascinantes qu’il brame avec bestialité auront d’ailleurs marqué sa musique, aujourd’hui considérée par beaucoup comme une référence. Mais c’est aussi dans ses instants de quiétude et de spleen vaporeux qu’il fait mouche. C’est dans ce second registre que s’inscrit sa reprise inopinée du légendaire Imagine de John Lennon. Un moment de douceur dans un monde qui flambe.
Son excellent dernier album Man Alive! prouvait assez bien l’ambivalence aigre-douce qui habite Archy Marshall (de son vrai nom). Calqué entre une rage incoercible et une mélancolie satinée, le disque célébrait les quelques bribes de lumière immiscées en lui depuis la naissance de sa fille. Un processus d’illumination complexe, qui ne déteint pas pour autant les coins sombres que l’Anglais nous balance au visage depuis près d’une dizaine d’années – pour notre plus grand plaisir. Cependant, il serait juste d’affirmer que l’espoir semble s’être installé dans l’univers du poète.
recorded in sweat, last summer, for a friend.
C’est n’est donc qu’une demi-surprise de l’entendre nous bercer sur cette ode à un monde meilleur, griffonnée un beau jour de 1971 par le génie Lennon et sa moitié de l’époque Yoko Ono alors que le monde semblait s’écraser sous les normes, les dogmes religieux, le nationalisme et la capitalisme. Qu’on se le dise : rien n’a changé. Les lignes d’Imagine résonnent toujours aussi justement dans nos quotidiens. Mais susurrées par le King Krule, elles semblent toucher plus profondément encore. Sous ses faux airs sempiternels, armé d’un simple tandem guitare électrique-basse, il dégaine une version envoûtante et brumeuse du célèbre tube tout en y apposant sa fibre lugubre et délicieusement mélancolique. Le morceau est disponible sur le Bandcamp de l’artiste.
Le visuel de la reprise est signé Jack Marshall (son frère aîné) et semble suivre le calque des précédents artworks de sa discographie. On y retrouve ainsi une certaine esthétique empruntée au cubisme, avec cet éclatement halluciné des perspectives, porteur d’une poésie indéniable. Il y a aussi cette figure du titan, retrouvée sur la pochette de Man Alive!, mis en scène à l’étroit dans le cadre. Comme si la grandeur de son être était indissociable de son inconfort claustrophobique. Le regard tourné vers le ciel. Un ciel pollué par un nuage sombre et terne. Le fond orangé irradie presque, comme une fournaise apocalyptique. Et pourtant, le regard reste tourné vers le ciel. Toujours. La métaphore est touchante, l’exécution est vivante. Que des frissons.
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.