L2P Convention : le rendez-vous hip-hop qu’il manquait
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Auteur·ice : Adriano Tiniscopa
04/03/2021

L2P Convention : le rendez-vous hip-hop qu’il manquait

La Vague Parallèle a rencontré Rachel Khan et Julien Cholewa, le duo de choc nommé à la tête de La Place en mars 2020. Un an après, la direction bicéphale de ce centre culturel et d’expression dédié au hip-hop a porté le projet « L2P Convention » jusqu’au bout. C’est LE rendez-vous consacré à ce mouvement et cette culture urbaine sans véritable équivalent en France. L’événement se déroulera du 4 au 7 mars en ligne et en vidéo sur www.laplace-paris.com et la chaîne YouTube « La Place Hip Hop ». Conférences, talks, masterclass, concerts, plus d’une centaine de professionnel.le.s, d’artistes et d’expert.e.s appréhenderont toute la complexité et l’actualité des esthétiques de ce phénomène. Du rap, à la danse, au graffiti, en passant par le cinéma et les clips… Toute l’envergure de la création hip-hop sera mise en lumière. Les captations à peine terminées durant ce mois de février bien chargé, Rachel Khan et Julien Cholewa nous parlent ici de ce projet, de leur vision et de leur perception du hip-hop. Voilà plus de 30 ans que cette culture urbaine a vu le jour principalement à Paris et sa banlieue dans une France postcoloniale, où en est-on ?


La Vague Parallèle : Bonjour ! Pour commencer, un petit mot sur vous deux ? Pourquoi Paris ?

Rachel Khan : Alors je suis née à Tours, j’ai ensuite pas mal bougé, j’ai fait le tour de France, mon mari était basketteur. Et puis je suis revenue à Paris pour finir mes études de droit. Aujourd’hui j’habite dans le 78. Sinon en termes d’aménagement du territoire, l’égalité territoriale se fait en plein cœur de Paris, ça m’intéressait donc de travailler dans cette centralité-là, d’essayer de faire des banlieusards de grands parisiens.

Julien Cholewa : Moi je suis parisien, né à « Boulogne-Bi », puis j’ai bougé à Auxerre, Dijon, et je suis revenu à Paris pour les études aussi. Je faisais déjà beaucoup d’allers-retours à Paris pour acheter des disques, des mixtapes, voir mes premiers concerts. J’habite le 18e arrondissement.

LVP : Qu’est-ce qui vous a attaché au hip-hop ? Il y a eu un événement déclencheur peut-être ?

RK : J’ai fait du sport à haut niveau. Et la motivation, l’engagement, l’énergie qu’il y a dans le hip-hop pour s’arracher quand j’avais 14-15 ans, je pense que c’est ça qui a été l’événement déclencheur. Et puis il y avait cette volonté aussi d’égalité, de justice, de liberté. Dans tous les défis que j’ai pu avoir à cette période-là, c’est une musique qui m’a construite, qui m’a portée.

LVP : Et votre premier groupe de hip-hop ?

RK : Des trucs plutôt américains, du style Dr. Dre. Sinon j’étais dans un groupe de hip-hop quand j’avais 17 ans, ça s’appelait Cool Freddy Jay. Et d’ailleurs Freddy c’est toujours un super DJ ! J’ai fait les premières parties d’IAM et Solaar avec ce groupe (rires).

JC : Moi c’est par le biais de grands, de cousins plus âgés, qui étaient tagueurs, graffeurs, qui m’ont fait plonger là-dedans quand j’avais à peine 10-11 ans. À un moment il y a eu le premier album de NTM, de Solaar, en 1991, j’étais complètement happé là-dedans. Par ces disques qu’on m’a fait écouter dans des stages de sport, de détection de basket… Un de mes cousins, qui était un des tagueurs les plus actifs de Genève m’amenait à 11-12 ans la nuit dans des dépôts de train. Il m’a fait mes premières cassettes, avec des groupes comme Gang Starr, Run DMC, Fu-Schnickens, Lords of the Underground, Poor Righteous Teachers, Gunshot, un groupe anglais… C’est tout ça que j’ai écouté en boucle et à partir de là je n’ai jamais arrêté. Puis à 13 ans j’ai commencé à faire mes premiers petits groupes de rap entre potes, en tant que rappeur, DJ puis beatmaker… J’ai essayé le graffiti aussi mais je n’étais pas très doué, même dans la musique je n’étais pas très doué. Ce que j’ai le plus fait à la fin c’était plutôt DJ.

LVP : Un petit mot sur La Place ? Un an à peine que vous êtes ici c’est ça ?

RK : Oui, dans un mois ça fera un an !

JC : Pour nous ça fera un an, parce que sinon La Place c’est un équipement qui est ouvert depuis 2016. Nous on est arrivé à la direction en mars 2020.

LVP : Avant vous, il y avait une autre équipe je suppose ? Vous avez une nouvelle vision, de nouvelles perspectives ? Il y avait des choses à amener ?

RK : C’était extrêmement compliqué quand ils sont arrivés. J’ai l’impression qu’il y avait de la précipitation et peut-être pas une vision. Nous on a eu un appel à candidature avec un projet qu’on a construit pendant des mois et des mois sur toutes les disciplines, les esthétiques, avec une vision politique et culturelle, bien au-delà du milieu hip-hop. On a réfléchi à comment imbriquer ça dans une politique culturelle parisienne, nationale voire européenne, dans une politique de la culture, de l’art, de la création et de la diffusion, donc c’est autre chose. On a une mission sur différents piliers, en termes d’enjeux économiques du hip-hop, en termes d’enjeux sociaux et sociétaux. Julien s’occupe de la programmation des artistes, de la diffusion et puis d’un pilier sur l’action culturelle. C’est vaste, tous les champs qu’on a développés, qu’on avait mis dans le dossier. Il a fallu aussi traiter de l’écosystème parisien avec les autres lieux. C’est un projet qui est différent du premier projet mais avec une certaine continuité quand même. Certains artistes continuent de venir par exemple, d’autres veulent encore venir.

JC : C’est la continuité avec une nouvelle histoire qu’on va écrire. On est sur une base qui a été posée. Nous on arrive avec une nouvelle page à rédiger. Il y a l’enjeu de développer l’image, la mise en visibilité de ce qui va se faire à La Place, en résidence, en termes de création. Il y aussi tout l’enjeu en ce moment de communication qui est hyper important, sur les réseaux sociaux, rendre visible, ouvrir le projet, permettre une ouverture à travers des vidéos, podcasts. D’autant plus qu’on a dû accélérer ça, qui figurait dans le projet, puisqu’on ne peut pas pour le moment accueillir de public. Il y a beaucoup de projets qui vont bientôt sortir comme la L2P Convention et d’autres qui vont venir nourrir les réseaux sociaux. Aussi La Place TV qu’on va bientôt lancer, avec la refonte de notre site internet, notre chaîne YouTube…

 

LVP : La Place, en définitive, c’est une association ?

JC : Les murs appartiennent à la Ville de Paris. Il y a La Place, le kiosque jeunes au rez-de-chaussée, au-dessus la Maison des Pratiques Artistiques Amateurs, la médiathèque aussi, et il y a un bar aussi qu’on va d’ailleurs rénover ! La Place c’est une asso qui est en charge de développer ce projet de diffusion, de création, d’enregistrement, tout ça autour des différentes pratiques et esthétiques du hip-hop. En musique, danse, arts graphiques, graffiti, street art, etc.

LVP : Est-ce que vous ne trouvez pas symbolique le fait d’avoir installé La Place en plein cœur de Paris pour diffuser cette culture hip-hop ? Sachant que nous ne sommes pas loin des beaux quartiers, et qu’historiquement nous savons qu’à Paris il y a une ségrégation sociale et géographique très visible. La Place c’est très loin de la banlieue, est-ce qu’il n’y a donc pas cette idée de parler du hip-hop là où nous ne nous y attendons peut-être pas ?

JC : C’est le centre de Paris mais en même temps c’est le lieu le plus connecté à toutes les banlieues d’Île-de-France, le carrefour de rendez-vous de tous les banlieusards. Et ensuite, c’est hyper symbolique oui car les Halles c’est un lieu très important et historique pour le hip-hop. Ça a été un lieu de rendez-vous pour les danseurs depuis les années 1980 et 1990. C’est pour ça aussi qu’à l’origine la mairie de Paris a souhaité que La Place soit ici.

RK : D’un côté c’est une centralité symbolique, forte. Mais d’un autre c’est aussi parce que dans les bassins de vie, en banlieue, il n’y a pas de lieux semblables. Et puis on est obligé de passer par le cœur de Paris pour se déplacer d’un département à l’autre. Normalement ça devrait être moins concentrique pour permettre l’égalité territoriale justement…

LVP : Un mot sur l’égalité territoriale du coup ?

RK : La question des inégalités elle n’est pas d’un point de vue identitaire je pense. C’est vraiment d’un point de vue social et territorial. L’objectif des politiques culturelles c’est de permettre à la fois l’accessibilité des artistes à leurs créations et à la fois des publics à la création. Et donc comme il y a un déficit de ce côté-là, la mairie de Paris a décidé de consacrer un lieu aux esthétiques hip-hop en plein cœur de Paris. Ce qui nous permet aussi d’être en dialogue avec le Conseil général du 93, du 78, etc. Notre mission c’est de dialoguer avec tous les départements franciliens et la région Île-de-France. C’est la mission qui nous est octroyée.

LVP : Avec les moyens qui vont avec ?

RK : C’est un peu la bataille.

JC : On est soutenu par la Ville de Paris principalement. Après c’est aussi notre mission d’équilibrer les financements. Et en ce moment c’est particulier. On a une salle de concert, on doit normalement vendre des billets, on a aussi un bar… Il faut qu’on développe les financements privés, ça fait justement partie de nos objectifs pour avoir une économie saine autour de La Place. Là on est sur un fonctionnement atypique, on doit un peu réinventer en prévoyant ce qui va se passer quand ça va repartir, on espère à l’automne 2021 ou 2022.

LVP : Un mot sur le déroulement, les grandes étapes peut-être, depuis combien de temps êtes-vous sur ce projet ?

RK : Le projet comme on le disait était déjà inscrit dans le dossier de candidature. L’important c’était d’avoir un moment de débat et de dialogue sur les enjeux, bilans, perspectives, défis et objectifs à relever sur l’ensemble des problématiques hip-hop. Et il n’existe pas ce genre de moment aujourd’hui sauf peut-être avec le MaMa (ndlr : le Marché des Musiques actuelles). Pour traiter de la complexité des esthétiques hip-hop, des enjeux économiques, sociaux, environnementaux, artistiques. Pour permettre aussi la diffusion et la transmission entre professionnel.le.s mais aussi aux plus jeunes. On avait besoin d’un temps comme celui-là.

JC : L’équivalent n’existe pas en France. Il y a quelques exemples à l’international, à Atlanta, Rotterdam, avec leur particularités. C’est quelque chose qu’on avait en tête, qu’on avait inscrit dans notre projet effectivement. Créer ce rendez-vous pour les pros, aussi bien pour le monde de l’industrie musicale que le monde de la recherche autour du hip-hop, sur les enjeux sociétaux, avec des experts pour analyser les dernières tendances de créations artistiques musicales, d’arts graphiques… Là on est quasiment à la fin des tournages et on a ressenti qu’il y avait un énorme besoin d’échanger, de parler de culture, de parler d’art, de confronter les opinions. Et surtout en ce moment, on traverse un moment où la culture et l’art sont un peu mis à mal par le contexte. Donc on sentait que les gens qui venaient, même s’ils restaient un petit moment à cause des protocoles, étaient heureux de venir échanger sur leur sujet et de prendre une heure pour discuter. Il y a un réel besoin d’échange entre les gens du milieu.

LVP : Vous êtes allés chercher vous-mêmes les intervenant.e.s, vous aviez déjà des pistes, les gens sont venus à vous ?

JC : Oui, nous et notre équipe. C’est un projet qu’on monte collectivement et chacun.e est sur sa partie.

LVP : Vous êtes combien dans l’équipe ?

JC : On est 12. Depuis qu’on est arrivé on est en phase de reconstruction du projet de manière générale. Donc on est censé être une quinzaine.

RK : On a une vraiment une nécessité et ça c’est hyper important d’en parler. Vu la complexité et la diversité des esthétiques hip-hop, les gens ne se rendent pas compte qu’en termes de ressources humaines, il y a des vrais besoins, avec des techniciens nécessaires pour ce lieu, Et ça, ça n’a pas été suffisamment envisagé. Parce qu’en fait les seuls modèles qu’il y avait autour du hip-hop c’était les MJC (ndlr : Maisons des jeunes et de la culture), sauf qu’à présent on passe sur un équipement culturel de la Ville de Paris. On est en train de construire un nouvel équipement hip-hop. Et si ça peut faire des petits au niveau national c’est tant mieux !

LVP : Rien à Marseille par exemple ?

JC : Il y a le FLOW à Lille. C’est un équipement à peu près équivalent avec qui on collabore. Ce n’est pas une association mais c’est la municipalité de Lille, et ils ont à peu près le même type de cahier des charges. Mais c’est ce que dit Rachel, le hip-hop c’est quand même hyper large, divers et vaste avec des tendances très différentes, avec plusieurs esthétiques dans un même mouvement. C’est ça la complexité pour nous. C’est un sujet qu’on a toujours en discussion avec nos interlocuteurs, de la culture ou institutionnels. Entre la manière dont la musique est organisée, professionnalisée par rapport aux graffitis, à la danse… Ce sont des milieux très différents qui viennent pourtant d’un même mouvement culturel.

LVP : Vous avez dû composer avec le Covid, ça s’est passé comment ?

JC : On a fait notre prise de poste chez nous en fait. On est arrivé lors du premier confinement donc on a dû s’adapter directement sans même être sur les lieux, c’était un peu particulier.

LVP : Et sinon, c’est quoi la culture hip-hop, si vous aviez une définition à donner ? C’est rap, graffiti et danse ? C’est plus large, il y a un message forcément ?

JC : C’est un mouvement culturel dans lequel en effet il y a les musiques hip-hop dont le rap est la première musique, avec les DJ, le DJing, le beatbox. Après il y a la danse, la danse hip-hop, les danses debout, les danses au sol comme le breakdance, une forme de danse originelle. Ensuite il y a le graffiti qui a traversé plusieurs époques, maintenant on parle beaucoup de street art. Justement, ce sont tous ces sujets qu’on traite en détail dans les différentes conférences de L2P Convention. Sinon en effet, il y avait un type de message qui était très important à l’origine quand c’est né à la fin des années 1960, au début des années 1970 aux États-Unis. C’est né d’un contexte social à New York avec des bandes de jeunes qui se sont plutôt mis à faire du rap de la danse plutôt que de s’affronter dans la rue, ça part de là. Puis après c’est une très longue histoire puisqu’on est face à un mouvement qui a une cinquantaine d’années.

RK : Pour moi c’est un état d’esprit très circonscrit à ces piliers-là, au graff, au rap et qui aujourd’hui se diffuse avec la dématérialisation, les réseaux sociaux, le cinéma, l’audiovisuel. On le retrouve aussi dans la mode, dans toute chose. C’est vraiment un truc personnel, mais pour moi aujourd’hui tout peut s’inscrire dans le mouvement hip-hop. D’ailleurs on le voit beaucoup dans les pubs, on vend un yaourt hip-hop par exemple, je dis n’importe quoi (rires).

JC : C’est sûr que c’est devenu un des mouvements culturels et artistiques qui est le plus diffus, qui imprègne la société à beaucoup de niveaux, la créa, la mode, le design. C’est devenu quelque chose de très vaste…

RK : …mais qui reste illégitime, c’est ça le paradoxe. C’est une puissance économique de dingue et qui reste malgré tout illégitime.

 

LVP : Alors pourquoi justement ? J’allais en venir, à propos de la reconnaissance de cette culture notamment vis-à-vis des institutions, on en est où ?

RK : On a déjà porté des choses dans notre ancienne vie, mais on doit avoir encore plus de responsabilités en tant que directeur de lieu. Mais aussi en tant qu’artiste pour toujours maintenir une certaine forme de pression, de revendication, de volontarisme pour la reconnaissance de ces esthétiques. Parce qu’aujourd’hui c’est toujours vu un peu différemment.

LVP : Parce que c’est une « sous-culture » ? Comment peut-on l’expliquer ?

RK : Dans le regard de l’autre c’est peut-être une « sous-culture » mais on voit que plus on progresse plus malgré tout les gens commencent à voir que c’est plutôt la culture majoritaire.

 

 

LVP : Car il y a eu l’époque Jack Lang, il a fait du bien pour le mouvement je pense ? Alors pourquoi aujourd’hui on est encore obligé de se battre alors que dans les années 1990, les années « Jack le rappeur », il y avait plus de volontarisme ? (rires)

JC : Les défis qu’on a justement c’est de pouvoir hisser un projet comme La Place à la hauteur de ce que sont réellement toutes ces formes artistiques dans le monde de la création, de la culture, très importantes en France et à l’international. On a souvent des interlocuteurs, des gens à qui il faut toujours un peu réexpliquer les choses. Mais l’histoire des années 1990, de l’implication de Jack Lang, ça correspond à une époque sur la naissance des rencontres urbaines de la Villette par exemple. Il y a eu des choses, mais ça a toujours été des impulsions de certaines personnes, de certains politiques et ensuite ça retombe. Mais après c’est un avantage et un inconvénient. Car c’est la volonté d’un acteur politique qui tout d’un coup se rend compte de l’importance des choses. Mais ça ne doit pas venir que du monde politique. Il faut que de l’autre côté, il faut que les gens du hip-hop à qui on laisse la place, puissent rentrer complètement dans ce processus. C’est-à-dire que la création, les acteurs n’attendent pas, les artistes s’adaptent, ils créent et sont sur le devant de la scène. On a aussi cette chance d’avoir une politique culturelle en France et en même temps il faut qu’elle arrive à être en prise directe et comprendre ces formes artistiques qui vont hyper vite et qui sont au top de l’innovation en fait. Et nous c’est notre enjeu d’être à ce niveau-là, c’est notre boulot !

LVP : C’est un peu insaisissable comme culture peut-être ? Ça va trop vite pour les vieux qui nous gouvernent ? (rires)

RK : N’en remettez pas une couche, moi j’essaie déjà de me remettre de « Jack le rappeur ».

JC : C’était le surnom de Jack Lang c’est ça ?

LVP : Oui je l’ai lu dans un bouquin, certains médias l’ont surnommé comme ça il me semble.

RK : La différence, c’est qu’en fait à cette époque-là c’était vraiment Mitterrand, Julien Dray, SOS Racisme, et il y avait cette volonté de « s’occuper des jeunes » avec les MJC notamment. Sauf qu’aujourd’hui, le hip-hop a 50 ans et en fait « Jack le rappeur » ça ne marche plus trop (rires). Parce que maintenant, le truc c’est plutôt comment nous on arrive à transmettre ce qu’on a appris de cette culture-là aux plus jeunes qui vont ensuite la transcender, la transformer à nouveau. Et ça c’est tout l’enjeu de toutes les politiques culturelles, que ce soit le spectacle vivant, le théâtre, les musiques actuelles, comment on continue de faire vivre des esthétiques. En fait la différence, c’est soit on est vraiment à l’extérieur et on projette quelque chose avec la jeunesse. Soit on est dedans et quelles sont nos responsabilités à nous ? Et je pense qu’avec Julien on se place du point de vue de nos responsabilités par rapport à ce mouvement-là car il faut que ça reste un mouvement. Si on le circonscrit à un repli sur lui-même, ça meurt.

JC : De toute façon les artistes ils avancent, c’est propre à cette culture. Ils ne lâchent pas l’affaire et trouvent toujours un moyen de créer. La débrouillardise par exemple c’est vraiment quelque chose d’important, dans le rap, dans le tag, le graffiti. Et donc l’enjeu c’est de savoir, face à ça, quel est notre rôle, notre utilité pour accompagner ça et permettre d’autres choses. Même si la danse se renouvelle toujours, et qu’ils sont hyper créatifs, qu’ils font plein de choses, ça reste malgré tout très difficile de vivre en tant que danseur hip-hop. C’est une des choses sur lesquelles on doit travailler justement.

LVP : Qu’est-ce qu’il y a à transmettre à travers le hip-hop aux nouvelles générations ? Un état d’esprit, des valeurs ? Il y a des spécificités par rapport à d’autres cultures ?

RK : Là il y a une vraie transformation. À l’époque 1980-1990, on allait s’arracher, c’était plutôt la débrouillardise, on allait faire des concerts dans des trucs moyens pour que ça se diffuse. On allait bosser 40 fois plus que les autres pour pouvoir être entendus, etc. Aujourd’hui, on a un vrai truc dans la transmission des valeurs hip-hop, et ça ce n’est que ma parole et pas celle de Julien car il n’est peut-être pas du tout d’accord (rires), c’est cette histoire de « victimisation ». Entre la « victimisation » et le hip-hop c’est un autre univers. Aujourd’hui, je trouve que les jeunes générations qui ont été biberonnées à des choses comme ça, de « victimisation », de « culpabilisation ». Ça ne fait pas avancer des artistes qui doivent s’arracher. Quand on veut être artiste on sait que ça va être la galère, quelles que soient les esthétiques, ce n’est pas propre au hip-hop. Après en France on a un système de soutien à la culture et à l’art qui est sans comparaison avec les autres pays, qui permettent de faire 350 films à l’année, etc.

LVP : Plutôt bien lotis donc ?

RK : Oui mais c’est oublié, ou plutôt ce n’est pas dans l’ère du temps, c’est plus intéressant de dire « ouais c’est la galère ».

LVP : D’accord je vois l’idée. Sinon quel lien avec le festival « Paris Hip Hop » ? L2P Convention c’est le successeur ?

JC : Non, c’est un autre projet. C’est mon ancienne vie pro, ça a été un projet important pour le hip-hop à Paris, en lien avec la mairie. L2P c’est un tout autre projet.

LVP : Pour finir, je voulais vous faire réagir sur cette question : n’est-ce pas contradictoire qu’il y ait le breakdance aux Jeux olympiques ? Dans le sens où on commence déjà à exclure certaines populations de Seine-Saint-Denis, notamment à Aubervilliers et ses jardins ouvriers, sachant que le break vient de la culture hip-hop qui dénonce ou dénonçait quelque part justement cette exclusion géographique et sociale ?

JC : Dans la L2P Convention en tout cas il y a eu un moment sur la danse dédié à cette question et malheureusement je n’ai pas pu y assister. Nous notre Convention et notre travail c’est de permettre un espace de dialogue et d’échanges autour de ces sujets. Après il y a toute la question qui se joue avec le lien entre le côté sportif et l’autre pendant de l’art et de la culture. Sur la danse hip-hop ça a toujours été un sujet qui a fait débat, est-ce que c’est un sport, de l’art ou de la culture ? Nous on explique plutôt en quoi le break est une pratique culturelle. Mais d’un autre côté l’entrée du break aux JO c’est aussi une opportunité pour beaucoup de danseurs. Par rapport à ce que disait Rachel sur les danseurs, malgré tout, beaucoup galèrent. C’est sûr que c’est une opportunité professionnelle. Tout ça va avoir lieu, c’est en cours, nous on doit permettre le dialogue, faire en sorte que ça se passe le mieux possible car dans tous les cas c’est parti. C’est un peu notre sujet de fond. Les politiques culturelles à la française c’est une chance pour les artistes et en même temps on est pris dans un processus d’institutionnalisation. Donc il vaut mieux que le monde artistique et culturel s’en saisisse pour ne pas que ce soit géré de l’extérieur par des gens trop éloignés des pratiques artistiques et des artistes. C’est notre rôle de représenter la paroles des artistes et créateurs et aussi faire le lien avec le monde politique, institutionnel. Puis après on le sait sinon que quand il y a des JO, il y des questions qui se posent avec l’urbanisation, l’aménagement du territoire…

RK : Après les JO au tout départ il y avait de la poésie avec Coubertin… C’est intéressant sinon. Pour une fois qu’on avait de l’art et de la création, je trouve dommage de tout de suite mettre le break dans la case sport. Sinon je suis pour que ça soit aux JO si ça continue d’être une discipline artistique.


L’événement L2P Convention est à retrouver sur www.laplace-paris.com et la chaîne YouTube La Place Hip Hop du 4 au 7 mars 2021.

 

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