Et si nous vous disions qu’à moins d’une heure et demie de Paris, vous pouvez retrouver un mini festival où on se régale à la fois de nos artistes émergent·es préféré·es sur scène et d’une cuisine fine et chaleureuse. Le rêve, non ? Pourtant c’est la réalité. On vous parle bien de la Douve Blanche, ce festival musico-culinaire qui fêtait en 2023 ses 9 ans et qui prenait place comme à son habitude sur le site du château d’Egreville (77). Sur les 3 jours de fête, nous avons participé à la seconde soirée, le 8 juillet 2023, une nuit à la fois limpide et intense qui rappelle que dans les petits festivals, on se sent instantanément chez nous. Car si la Douve Blanche la joue à la cool, elle nous assure un accueil plus que royal. Toujours pas remis du festival depuis, on ne pouvait pas ne pas vous en parler.
Un train et un bus plus tard, nous voilà arrivé·es dans la campagne étonnamment dépaysante du 77. Depuis la charmante place d’Egreville, chaque festivalier·ère ratatiné·e sous ses affaires de camping se suit instinctivement sous une chaleur de plomb jusqu’au domaine du château. À peine arrivé·es, on peut apercevoir en hauteur les prestigieuses douves dans lesquelles se déroule le festival. Malgré les tentations du dessous, il faut encore rester un peu en haut pour atteindre le camping et y installer notre cocon pour la nuit. On arrive alors dans une sorte de bois enchanté avec toutes les tentes déjà installées et celles qui sont en cours de construction. Pendant que certain·es profitent de la fraîcheur de l’ombre sous les arbres, d’autres se précipitent dans le cœur du festival.
Si le festival bat son plein dans les douves, des espaces juxtaposés au camping réservent plein de petites surprises exquises. Parmi elles, c’est la Charcuterie Musicale qui nous fait de l’œil en premier. Cette camionnette rose bonbon équivalait pour nous à un drapeau rouge flottant pour un taureau. On découvre qu’on y joue au blindtest et qu’il suffit d’appuyer sur les buzzers si on a trouvé le nom et/ou l’artiste de la chanson jouée. Derrière les joueur·ses, ça danse et ça scande les classiques comme Dancing Queen d’Abba, Lolita d’Alizée ou encore Take on Me de A-ha.
Après ce petit échauffement de cohésion des corps, c’est l’heure d’entrer dans les fameuses douves. À peine rentré·es dans la fourmilière, on sent cette douce extase d’une nuit de festival qui commence. Nous circulons tous·tes dans les douves de façon circulaire, autour de cet îlot qu’est le château. Une ribambelle de scènes, de stands et de gens rigolos se dévoile au fur et à mesure qu’on tourne autour de ce gros bloc de pierre. Car à la douve blanche, on ne fait que ca : tourner, tourner et encore tourner pour croiser, croiser et recroiser les mêmes visages familiers en permanence, comme cet homme mi-clown mi-Louis XIV qu’on verra plus d’une fois gambader dans le festival. “Ça c’est le groupe des gens torse-nu”, s’exclame-t-il une fois avec un sentiment évident de familiarité. Pas difficile de deviner qu’il nous aura fallu peu de temps pour nous adapter au microclimat du festival.
Avec Blu Samu à la scène du pont, le climat est justement doux et chaleureux à l’occasion de ce début de soirée. Le rap solaire et groovy de la chanteuse belge nous a fait rentrer dans le bain comme il faut, faisant valser nos timides bassins avec facilité. Son portugais dépaysant mêlé à son sourire hyper contagieux ont soufflé un apaisant vent de douceur auprès du public. Après le Portugal, c’est l’Italie qui nous appelle depuis la scène du château pour une performance coup de cœur de Pacì Paciana. Si sur le papier le groupe est un simple duo d’italo disco qui fait de la musique sentant bon la pizza, sur scène c’est toute une histoire délirante. Le duo nous transporte dans son monde épique dans lequel la musique, le fromage italien et les dinosaures se rencontrent. Leur funk entêtant et accessible est ponctué pendant une heure par des moments de storytelling fantasque, comme lorsque l’un des membres annonce avec sérieux l’heure du combat entre Funkzilla et Gorgonzilla. “Est-ce que vous voulez apprendre à parler dinosaure ?”, lance le groupe au public qui lui donne ensuite une série de “zgududududu” et autre “chaka chaka” à répéter. Entre dystopie et utopie, on ne sait plus trop où nous sommes, mais ce n’est pas ce qui importe à ce moment précis. Ce qui compte, c’est l’amour ambiant qui transpire d’un public réuni autour d’un slow de deux minutes, d’une reprise unanime de Come prima et étonnamment d’un cours de langage dinosaure. C’est finalement dans l’absurdité que le public et le groupe se retrouvent le plus connectés. Dans les jalons du disco fiévreux des années 70, le groupe nous offre une belle leçon de lâcher prise, à l’image de la chenille que le groupe peut se vanter d’avoir déclenchée dans le public. Des hommes en kimono et en tenue léopard n’ont jamais autant inspiré notre confiance.
Si on ressort de la scène du château aliéné de délire, la rappeuse Tracy de Sà remet les choses à sa place sur la scène du pont. Elle fait monter la température d’un cran avec son rap incisif et émancipateur qui forme une voix puissante pour toutes les femmes et minorités de genre. Avec les “Pussy Power” et vulves représentées en rouge sang sur son pantalon, on comprend que Tracy de Sà est venue faire saigner le patriarcat. Grâce à son attitude de bad bitch imposante, elle emporte dans ses revendications tout le public qui s’écrie alors “Power !” après ses puissants “Pussy !”. Qu’elle balance ses punchlines dévastatrices sur des instrus de Nicki Minaj ou que son corps pulse fermement sur des beats ultra expansifs, on assiste à une femme qui rappe pour reprendre le pouvoir. L’artiste honore à cette occasion un pogo réservé aux femmes et aux minorités de genre, telle une safe place instantanée. Tracy de Sà a déclenché une rafale sorore qui a donné à chacun·e d’entre nous un peu plus d’assurance.
Alors que les foules se rassemblent de plus en plus au cœur des douves, le foodcourt lui aussi se remplit. Du saucisse purée au fish and chips en passant par les fruits de mer, le festival culinaire promet une offre plurielle et gourmande. De notre côté, nous nous sommes tourné·es vers l’Argentine pour un choripan que nous avons dégusté devant la grande scène où allait se produire Silly Boy Blue. Celle-ci arrive sur scène avec l’humilité d’une personne qui sait qu’elle va tout défoncer. Même dans l’euphorie du festival, sa pop douce-amère nous touche en plein cœur. L’artiste a créé le moment opportun pour revenir en arrière et dire merde à ses exs, une autre manière d’établir une safe place pour nos cœurs abimés. Nous voilà à marteler en chœur avec la chanteuse Not a Friend, issue de son dernier opus Eternal Lover. Que l’on relate ou non de son expérience personnelle les paroles des chansons, un sentiment de relâchement flotte au-dessus des douves. Dans un même temps, le soleil couchant recouvre d’orange le site, ce qui semble sonner l’heure imminente de la fête. Celle-ci s’annonce par une pluie d’artistes électro qui vont prendre le contrôle du festival à partir de 22 heures. À la manière d’un loup garou transformé à la tombée de la nuit, l’énergie se dégageant de la Douve Blanche s’intensifie, comme prête à accueillir nos plus grandes décadences.
Le déchaînement électronique bat déjà son plein au niveau de la scène de la lune. Située en dehors des douves et annexée au camping, cette scène minimaliste laisse place à des DJ pointus qui ravivent le dancefloor. La productrice Bernadette n’échappe pas à la règle qui, vers 22 heures, rassemble sous une tente étroite avec un pouvoir presque surnaturel toute une foule ratatinée. La chaleur n’est plus un problème et devient même un moteur pour nos déhanchements infinis sur cette EDM précise et ravageuse. Pendant qu’on s’ancre à la scène de la lune, Trefl7 nous élève avec ses synthés atmosphériques qui anesthésient le public de la scène du pont. Perdus pendant quelques instants dans les profondeurs de l’inconscient, on trouve un surprenant plaisir à se laisser hanter par ces voix entremêlées.
Après s’être remis·es de cette interlude absorbante, chaque festivalier·ère répond à l’appel de l’accessible mais réjouissante électro de Radio Cargo à la scène du château. Avec ce set rempli de house et disco des années 80 et 90, le duo signe un des moments les plus fédérateurs de la soirée. Toute la foule y chante sans faute les tubes des années 90 à mesure qu’ils défilent dans le mix. On gardera en mémoire l’excitation du public pendant Sweet Dreams et Barbie Girls, face aux deux DJ enivrés par la sensation évidente de régaler tout le festival. Radio Cargo nous a servi un set démocratique dans lequel tout le monde s’est retrouvé, de quoi nous rappeler la raison pour laquelle on aime les festivals de musique : connecter avec les gens.
Un “zgudududu” lancé à Pacì Paciana plus tard, tout le festival se réarrange pour la techno furieuse de Glitter55. Au programme : des beats élastiques et en constante croissance qui résonnent encore dans nos cages thoraciques. Sa musique sonne comme une course contre la montre à laquelle nos corps répondent automatiquement. L’occasion également pour certains de brandir à partir de leur téléphone un “qui a du poppers ?”. Tantôt drum and bass, tantôt industrielle, sa tech hardcore sonne l’urgence, celle du dancefloor. Kicks métalliques et basses puissantes s’accélèrent toujours plus, nos pas lourds sur le sol qui les suivent avec concentration, à en faire presque trembler les impassibles douves du château. On a à peine le temps de ralentir que le duo cagoulé de Phantom Traffic prend le relais avec sa techno stratosphérique. Leurs distorsions acid font fonctionner l’imagination des festivaliers qui alternent entre mouvements secs et grandes gestuelles expressives. Ce grand théâtre électronique se termine à 5 heures du matin, chacun se regardant comme pour se demander ce qui vient de se passer. Mais peu importe, les douves nous ont fait nous sentir comme des rois et des reines. Des empereurs et impératrices même.
En musique, je ne suis jamais catégorique. Toutefois, je tends à penser que si le disco n’est pas votre genre musical préféré, vous êtes ennuyeux.