La force des festivals électroniques underground belges racontée par la DJ anversoise Bibi Seck
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
30/03/2022

La force des festivals électroniques underground belges racontée par la DJ anversoise Bibi Seck

| Photo : Annika Wallis

De toutes les scènes musicales actuelles, force est de constater que c’est entre les murs humides des clubs électro/techno que mûrissent les meilleures idées. Mêlant musicalité léchée à une philosophie de transmission de la culture club, les festivals belges Listen et Horst servent d’exemples en termes d’événements engagés et consciencieux. Alors que la nightlife fait ressortir les côtés “sombres” de ses clubbeurs et clubbeuses, il est devenu courant d’y voir fleurir des initiatives diverses visant à plus d’ouverture, de sécurité et de bienveillance au cœur des longues nuits d’effervescence des quatre coins du pays.

Et les festivals ne sont pas en reste, comme le démontre le concept Night Signals du Listen Festival, consistant en une série de tables rondes et de conférences autour de sujets sociaux variés touchant à la culture club : sexisme, violence, consommation de drogues, etc. Niveau musique, avec une affiche généreuse qui ose le grand écart d’un Altin Gün à Flagey en ouverture du festival et d’une énorme teuf en pleine Gare du Nord le 2 avril, le Listen Festival s’apprête à prouver une nouvelle fois son statut d’incontournable. C’est Bibi Seck, DJ anversoise ascendante, habituée des scènes des festivals underground, qui nous parle le mieux de ces événements à la symbolique et aux valeurs si particulières.

LVP : Le Listen Festival débarque bientôt dans la capitale belge. En tant qu’artiste, que représente ce genre de festival, qui se rapproche beaucoup de ce qu’un événement comme Horst propose également ?

Bibi Seck : Ce sont ceux que j’attends avec le plus d’impatience. Il existe pas mal d’événements où les artistes sont booké·es tout simplement pour la musique, sans penser forcément aux artistes programmé·es, à ce que dit l’affiche et les messages qu’elle peut véhiculer. C’est souvent du marketing pur et dur. Mais ici, il y a une approche particulière : il y a plus de diversité et une attention particulière portée à la curation du line-up qui fait qu’on est souvent fier·ères d’en faire partie. Les personnes derrière ces événements comprennent ce dont la nightlife a besoin et créent des safe spaces.

LVP : Avec son concept Night Signals, Listen Festival propose également des tables rondes et des conférences autour de sujets sociaux liés à la nightlife : violence, consommation de drogues, sexisme, etc. Comment explique-t-on que la culture club soit plus alerte quant aux questions sociales ?

BS : Je pense qu’une bonne partie de la réponse se trouve dans le fait que la nuit, dans les clubs, on révèle notre côté « obscur ». Les gens perdent leur filtre et sont habité·e·s par une certaine honnêteté, notamment envers leurs désirs et leurs pulsions. Forcément, ça conduit parfois à des situations merdiques, notamment pour les femmes qui subissent du harcèlement et des agressions. Mais les gens qui s’autorisent à embrasser cette forme pure et primaire d’eux-mêmes sont aussi ceux qui remettent le plus facilement tous ces comportements en question, et osent débattre de ce qui peut se produire de négatif dans ces milieux. Le sens de communauté et de collectivité qui est observable dans la nightlife favorise aussi le phénomène de déconstruction et de remise en question, car les personnes qui en font partie veulent que les choses aillent dans le bon sens, la plupart du temps.

LVP : Tu dirais avoir observé un shift dans la façon de construire ces safe places dans la nightlife ?

BS : Je vois que les gens essaient, en tout cas. Et c’est déjà une sensation très réjouissante. La nuit dernière, j’étais à La Cabane, à La Hulpe, et aux toilettes je suis tombée sur cette pancarte « Ask For Angela », qui permet aux femmes en situation d’insécurité de se faire aider de façon anonyme et discrète en utilisant un langage codé au bar. Ce genre d’initiatives génère un sentiment de sécurité. Alors, forcément, ça ne veut pas dire que le problème est résolu, mais c’est déjà un pas vers la bonne direction.

LVP : On parlait de communauté de clubbeur·euses, mais ce genre d’événements permet également de rassembler des artistes de pays et scènes différent·e·s. En quoi est-ce bénéfique de pouvoir échanger avec ces autres cultures musicales ?

BS : En Belgique, la plus grosse scène que nous avons est la scène techno. Le public qui consomme ce genre de musique est globalement homogène. En Angleterre, plusieurs scènes électroniques différentes trouvent leur public, et cela permet de diversifier les foules, notamment en termes de personnes de couleur : UK funky, garage, ampaiano. C’est rafraîchissant d’échanger avec ces artistes internationaux·ales qui fédèrent des communautés différentes via leur musique, et c’est ce qui manque un peu en Belgique. Même moi, en tant que femme noire, je me sens parfois coupable de ne jouer que de la house music pour un public blanc. Certes, j’adore l’expérience, j’adore les retours de ce public, mais parfois j’aimerais évoluer dans des milieux au sein desquels je peux me dire « Ces gens sont ma communauté. Ils comprennent ce que je joue et d’où vient cette musique. » C’est quelque chose qui me manque, parfois.

LVP : Comment permettre à toute personne de se constituer un safe place au sein de la nightlife ?

BS : Via la consolidation de communautés ! Quand tu vois un projet comme Kiosk Radio dans le Parc de Bruxelles, tu vois un vrai collectif se créer autour des événements mis en place. La plupart du temps, ces communautés se créent suite à un besoin de trouver un safe space, un endroit où s’exprimer librement. Il n’y a pas de solution miracle, mais il faudrait peut-être s’inspirer de ce qui s’est passé à Détroit dans les années 80, à l’avénement populaire de la musique techno. C’est le genre de situation où tu te retrouves forcé·e d’innover et d’user de créativité pour construire des safe places pour toi et les personnes qui t’entourent, et de cela en ressortent des choses innovantes et merveilleuses.

 

LVP : Toi qui as l’habitude de jouer tant en clubs qu’en festivals, où évolues-tu davantage en tant que DJ ?

BS : En festival, d’office. Tout d’abord parce que tu peux te permettre d’être beaucoup plus éclectique dans ta sélection de morceaux. Tu peux passer d’une musique très hard à quelque chose de plus ouvert, sans problème. En clubs, il y a ce besoin d’être constamment dans le hard pour garder les gens sur pieds toute la nuit. En festival, il y a aussi cet esprit de compétition, en quelque sorte. Tu as envie de garder les gens à ta scène, pour partager cette expérience à fond, donc tu t’appliques davantage dans ton set. En club, c’est différent, car les gens viennent parfois seulement pour teuffer, boire, et c’est le côté plus “sombre” de la nightlife.

LVP : On observe progressivement la culture club s’inviter dans des milieux plus mainstream comme celui des festivals à grande échelle. Tu dirais que ce phénomène nous éloigne de l’essence de la club culture

BS : Je pense qu’on s’en est éloigné il y a bien longtemps, en réalité ! Si on parle de house music, par exemple, l’essence de cette scène était une fédération des strates marginalisées : la communauté queer, les personnes de couleur, et toutes les personnes qui ne bénéficiaient pas d’endroits où aller faire la fête. De leur réunion est née cette musique qui s’éloignait des codes musicaux mainstream de l’époque. Aujourd’hui, je me retrouve à jouer de la house music devant des publics presque exclusivement blancs. Donc l’essence est perdue depuis pas mal de temps, déjà. Mais des festivals comme le Listen ont à cœur de s’adresser à un public constitué de mélomanes qui s’intéressent aux valeurs derrière la musique, aux histoires et à la sociologie de ces scènes. Ce serait simpliste de dire que c’est ça qui va diversifier les publics à nouveau, mais au moins on rend hommage à cette culture, et on lui donne de la consistance, d’une certaine manière, en l’archivant.

LVP : J’ai eu l’occasion de voir ton set au Horst Festival l’an passé, et c’était assez dingue. En tant que DJ, tu sens une différence quand tu joues à ce genre de festivals ? 

BS : Oui, énormément ! En général, quand je suis bookée à des événements dits plus « mainstream », je m’assure de glisser des tracks que les gens connaissent, qu’ils acceptent facilement et sur lesquels ils peuvent s’ambiancer. Mais en préparant mon set pour le Horst, l’an passé, j’ai pensé : « Je vais juste proposer ce dont j’ai envie. Et je sais que les gens vont accepter ce que je leur donne. » Et c’est un sentiment d’assurance qui est rendu possible car j’ai confiance en ce genre d’événements. Que ce soit Horst ou Listen, je crois en leurs campagnes et leur philosophie, car elles permettent d’attirer des publics ouverts et bienveillants.

LVP : La popularisation des musiques club induit aussi un phénomène de « starification » des DJs. Des figures comme Tsha ou Anz deviennent carrément leur propre image de marque avec des fans et des followers à la pelle, et une possibilité de constituer un univers visuel via des clips, des artworks, des shoots. C’est une transition positive, selon toi ?

BS : En général, l’industrie musicale est progressivement devenue visuelle avec l’avènement des clips, et les réseaux sociaux sont venus booster tout ça. Mais en tant que DJ, c’est longtemps resté très épuré. On sortait un morceau, on le jouait en clubs, et c’est tout. Pas de stratégie marketing, pas d’image de marque. Tu pouvais être le ou la meilleur·e de ton milieu, l’attention n’était jamais forcément mise sur toi.

Aujourd’hui, tu peux créer un personnage et tu peux être le projet, et pas seulement laisser la musique assurer le job. Et ça peut être effrayant. Par exemple, moi, j’avais peur de créer ma page Facebook et de me retrouver au devant de la scène de mon projet. Mais j’ai vite compris qu’on ne bookait plus simplement pour la musique, mais aussi pour l’image que l’on renvoie, et qu’il faut savoir se mettre en avant. Et ça a des bons comme des mauvais côtés. C’est positif que les DJs et producteur·rice·s puissent s’autoriser à être des images de marque, mais il ne faudrait pas que ça bascule dans l’excès et la surmédiatisation qu’on observe dans d’autres milieux.

LVP : La pandémie a démontré que, plus que quiconque, les DJs avaient besoin d’événements dans des festivals ou dans des clubs pour faire vivre leur musique. Tu dirais que c’est une force ou une faiblesse ?

BS : C’est une question complexe. Mais j’ai envie de dire que c’est une force. Essentiellement, le job d’un·e DJ est de fédérer les gens et les faire profiter du moment ensemble. C’est aussi ça qui me fait aimer ce métier et le détester parfois : j’aime inconditionnellement voir les gens danser sur mes sets, mais mon job perd tout son sens quand je n’ai personne sur la piste de danse. Mais quand la magie opère, on ne s’imagine pas à quel point c’est fort et puissant pour un·e DJ de voir une foule en liesse devant soi.


Plus d’infos et billetterie : https://listenfestival.be

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