La future soul complexe de Hiatus Kaiyote magnifiée dans Mood Valiant
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
14/07/2021

La future soul complexe de Hiatus Kaiyote magnifiée dans Mood Valiant

Les virtuoses de Hiatus Kaiyote ont mis six ans pour nous offrir le successeur de Choose Your Weapon. Ce groupe qu’on qualifie tantôt de neo soul, future soul, jazz et autres essais de catégorisation, ne suit que son propre courant. Un son avant-garde qui est complexe par ses allers-retours du futur au passé et son groove fou. C’est donc le 25 juin dernier que le quartet nous a présenté Mood Valiant, un album qui exprime toute l’intrication de leur musique, avec ses samples, influences et invités en tous genres. 

Le projet a deux moods qui s’organisent dans un spectre de complexité. D’un côté du spectre, un esprit très jazz et moins accessible et de l’autre côté, une soul plus douce et minimaliste qui se rapproche de la pop dans sa structure – le tout se rassemblant sous la voix de la grande Nai Palm (également guitariste). Et c’est de là que tout démarre ; même au niveau du nom de l’album qui rappelle son enfance. Sa mère possédait deux superbes Chrysler Valiant station wagon, une blanche et une noire, et elle conduisait l’une ou l’autre en fonction de son humeur. D’où l’ingénieux Mood Valiant qu’on peut retrouver sur cet album qui témoigne assez bien du contraste du projet.

Un invité de taille sur ce disque est le légendaire brésilien Arthur Verocai, qui a arrangé quelques sons de l’album et dont on ressent nettement l’apport sur le déjanté Get Sun pour lequel il est listé en featuring. Il y apporte les sonorités de chez lui, en gardant cette rythmique jazz et ce brouhaha qu’on leur connaît, augmentés d’instruments d’orchestre. Sur Stone and Lavender, sa patte est plus discrète, mais toujours aussi efficace. Aux antipodes de la chanson précédente, on est face à une ballade au piano dont la douceur simplifie tout instantanément. Les arrangements au niveau des instruments à cordes sont magnifiques et complimentent l’écriture poétique de Nai à merveille. C’est là que cette dualité est prouvée, dans cette aisance pour le groupe à briller autant dans la complexité et la folie que dans le minimalisme et l’émotion. 

 

On ne pourrait nier le sujet de l’amour sur cet album. On en retrouve des miettes sur All The Words We Don’t Say, dans lequel on admire la voix de Nai Palm à son comble sous des nappes de production séditieuses qui empruntent au jazz funk sur les refrains avec leur synthé percutant. Ce son chargé et radical emmène le morceau sur les tréfonds obscurs de l’électro. Néanmoins, c’est là qu’on retrouve les démons de Choose Your Weapon qui se voyait trop désordonné et confus par moment au niveau des mixes, faisant ressembler certains sons à des jams de salon. Les instruments se cannibalisent et le son a du mal à respirer, ce qui le rend moins accessible, mais pourtant toujours aussi bon. Car ici : more is more.

Dans And We Go Gentle le feeling est plus sexy. Ça fait bouger des épaules dès les premières notes de batterie de Perrin Moss qui nous emportent avec elles. Très peu de paroles, mais on peut quand même y entendre  « Moonlight I see why some go. We go far and we go gentle. » – et il n’en faut guère plus pour nous convaincre. Le sentiment est d’ailleurs partagé par le chef-d’œuvre de cet album, Red Room, qui témoigne de la force des sons les plus smooth du projet. Les paroles y sont simples et pourtant en disent beaucoup. Et ce refrain, mais CE REFRAIN qui reste dans la tête dès la première écoute, avec toujours ce sentiment assez intimiste qui rappelle le R&B et la soul pour nous bercer tout doucement. 

Le contraste est bien net quand on sait que la chanson suivante, c’est le puissant Chivalry Is Not Dead avec une ligne de basse à réveiller les morts – du slapping comme on l’aime exécuté par Paul Bender pour le meilleur des grooves. On y retrouve un R&B sensuel très révélateur dans les paroles qui s’intensifie avec les cris de Nai. Elle y dit : « Close to your molecules, I wanna be » et c’est bizarrement assez romantique, et on peut bizarrement s’y identifier.

 

On voit bien que cet album est plus précis, moins désordonné, si bien que l’envie nous brûle les doigts d’écrire que c’est l’album de la maturité. Les refrains sont catchy, les sons plus structurés et ressemblent moins à des sessions d’impro, toujours avec cette frénésie qu’on adore. On y ressent l’apport du studio, de l’arrangement, il est vrai. Cependant, il peut manquer de cet esprit jazz d’improvisation qui fait ressortir un peu de folie. Ce qui pourrait expliquer que le groupe insuffle un peu de confusion à certaines chansons, comme pour les rendre moins accessibles.

Toujours est-il que tout y est plus osé et mieux exécuté. Leur musique est similaire à l’architecture d’un bâtiment complexe mais au design aéré à l’intérieur. Ils rendent leur son chargé par nature, simple et évident. C’est ce qui en fait toute l’avant-garde et nous permet aisément de remplacer le neo soul qu’on leur associe par future soul. Leur style met peut-être plus de temps à apprivoiser et à comprendre, mais ce n’en est que bénéfique finalement. Mood Valient fera partie d’une masse de tops de mélomanes et médias musicaux en fin d’année, on vous l’assure.


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