La magie dissipée et mystérieuse de Eartheater s’invite au Botanique
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
25/10/2021

La magie dissipée et mystérieuse de Eartheater s’invite au Botanique

| Photo : Giulia Simonetti

Il y a une semaine, on s’est rendu·es dans l’antre majestueux de la Rotonde du Botanique à Bruxelles pour voir Eartheater. Sept jours, c’est à peu près ce qu’il a fallu pour nous en remettre. Arrivée chez nous depuis un autre monde, Alexandra Drewchin, de son vrai nom, nous a gratifiés de son avant-gardisme, de son charisme dingue et de sa musicalité hors pair. Quelque part entre lyrisme, bruitisme et folk. Le tout avec un humour grinçant, une impertinence délicieuse et une authenticité rare. 

Inclassable et captivante, Eartheater s’est rapidement trouvé une place de choix dans la scène niche internationale, en témoigne la salle comble à craquer ce soir-là. La fanbase sait déjà ce qui l’attend : une bonne grosse claque. Mais vient d’abord le temps de s’immerger dans les méandres étriqués et minimalistes de Gone Icon, producteur bruxellois aux compositions atmosphériques désarmantes. Une première partie adéquate, qui insuffle déjà un esprit de liberté et d’anticonformisme à cette soirée placée sous le signe de l’hérésie.

| Photo : Giulia Simonetti

Lorsqu’elle s’avance sur la scène, sous les applaudissements chaleureux de la foule du soir, c’est sans chichi : Drewchin ne s’embarrasse d’aucune forme de prétention. Surprise, elle est comme vous et moi : naturelle, spontanée, maladroite et blagueuse. Tant d’adjectifs que l’imagerie léchée à l’extrême de ses clips n’aurait jamais laissé imaginer. Simplement accompagnée de son violoncelliste Patrick Belaga, elle occupe l’espace comme peu savent le faire. Dans sa robe transparente à l’esprit floral, elle pavane un sac à fourrure rose bonbon d’une taille nanométrique. Juste la place pour y glisser sa setlist de la soirée, qu’elle devra vérifier entre chaque morceau.

Car Eartheater est dissipée, tumultueuse, ne tient pas vraiment en place. Lorsqu’elle saisit le micro pour s’adresser à son cluster du soir, c’est toujours dans un élan diffus et nébuleux d’anecdotes qu’elle s’enfonce : “C’est un miracle que je sache lire. Je n’ai jamais voulu apprendre à lire quand j’étais jeune” nous lâchera-t-elle notamment, avant de citer l’ouvrage The Giver comme la raison de son alphabétisme. Une transparence qui fait sourire, et qui induit cette image bien précise : celle de l’élève turbulente du fond de la classe, qui épate tout le monde une fois devant le tableau. Car lorsqu’il faut rentrer dans le concret, Eartheater est exemplaire. Armée de sa guitare acoustique, épaulée par son musicien, elle parvient à retransmettre ses compositions célestes avec une finesse folle.

| Photo : Giulia Simonetti

L’avantage avec la pandémie, c’est qu’elle nous aura laissé le temps d’oublier certains albums avant de les retrouver en live. Ce qui nous offre l’opportunité de les redécouvrir, de se rattacher à nouveau aux émotions familières qu’on a pu ressentir plusieurs mois plus tôt. Phoenix: Flames Are Dew Upon My Skin est un album transcendé par la beauté d’une folk contemporaine audacieuse, truffé de surprises et d’émotions en tout genre. Pouvoir le retrouver dans une configuration acoustique comme celle-là est un véritable cadeau. Les ballades nébuleuses que sont How To Fight ou Volcano trouvent alors un écrin idéal entre les murs circulaires de la Rotonde. La voix de Drewchin a cette particularité de titiller des notes célestes et pures tout en s’inscrivant dans des compositions cauchemardesques aux allures infernales.

C’est là le grand paradoxe de l’univers Eartheater : un pied dans les flammes de l’Enfer et l’autre caressé par l’herbe verdoyante de l’Éden, elle s’aventure dans des chansons d’amour un couteau dans le cœur et la voix en feu. Torturé et troublé, son timbre frôle des aigus maladroits, se coiffe de vocalises presque accidentelles, sans jamais en perdre une once de beauté.

| Photo : Giulia Simonetti

Lorsqu’elle s’éloigne de l’organique, la musique d’Eartheater bascule complètement dans un bruitisme expérimental surprenant. En témoigne l’halluciné Burning Feather, qui se compose principalement de sections étouffées, comme des aboiements saccadés aux accents androïdes. Une césure qui donne finalement du rythme au live, et qui apporte un équilibre intéressant entre l’organique (central dans son univers) et l’électronique, qui semble d’ailleurs être au cœur du prochain chapitre de sa discographie, à en croire le premier single Scripture paru plus tôt dans le mois.

Mention spéciale pour Below The Claviculevisiblement attendu d’une bonne partie de la foule, qui se dresse comme le tube de l’opus – si on veut reprendre les termes de la sphère mainstream. Un morceau qui introduira le final de cette soirée mémorable, qui clôture d’ailleurs la tournée de l’album, et qui réunit toutes les bribes de magie de la chanteuse : une structure pleine de libertés, des envolées vocales impossibles et une mélancolie perçante, qui ne laisse personne indifférent·e. “Restez 250s’il vous plaît” plaisante-t-elle au cours de son show, traduisant cette idée qu’Eartheater est un personnage taillé pour les salles moyennes, qui laissent entrevoir le visage de son public, et qui induisent la proximité et une certaine forme d’intimité. Deux sentiments qui auront plané sur tout le concert et qui confèrent à l’hypnotique Eartheater une force chaleureuse.