La Messe de Minuit : aux anges depuis l’abysse
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Auteur·ice : Clémence Maillochon
18/10/2019

La Messe de Minuit : aux anges depuis l’abysse

Samedi 21 septembre, le Transbordeur de Villeurbanne recouvrait sa fonction première, soit transiter une cargaison d’un lieu à un autre. Confiants, nous nous sommes abandonnés à la pointe de son crochet afin de rejoindre le temple du rock. Deux jours déjà que les guitares écorchent la ville lumière, que la sueur tache les murs de l’Épicerie Moderne, du Périscope, et que les fidèles comblent les Messes. Coda d’un week-end mystique, Fat White Family, Yak, Lysistrata, The Psychotic Monks, Decibelles et Bandit Bandit se font maîtres de la troisième. Nous prenions la plume, jour d’équinoxe, des résidus de La Messe de Minuit mordant encore l’échine.

Mars puis six mois. Le parvis n’attend que nos pas, de même que nous n’attendions que lui. L’Angélus sonne. Bouches arquées, les prêcheurs, membres de Cold Fame et Last Train, accueillent chaque pèlerin avec soin. Ces derniers franchissent le seuil au compte-goutte, silhouettes juvéniles épousant celles aux épaules usées. Tous pourvus du nectar bénit, indigo aux cieux, rouge sang à la scène, l’office en est à son prélude.

© Lukas Guidet

Un bourdonnement venu d’outre-tombe rassemble les têtes face à l’autel enfumé du club. Tels Adam et Ève, Bandit Bandit ne semble pouvoir travestir son instinct animal, préférant louer la sensualité des corps à leur chasteté. L’énergie est furieuse, les cheveux décoiffés, le regard troublant. Héritiers français des anges noirs texans, Maëva et Hugo nous font don de leur récent savoir-faire, sans réserve aucune. Fever sublime la langue d’un Shakespeare fougueux, Maux exhibe un amour palpable voué au Gainsbarre ténébreux. C’est rond, gros, gras. Saisissant aussi, lorsque l’Orient introduit l’ultime homélie. Durant trente minutes, nous restons figés sous le poids d’une élégance hors-norme. Nulle prémonition n’aurait laissé supposer que ces brigands célébraient seulement leur onzième culte tant l’équilibre entre tensions et ruptures est juste, tant l’orgie est étourdissante.

Répit zéro. En un mouvement, comme convoqués par ces distorsions lointaines, nous nous rassemblons au pied des Lysistrata. Petits au centre de la vaste étendue. Grands, à l’instar des bleus marbrant nos joues à chacune de leurs prouesses. Les cordes sont plus rêches, les voix arrachées. Mourn tapisse nos crânes. Sous les douches de lumières, les visages aux yeux clos se révèlent hypnotisés, baignés par les ondes nostalgiques un temps, éclaboussés par la rage la seconde suivante. Sugar & Anxiety lui succède. Avec elle, collisions et convulsions, coups de sang et coups de blues. En nage, Théo troque son instrument. Rose sera le prochain, n’empruntant que sa vivacité à la couleur, que l’épine à la fleur, permettant au timbre lancinant de pénétrer nos tissus jusqu’à l’os. Renversant.

C’est le squelette ankylosé que nous retrouvons l’intime hall voisin, déjà investi par Yak. Notre esprit cherche encore à mettre des mots sur le sort précédemment jeté. Il divague et ne rejoint son enveloppe qu’au troisième psaume, alors que Oli Burslem loue l’éclat de l’instant présent proclamant “I’m in pursuit of momentary happiness”. Offrande aux faisceaux argentés, son attitude nonchalante attise la flamme des briquets et nourrit l’énigme du poète maudit qui, ainsi, n’agrémentera Words Fail Me que d’un timide remerciement. Et puisque la maxime met en garde contre l’eau qui dort, nous la vérifions à l’écho des prochains sermons. Pacifiques ? Non. Disons moralistes, hymnes fédératrices. Fried récolte la générosité des chœurs. Blinded By The Lies sème la folie.

L’air extérieur devient nécessaire. Quelques bouffées inspirées, nous sommes fin prêts à assister au premier baptême lyonnais de Fat White Family. Un sacre aux allures de rituel exorciste stérile, puisque les démons peuplant l’âme de Lias Saoudi persistent, puisant leur force à grandes goulées dans l’illustre breuvage irlandais. Sur un fil, aussi raide que la fratrie elle-même, Fringe Runner, Feet ou When I Leave jouent aux funambules. Perchés, néanmoins linéaires. Le furtif Special Ape secoue finalement nos carcasses comateuses, qui ne manqueront de se diluer une nouvelle fois, captivées par les vocalises funèbres de Tastes Good With The Money.

Marqués par la requête kétaminée de la grosse famille blanche, les fronts perlés poursuivent innocemment l’initiation. Halte sur le chemin de croix, Decibelles délivrent une version piquante du dogme. Leur ardeur, le fracas des fûts, leur poésie et leurs chants acérés clouent au sol lorsqu’ils n’appellent pas l’assistance à s’entrechoquer. En effet, Manger son ex, Dimanche ou Qu’est-ce t’as enterrent tout élan intégriste. Nous admirons alors cette puissante liberté pourtant entendue comme brutale et facile sur l’hostie. Voilà pourquoi, à l’heure où Sabrina, Fanny et Guillaume crachent leur détonation finale, une horde de convertis implorent la reprise des armes. En vain.

L’estrade parallèle revêt son manteau noir. À petits pas grande hâte, nous fendons l’obscurité. Électrique, narcotique, propre à n’éveiller que les psychoses. Les ombres nous parlent. Les guitares aussi. Le plancher tremble, un cœur bas et l’orage gronde. The Psychotic Monks nous font perdre tous repères temporels. Résignés, nous nous laissons glisser vers les souterrains, l’éternité de leurs odes perturbant l’encéphale. À cet instant nous pensons : livrer l’histoire entière serait cruel. Beaucoup l’annoncent et nous le confirmons, la légende n’est certainement plus un secret. Pourtant, il vous faudra les voir pour le croire.

 

Photo principale © Lukas Guidet

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