La messe de Tricky à l’Elysée Montmartre
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Auteur·ice : Paul Mougeot
28/12/2017

La messe de Tricky à l’Elysée Montmartre

Les doigts s’ouvrent et se referment inlassablement sur le manche du micro, la jambe est parcourue d’impressionnants soubresauts, les paupières tressautent à mesure que la tête se balance, les mains ne connaissent pas de repos, malmènent un maillot informe dans lequel flotte son propriétaire ou sont violemment balancées en l’air, les pieds de micro tombent les uns après l’autres, entraînés dans leur chute par les mouvements frénétiques de l’artiste : un concert de Tricky a tout d’un impressionnant rituel. C’est l’Elysée Montmartre et son imposante architecture qui ont fait office de chapelle lors du passage du gourou du trip-hop, venu présenter à Paris son dernier album Ununiform le 15 décembre dernier.

La première partie est insignifiante et suscite des émotions mitigées dans la salle, qui oscille entre incompréhension et ennui affiché. Venue assister à une performance de l’ex-évêque de Massive Attack, l’assistance se retrouve devant un DJ, sympathique diacre de la musique d’ascenseur, dont le seul fait d’armes reste d’avoir recueilli quelques salves d’applaudissements sur un remix de Requiem pour un con de Serge Gainsbourg et sur Dead Bodies de Air.

Comme à l’accoutumée, Tricky débarque sur les notes de You Don’t Wanna, sombre et inquiétante adaptation de Sweet Dreams (Are Made Of This) d’Eurythmics. On distingue à peine, dans la pénombre et à travers la fumée, l’extrémité rougeoyante de la cigarette du maître de cérémonie. Sur scène, le décor est minimaliste : un batteur, un guitariste et une choriste prennent place sur l’autel au moment où la nef de l’Elysée Montmartre s’éteint, quelques pieds de micro s’élèvent en guise de piliers chancelants, le reste est laissé à l’imagination du millier de fidèles qui s’est amassé en ces travées pour l’événement qui affiche complet.

Les premiers rangs frémissent lorsque retentissent les premières notes de I’m Not Going. Le guitariste et le batteur, réglés comme du papier à musique, délivrent leurs lourdes notes et s’assurent que l’ambiance vénéneuse et tourmentée de la musique d’Adrian Thaws (véritable nom de Tricky) imprègne la salle. Quoique moins brillante que Francesca Belmonte ou que Martina Topley-Bird, qui ont éclairé les performances et les disques de Tricky de leur charisme au fil des années, la choriste tient son rang. De son côté, le Britannique susurre quelques phrases d’une voix presque inaudible, hurle à côté de son micro et déambule d’un pas mal assuré sur scène, offrant aux yeux du public des interprétations poignantes. Pendant une heure, Tricky a servi un condensé plutôt convenu de sa discographie, entre morceaux de son nouvel album (New Stole, Doll, Armor) et titres plus classiques tels que Parenthesis, sublime reprise d’un morceau de The Antlers, le terrible My Palestine Girl ou le mélancolique Nothing’s Changed.

Pourtant, si l’audience n’est pas entièrement conquise, cela tient en grande partie à la performance du natif de Bristol. Les concerts de Tricky sont étonnamment clivants : là où certains voient du génie dans la performance de l’artiste, tantôt minimaliste, tantôt très expansive et en tout cas destinée à mettre en exergue son incroyable talent de composition, d’autres la jugent paresseuse et indigne de sa réputation. Frustrée, déçue, ou incapable d’apprécier la grande messe qui se jouait sous ses yeux, une partie du public a quitté la salle avant même le début du rappel. Pour le plus grand bonheur des ouailles les plus ferventes, Adrian Thaws remonte sur scène avec une petite enceinte qui crache Le Goudron de Brigitte Fontaine, artiste française régulièrement citée par le Britannique comme l’une de ses influences. On ne regrettera finalement que la durée relativement courte du concert, un peu plus d’1h15, qui s’achève avec Overcome, texte fondateur cette Bible du trip-hop qu’est Maxinquaye, le premier album de Tricky.

À l’instar d’un chaman, Adrian Thaws quittera finalement la scène de l’Elysée Montmartre en ayant ravi ses admirateurs autant qu’il aura agacé ses détracteurs.

Photo principale : Onstage.it

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