“La poésie est là pour les curieus·e·s” : l’amour des mots au Charabia Festival
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Auteur·ice : Victor Houillon
22/12/2021

“La poésie est là pour les curieus·e·s” : l’amour des mots au Charabia Festival

Charabia Festival. Derrière ce drôle de nom, on retrouve l’artiste rémois Barcella, qui a construit l’essence même de son projet musical avec l’idée de s’amuser à manier les mots tant pour leur sens que leur sonorité, et Kalagan, co-directeur d’Ulysse Maison d’Artistes. Deux personnages dotés d’une réelle vision, qui tiennent à faire évoluer la perception de la langue française, que l’on a rencontrés pour parler de littérature, de musique, d’action culturelle, et du collège de mon enfance. 

On en a également profité pour s’offrir de beaux moments à la Cartonnerie au coeur d’une soirée découverte qui réunissait de jeunes artistes qui, chacun et chacune à leur manière, savent raconter des histoires au fil des genres musicaux. Petite Gueule, Chien Bavard, et Lombre s’y sont succédé en autant de projets pertinents. On a surtout été chamboulé·e·s par Vikken, dont l’électro sombre était un pari dans un festival de “chansons”. Pourtant, à écouter l’intensité du récit de Pour une amie ou le mantra dépressif de Aghet (Catastrophe), on salue autant la prestation de l’artiste face à une audience surprise que l’initiative de l’équipe du Charabia Festival de programmer des artistes inattendu·e·s dans un tel contexte.

 

Surtout, cette cinquième édition a vu le retour du Fils du Hip-Hop à la maison. Pour sûr, Gaël Faye au Charabia Festival, c’est une affaire qui marche. Et pour cause, le rappeur qui a écrit Petit Pays (accessoirement Prix Goncourt des Lycéens) et l’équipe organisatrice partagent un véritable amour des mots en plus d’habiter dans la même ville de Reims, qui se trouve être celle de mes parents. Un alignement de planètes qui nous a poussés à filer dans la Cité du Champagne pour s’ambiancer sur les nouvelles et nouveaux poètes entre deux coupes de Champagne. Et à voir l’énergie incroyable déployée par le grand échalas et ses collaborateurs de prestige (Louxor, Guillaume Poncelet, mais aussi Samuel Kamanzi et Flavia Coelho) pendant près de deux heures, on ne regrette pas le moins du monde le déplacement. Capable de faire bondir l’exigeant public intergénérationnel de Reims sur des titres comme Irruption ou Boomer mais également capable de transmettre une multitude d’émotions sur des textes à la poésie lourde de sens comme C’est cool, Petit Pays ou Seuls et vaincus, celui qui nous a récemment narré ses 1001 vies s’est affirmé un peu plus comme un artiste complet et abouti dont le propos rassemble tout le monde, quel que soit l’horizon ou l’âge. Vraiment, vous ne regretterez pas de vous offrir la chance de participer à un de ses concerts à la prochaine occasion. Merci le Charabia Festival !

 

La Vague Parallèle : Bonjour Barcella et Kanagan, merci de nous recevoir à la Cartonnerie, au premier tiers de cette édition 2021 du Charabia Festival. Comment ça va ?

Barcella : Je trouve que ça va plutôt très bien.

Kalagan : Très bien oui. On n’avait pas travaillé depuis un an, il y a quelques habitudes à retrouver, une organisation à mettre en place. Il y a un goût de fête à retrouver le public et les artistes. C’est fatigant, nos métiers, on ne se rend pas compte (rires).

LVP : L’organisation, justement, a dû être particulière. Comment avez-vous su jongler entre les artistes de la dernière édition, annulée, et ceux que vous souhaitiez rajouter ?

K : On essaye simplement de gérer au mieux. Il y a des artistes que l’on souhaite toujours accueillir, mais on ne voulait pas que l’édition annulée soit reportée telle quelle. C’est aussi pour cela qu’on se retrouve à passer de cinq jours de festivals à onze. Gaël Faye, Thomas Dutronc et Têtes Raides ont été maintenu·e·s, mais on a pu avoir Yseult, Catherine Ringer notamment en plus.

B : On a “perdu” quelques artistes comme Pomme ou Vincent Delerm qui ne sont plus en tournée.

LVP : Nous en sommes donc à la cinquième édition du Charabia Festival. Pouvez-vous nous raconter sa genèse ?

B : On va dire que j’ai planté la graine, puisque Reims, c’est ma ville, c’est ici que je vis et que j’ai mon projet musical. Je suis donc allé trouver des partenaires, dont Ulysse Maison d’Artistes qui a co-fondé ce festival à mes côtés. On se partage un certain nombres de tâches. Je vais plutôt fédérer les énergies autour du projet, que ce soit public ou privé, et une partie de la politique artistique, comme l’idée de s’ouvrir à la littérature par exemple. Ensuite, Ulysse s’occupe de toute la prog, l’organisation de la presse, etc.

K : C’était une rencontre, un partage d’une même envie, avec la Mairie de Reims également. Toutes ces énergies ont fait qu’on est là.

LVP : Par rapport à cette Ville de Reims et ses rendez-vous musicaux, que ce soit par le passé Elektricity ou désormais La Magnifique Society et Ami-Ami, comment avez-vous su trouver votre place ?

B : Il n’y avait tout simplement plus de festivals qui cherchaient à valoriser la langue française et la poésie. À l’époque, les Langagières à la Comédie de Reims le faisaient sur quelques jours. Mais depuis quelques années, il y avait vraiment une place à prendre pour défendre l’amour des mots, de la langue française, de la chanson et de la poésie. Le Charabia Festival est venu s’inscrire dans cette lignée-là. Ma mère était prof de lettres, ayant construit toute ma jeune carrière sur l’amour des mots, ayant l’envie de le faire, cela a été plutôt naturel.

K : Cela s’est fait ultra-simplement, en concertation les uns et les autres pour ce qui est de la ligne artistique et des périodes de calendrier, que ce soit avec l’équipe de la Cartonnerie, celle de La Magnifique Society, le Festival Jazzus… Ce créneau autour de la langue française trouvait sa place dans l’ensemble des propositions. Cela nous a permis de multiplier les lieux partenaires afin de rayonner dans toute la ville, avec la Cartonnerie bien sûr, mais également la Comédie, la Maison Commune du  Chemin-Vert…

B : … Le musée Saint-Remy, la Médiathèque aussi. On souhaite investir le Cirque et le Manège dans les années à venir, avec aussi la naissance de la grande salle de l’Arena. Surtout, je pense qu’on répond à une envie du public et à son amour pour la langue française et les belles mélodies. Dès la première année, des têtes d’affiches comme Olivia Ruiz, Tété, Mathieu Boogaerts ou Bigflo & Oli étaient présentes, nous étions déjà quasiment complets sur toutes les soirées. Depuis, nous sommes passés de 4 jours à 6, puis 8, et maintenant 11. De dix partenaires à une cinquantaine, et de 1000 festivaliers à 5000. Tranquillement, ça monte, ça monte.

 

LVP : Vous mettez aussi en place tout un pan d’action culturelle, avec l’idée de dépasser la musique.

K : Exactement. C’était en place dès le début, avec des rencontres entre artistes et enfants dans leurs chambres à l’Hôpital Américain, c’était chouette. Encore une fois, cela a été une construction avec la Mairie. Nous, on avait cette envie de faire des actions culturelles et des ateliers d’écriture.

B : Pour les quarante ans de la disparition de Jacques Brel, nous avions organisé des projets pédagogiques avec les collégiens de Saint Jean-Baptiste de la Salle.

K : Et cette année, nous travaillons avec le collège Robert Schuman.

LVP : Oh, c’était mon collège !

K : Eh bien je ne sais pas si elle y était déjà à ton époque, mais la prof de musique qui s’appelle Laura est vraiment fantastique. Elle fait vraiment un gros relai, ce qui est hyper important sur ce genre de projet. Trois classes de 4ème font deux semaines d’ateliers d’écriture et MAO avec les musiciens du KKC Orchestra pour écrire et composer des chansons, avec une restitution intégrée à la programmation du Charabia Festival, à la Maison Commune du Chemin-Vert. En vérité, la programmation est la partie visible du Festival, mais le travail vis-à-vis des artistes émergents et des actions culturelles en fait tout autant partie. C’est presque même, j’avoue, la partie qui me fait le plus kiffer.

B : Nous avons une identité qui dépasse la simple programmation de têtes d’affiches. Il y a tout un tas de premières parties qui viennent prendre un tremplin sur ce festival, et une vraie soirée des découvertes qu’on souhaite transformer en tremplin national avec les années. On a ces activités dans les collèges, lycées et hôpitaux. Une programmation sur quatre générations, avec une vraie journée uniquement pour les enfants, de l’urbain pour la jeunesse effervescente, des chansons pour les quarantenaires que nous sommes et des chansons pour nos doyens. Aussi, il y a dans l’identité de ce festival une ouverture à la littérature. À terme, on espère avoir 80% de chanson française, et 20% de place à l’amour des mots sous d’autres formes. Ce n’est pas encore fait, mais nous avons la volonté de faire venir par exemple un Fabrice Luchini. Cette année, Alain Damasio vient réciter un de ses textes accompagné par Yann Péchin à la guitare. On a aussi une rencontre avec Mathias Malzieu, chanteur de Dyonisos présent avec sa casquette d’auteur de roman. Petit à petit, on s’ouvre ainsi à la littérature.

LVP : Ce côté transgénérationnel était vraiment visible au concert de Gaël Faye, avec un public de tous âges, de tous horizons. Personnellement, voir ses parents s’ambiancer sur du hip-hop, ça fait plaisir !

B : Réussir à fédérer, c’est vraiment notre plus grande fierté.

K : On essaye de le faire sur l’ensemble de la programmation, mais c’est vrai qu’il y a quelques artistes qui te permettent de fédérer sur une seule soirée, même s’ils sont assez rares. Notre objectif, c’est que toute personne puisse avoir une raison de venir au Festival au cours des onze jours, quelle que soit la musique qu’elle écoute. Et si on arrive à avoir un artiste qui parle à tout le monde, c’est génial. On avait déjà invité Gaël Faye il y a quelques années, on ne l’a pas réinvité par hasard. Et vu le show qu’il a fait sur cette nouvelle édition, on peut le réinviter l’année prochaine (rires).

B : Je pense qu’on est un festival fidèle, puisqu’au-delà de Gaël, on réinvite également Ma Pauvre Lucette (cette fois-ci en première partie de Catherine Ringer) ou KKC Orchestra. On se sert du hall d’entrée de la Cartonnerie pour faire une petite scène de découvertes. Il y a des gens qui attendent le début du concert, les artistes peuvent les émouvoir, les intriguer. Ma Pauvre Lucette avait complètement fait danser les gens, c’était fou. On leur avait promis de leur trouver un spot, cette fois-ci en ouverture sur la Grande Scène, et pourquoi pas plus tard sur leur propre date.

J’ai eu un vrai virage au moment de la programmation du concert de Vanessa Paradis en 2019. C’était une édition particulièrement émouvante, avec l’ouverture de ces rencontres à l’hôpital. Tu voyais vraiment la lumière dans les yeux des petits et des parents.

LVP : Au milieu de tous ces souvenirs, il y en a un en particulier qui symbolise ce festival à vos yeux ?

B : J’ai eu un vrai virage au moment de la programmation du concert de Vanessa Paradis en 2019. C’était une édition particulièrement émouvante, avec l’ouverture de ces rencontres à l’hôpital. Tu voyais vraiment la lumière dans les yeux des petits et des parents. Le tout couronné par ce concert dans une petite salle de 1200 places par une artiste qui remplit des Zéniths sans problèmes… Là, d’un coup, on a senti une volonté de tous les partenaires de faire partie du projet, de se faire plaisir. On a compris à ce moment-là qu’on était une famille d’amoureux des mots, et qu’on allait pouvoir emmener ce festival au-delà de nos ambitions initiales.

K : Je te rejoins sur cette édition 2019, qui a vraiment été un tournant pour le Charabia Festival. Je retiens surtout cette soirée avec Philippe Katerine et Suzane. C’est aussi notre rôle de faire des paris, de pousser les gens à venir découvrir une artiste émergente. Et quand, comme avec Suzane, l’histoire te donne raison avec une grosse performance, et qu’ensuite l’artiste fait du chemin, c’est vraiment super. Et Gaël Faye hier, je pense qu’il va rentrer vite dans mon top souvenirs.

B : On a eu quand même beaucoup de beaux concerts sur le Charabia. Bigflo & Oli, c’était super intéressant, Gaëtan Roussel également. Il y avait eu une panne de courant, il avait fini en acoustique sur le bord de la scène, du bout des lèvres, silence de 1200 personnes.

Charabia, c’est cette idée que la poésie est là pour les curieuses et les curieux. Il faut prendre le temps de regarder la poésie derrière le charabia d’un enfant. Ils continueront à voir des fabriques à nuages à la place des centrales nucléaires, et parfois ce n’est pas plus mal comme ça. Ça met beaucoup de beauté dans le monde qui nous entoure, on en a besoin.

LVP : Barcella, Charabia est un nom que tu portes depuis ton deuxième album, en 2012. Que ce soit pour ton projet musical ou ce festival, que représente-t-il pour toi ?

B : Ce mot est une belle étoile dans ma vie. C’est par l’album Charabia que j’ai vraiment fait de la musique mon métier, que j’ai rencontré un public national, voire francophone. Et c’est à la fois le début d’une belle histoire avec les équipes d’Ulysse. Quand j’ai créé ce festival, je me suis dit qu’il fallait rester sur cette bonne étoile. Charabia, c’est cette idée que la poésie est là pour les curieuses et les curieux. Il faut prendre le temps de regarder la poésie derrière le charabia d’un enfant. Ils continueront à voir des fabriques à nuages à la place des centrales nucléaires, et parfois ce n’est pas plus mal comme ça. Ça met beaucoup de beauté dans le monde qui nous entoure, on en a besoin.

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