“Là surtout pour mettre des pêches” – ORDER89, prêts pour la bagarre
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Auteur·ice : Victor Houillon
15/04/2021

“Là surtout pour mettre des pêches” – ORDER89, prêts pour la bagarre

Drôle de période pour un groupe de rock. Drôle de sens du timing, aussi. Après avoir sillonné les salles et caves parisiennes qui sentent la bière et la fumée (Supersonic et Alimentation Générale notamment), les poètes maudits d’ORDER89 ont sorti leur premier album Bleu Acier en 2019. 2020 devait donc être l’année tant attendue d’une première vraie tournée, après de longs mois à répéter dans les entrailles de Mains d’Oeuvres. Après finalement très peu de concerts pour défendre ce disque, le trio devenu quatuor est déjà de retour avec L’Été Des Corbeaux, qui a jailli comme un remède à leur isolement forcé.  

La Vague Parallèle : Ça va les gars ? Prêts à défendre ce nouvel album ?

Jordi : Oui ! On l’a enregistré entre le confinement – il n’y avait que ça à faire – et l’été dernier, pour le finir en septembre. On avait déjà le morceau Vertige depuis quelques années, qui ne collait pas à la couleur du premier album. On est parti de celui-là pour créer cette nouvelle étape.

 

LVP : Depuis notre dernière rencontre, vous êtes passés de trio à quatuor. Luce, tu es arrivé à quelle étape de l’écriture ?

Luce : Mises à part quelques chansons déjà écrites, on a composé ensemble tous les quatre. Entre Elliott et moi, c’était à celui de nous deux qui avait la première idée de riff. On ne s’est même pas posé la question de savoir qui devait faire quoi.

Elliot : Jordi était rentré à Bordeaux pour le confinement, où habite Luce. Ils ont commencé à répéter les morceaux en acoustique. Tout cela s’est fait vraiment naturellement.

“Sortir de l’image cold wave trop lisse pour aller vers un truc plus rock, plus incisif” – Jordi

J : Avant Luce, on avait essayé d’intégrer Anton avec déjà cette idée qu’il nous fallait une autre guitare pour proposer quelque chose de différent. Sortir de l’image cold wave trop lisse pour aller vers un truc plus rock, plus incisif. Le confinement nous a fait nous rendre compte qu’on n’avait pas la même façon de voir ou de faire la musique, et d’un commun accord on a décidé qu’il valait mieux arrêter avant d’aller trop loin dans le processus de création de l’album. C’est à ce moment-là qu’on a proposé à Luce de nous rejoindre.

LVP : A ce moment du processus, vous étiez chacun dans votre coin pour composer cet album ?

L : Avec Jordi, on arrivait à se voir de temps en temps, mais on habite tous hyper loin les uns des autres. Chacun de son côté.

J : Ça part d’une ligne de basse et d’une ligne de chant, d’un BPM que je choisis au hasard. En général, c’est du 120 ou du 140 BPM, mon modèle économique (rires). J’envoie cette première idée à Flavien (absent lors de cette entrevue, NDLR) qui pimpe le morceau en ajoutant des synthés et une batterie un peu plus techno. Ensuite, il envoie le morceau aux deux boys qui ajoutent les guitares. Enfin, le morceau me revient et je ré-enregistre une voix définitive en fonction de leurs idées.

LVP : Ce n’était pas trop compliqué, notamment pour les deux guitares, de savoir qui allait prendre quelle place sans se voir ?

“Je suis là surtout pour mettre des pêches” – Luce

L : Ça fait tellement longtemps que je connais Jordi et Flavien que tout me semblait logique. J’avais peut-être un peu plus peur par rapport au kid, Elliot, d’autant plus qu’on est deux guitaristes. On a un peu les mêmes goûts, mais pas le même phrasé, ce qui a créé un truc vachement complet. Une connexion s’est créée. Il occupe plus d’espace que moi, qui suis en soutien. Je suis là surtout pour mettre des pêches.

E : On a un peu composé ça comme un cadavre exquis. On se balançait un truc en allant au bout d’une idée tout de suite et on la proposait aux autres dans sa version finalisée. Donc radicalement différent d’une répét’ où tu peux vraiment échanger et tester.

J : Ce qui fait que cet album sonne plus brut, plus authentique que le premier. On ne s’est pas cassé la tête, c’était instinctif. On n’a pas passé des heures à essayer plein de combinaisons différentes, c’est vraiment sorti comme ça. Pur jus.

L : Sur certains morceaux, Elliot avait la première idée, sur d’autres c’était moi. Ça m’a choqué car sur certains morceaux, on bossait dessus en même temps, et quand on s’envoyait nos tracks ça matchait direct, malgré le fait qu’on ne s’était pas concertés.

LVP : C’était sur quelle chanson, par exemple ?

L : Putain, tu me poses une colle (rires).

J : Sur Vertige, par exemple, c’était le cas !

L : Celle-là et d’autres, dont je ne me rappelle plus là tout de suite…

E : Il ne connaît pas les titres de l’album, en même temps (rires).

L : On a fait plus de dix chansons en très peu de temps.

J : À la base, j’en voulais douze pour franchir une étape par rapport au premier album. Mais on a dû en dégager deux ou trois car ils n’avaient pas d’âme. On les sortira pour un best-of.

LVP : Tu me dis ça à chaque fois que tu fais un album ! Contrairement au précédent, travaillé à Mains d’Oeuvres et dont les accidents ont forgé certains morceaux comme 2002, celui-là a donc eu un processus radicalement différent.

E : Il y a tout de même eu beaucoup d’accidents, en un sens. On se retrouvait à faire des parties de guitare sans aucun retour des autres.

J : C’est ça. L’accident, on le retrouvait dans le sens de ne pas savoir si ce qu’on faisait allait plaire aux autres, les inspirer. Comme si on avait les yeux bandés à deviner où il faut aller.

E : Ça s’est finalement fait vachement naturellement, en allant dans le sens du morceau.

“Ça a été notre moyen de survivre quand il n’y avait pas grand-chose de très joyeux autour” – Jordi

J : C’était une grande répét virtuelle, par WeTransfer. Une nouvelle façon de composer qui nous a été imposée. On aurait pu ne rien faire, mais on a souhaité mettre ce temps à profit pour faire quelque chose. C’est assez difficile d’exister en tant que groupe, en ce moment. On peut faire des petites playlists, des interviews, c’est toujours cool. Mais notre but premier, c’est de faire de la musique. Ça a été notre moyen de survivre quand il n’y avait pas grand-chose de très joyeux autour.

LVP : Concernant les lyrics, il y a toujours un sentiment d’urgence qui prédomine, se fait pressant. Avec toutes ces métaphores, les textes sont en même temps très abstraits. Comment souhaites-tu que le public perçoive tes paroles ?

J : J’écris avec un pote à moi. Je lui envoie des idées de couplets, qui l’inspirent, ou inversement. On a la même vision, la même approche du romantisme à notre époque. Une nostalgie des années 90 très présente. Forcément, j’écris pour qu’on comprenne le message que je souhaite faire passer. Mais j’essaye de faire en sorte que ça ne soit pas non plus flagrant. Après, j’essaye, ça ne fait pas très longtemps que j’écris. J’espère m’améliorer encore, aller vers quelque chose d’un peu plus pointu, sous-entendu.

 

LVP : Tu m’avais dit que Bleu Acier se devait de sortir avant tes trente ans. Quelle est l’histoire de L’Été Des Corbeaux ?

J : C’est l’idée que chaque chanson soit comme un message qui passerait d’une époque à une autre. Dans la culture nordique, les corbeaux sont censés transporter les âmes des défunts. C’était vraiment un été particulier, entre parenthèses, en sortie de confinement. Ça a été un choc émotionnel assez violent, cet été où on pouvait enfin ressortir, tout le monde était content, appréciait même ce qu’il n’aimait pas avant. Des petites choses simples comme aller à la plage ou dans les bois. C’était le bon moment pour envoyer les émotions que j’avais pu avoir avant dans le futur et le présent. C’est ce que j’ai voulu faire avec cette histoire de corbeaux.

LVP : On distingue un univers assez cinématographique dans les effets et les textures qui accompagnent cet album. C’est un univers qui vous influence ?

“Si tu peux fermer les yeux et t’imaginer une scène avec une femme, une voiture, dans le désert, c’est que notre but est atteint” – Jordi

J : C’est le domaine de Flavien. Notre source d’inspiration principale n’est pas dans la musique, plutôt dans les images. Ça peut être un film, un tableau, une photo. On essaye de retranscrire ça musicalement. Il y a l’idée que chacun de nos morceaux pourrait être dans un film, je projette mentalement des scènes sur nos musiques. Si tu peux fermer les yeux et t’imaginer une scène avec une femme, une voiture, dans le désert, c’est que notre but est atteint.

E : Je n’écoute pas de musique. Je ne fais que regarder des films (rires). Pour autant, je n’avais pas forcément remarqué ce penchant cinématographique dans notre musique. C’est intéressant de voir ça sous cet angle.

J : En tout cas, tu es le premier à nous faire ce retour, c’est cool.

L : J’aime cette idée que, comme pour une peinture, chacun ait une interprétation différente. Si Jordi a une image quand il commence à composer, on n’écoute pas vraiment de quoi il parle. Simplement, on saisit l’univers, et on se traduit chacun une image différente. Au final, cette accumulation d’interprétations abstraites créé un résultat complet, différent et complètement sauvage.

LVP : Il y en a une qui ressort particulièrement, selon vous, dans cet album ?

E : Je ne sais pas, je ne l’ai pas encore écouté (rires).

L : Ma préférée serait Les Nuits Sauvages ou Vertige.

E : Moi aussi, avec Rondes également ! C’est la seule chanson dont j’ai écrit le texte. Mais je l’ai écrit comme si j’étais Jordi.

J : C’est chelou, ça (rires).

E : Mais vraiment, je me suis inspiré de sa manière d’écrire pour que ça colle. C’était la première fois que je proposais ce genre de chose au groupe. Au final, je trouve que ça aurait pu être des paroles que tu aurais écrites, non ?

J : De ouf ! Et pour répondre à ta question, je pense que ma préférée est Vieux Frère.

L : Je pense que Vertige est celle qui nous représente le plus en tant que groupe. Celle qui dégage le plus de nous quatre. Une cohésion totale entre nous tous. Celui qui transpire le plus l’identité de chacun : une basse cold wave, des gros riffs de guitare seventies du kid, mes choses percutantes, américaines, et les synthés de Flavien qui partent dans tous les sens.

J : C’est la rage, l’urgence dont on avait parlé avec toi autour du premier album. C’est d’ailleurs celle qui nous libère le plus en live.

 

LVP : Pas du tout de dates à venir, d’ailleurs ?

J : Malheureusement, non. Notre premier album avait à peine quatre mois au premier confinement, les dates prévues ont sauté. On devait aller en Russie, en Allemagne. Ça a mis un coup au moral.

E : On entend plein de rumeurs, mais personne ne sait exactement quand ça va reprendre. On attend.

L : À chaque fois, c’est le gros ascenseur émotionnel.

J : Notre dernier live était à la Dame du Canton, qui s’était bien passé, bizarrement. Pour la release party de Blind Delon. Devant une centaine de personnes assises, masquées, des conditions très spécifiques mais putain, quel plaisir d’être sur scène ! Ça nous a mis en appétit, mais on s’est dit qu’on reviendrait quand on pourrait faire de vrais concerts, sans masque.

E : Et sans transats (rires).

J : Au Petit Bain, les flics sont venus dès les balances. Donc à partir de là, tu sens que tu es niqué. L’angoisse, mais ça fait partie du truc. La règle, c’est de ne pas se démonter et de faire le boulot. On ne correspond pas trop à l’esprit guinguette.

LVP : Pour finir, vous auriez un artiste à nous faire découvrir ?

L : ORDER89 !

J : Terrenoire ! J’ai pris une claque, ce sont des extraterrestres. Tout est étrange chez eux, leur musique, leur gestuelle, leurs émotions. J’ai découvert ça en regardant une pub de merde à la télé, et la musique m’a complètement scotché, à tel point que je ne voyais plus les images.

E : Nothing, un groupe de shoegaze un peu vénère.

J : Flavien serait là, il te dirait probablement 13 Organisé. Ou Bambara, dont l’esthétique punk nous inspire beaucoup. Je pense que cet album sera plus proche de ce qu’on fait en live. Le premier était très propre, finalement. Très lisse, produit par Guillaume Léglise qui avait rendu chaque morceau ultra pro. Cet album-là, on ne l’a fait qu’à nous. C’est Flavien qui s’est tapé le mix. Il a perdu quelques heures de sa vie à bosser dessus (rires).


Les gangsters d’ORDER89 seront live pour une session Made In à la Cité Fertile le 28 avril. De quoi se faire une idée, même à distance, de la puissance que dégagent leurs concerts.

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