La variété française voyage dans le temps sur Tristesse, le premier EP d’Iliona
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
09/02/2021

La variété française voyage dans le temps sur Tristesse, le premier EP d’Iliona

On vous la présentait l’an passé comme l’avenir du songwriting à la belge, Iliona s’impose finalement aujourd’hui comme la nouvelle voix de la chanson française. Avec Tristesse, son premier projet, la Bruxelloise s’inscrit dans la lignée des monuments qui ont bercé son adolescence, de Hardy à Barbara, en proposant des chansons mélancoliques d’une sensibilité folle. Véritable enfant de sa génération, touche-à-tout alimentée à l’instinct, elle offre ici à la variété française un voyage éclectique entre l’élégance du classique et l’audace de productions dans l’air du temps. Une recette surprenante à la source d’un huit titres marquant.

Sa musique est touchante : sa poésie textuelle, cette voix délicieusement éraillée. Jusque-là, rien de révolutionnaire. Mais s’il y a bien une qualité qui la démarque, c’est sa fragilité. Au sens propre du terme, Iliona est fragile. Le genre de fragilité qui vous frappe en plein visage, avec une force indicible. Un paradoxe complexe à appréhender, et que sa session piano-voix au festival parisien Qui Va Piano Va Sano, en novembre dernier, va vous aider à comprendre. Elle n’y laisse que peu de place à l’artifice pour laisser le champ libre à une sincérité souvent périlleuse à définir en musique. En voilà une définition complète.

Pourquoi il y a tout qui s’emmêle ?
Quand j’ris, j’dégage de la peine
Quand j’gueule, il y a personne qui s’lève

| Baguette Magique

C’est donc guidée par sa fragilité, sa sensibilité et son lien impérissable à l’artistique qu’Iliona a composé Tristesse. Elle y infuse des chansons d’amour, fil conducteur majeur de son univers, mais aussi des textes personnels sur sa vie, ses projets, son entourage, ses relations. Une œuvre intime, qui soigne autant la forme que le fond en proposant un éventail varié d’atmosphères. Le sentiment triste prend huit visages différents sur cet EP, portés tantôt par la finesse de piano-voix frissonnants, tantôt par des beats modernes saisissants.

 

Le tandem Intro/Une autre vie nous présente certainement la forme la plus légère de tristesse du disque : celle du fantasme de la vie que l’on manque. Sur une production pop rêveuse, le morceau se dévoile presque dansant. Le genre d’hymne au cry dancing sur laquelle nos bras s’envolent alors que nos yeux ruissellent. La tristesse romantique, elle, trouve refuge dans Reste ou Rattrape-moi. Le premier s’appuie sur des arpèges digitalisés et un autotune étonnant pour refléter la tourmente addictive, celle qui mène à la folie une fois sa moitié loin de soi. Le second résonne comme un intime appel à l’aide, plus sombre, sur lequel se mêlent atmosphères dreamy et subtilement trap.

Margueritela grande inattendue, se révèle comme l’atout majeur de Tristesse. Une section électronique en slow burn qui semble exprimer aussi bien une certaine forme de colère que les tourments d’une jeunesse désemparée façon Euphoria – on l’imagine aisément se glisser dans l’un des épisodes de la série à succès. Une démonstration de production qui permet à l’artiste de rappeler sa verve plus technique, maniant aussi bien les boîtes à sons que ses cordes vocales.

Comme un accord stupide, on s’est promis qu’on s’appellerait encore, qu’on se dirait “bonne nuit”
Et que malgré la solitude des matins, des réveils froids, on ne regretterait rien

| Moins Joli

Vient alors son registre plus classique, ce renouement avec une variété française qui n’a pas dit son dernier mot et qui trouve en elle une porte-drapeau de taille. Les tulipes, long (court ?) d’un peu plus d’une minute seulement, trouve sa force dans un minimalisme épuré. Sur fond de quelques notes de piano posées avec parcimonie, la voix d’Iliona susurre avec sensualité une comptine aux mots simples et au charme pluriel. Une exécution troublante qui repose également sur la sonorité de la langue de Molière, frissonnante lorsqu’elle est récitée avec autant de tendresse. Avec Moins Joli, elle visait dans le mille. Dévoilé l’été passé, le titre est l’une de ces belles chansons françaises : belles de leur caractère universel, simples et berçantes, qui raccrochent cette enfilade de notes de piano et ce texte suintant d’émotions à nos propres états d’âme.

 

Baguette Magique clôture le projet avec une force inopinée mais opportune. Si sa structure plus pop et facile peut faire sourciller aux premières écoutes, l’émotion et l’intensité du titre ne tardent pas à nous percuter. On en revient à cette notion de sincérité qui éclate ici fiévreusement, et sur laquelle la tristesse d’Iliona se fait plus poignante encore au travers de lignes hautement personnelles. Sa voix tire vers les aigus, alors qu’elle s’était confortablement logée plus bas sur le reste des morceaux. Un déploiement vocal raillé, qui offre à percevoir sa fragilité bouleversante. Une chanson qui crie et qui pleure. Nous aussi.

S’il ne fait aucun doute qu’Iliona a de beaux jours devant elle, il est essentiel de souligner la justesse d’un tel premier élan. Tristesse fait partie de ces collections sans filtre et sans retenue qui laissent se déverser des chagrins et des larmes dans un mélange calibré de pudeur et d’honnêteté. Le contraste des styles empruntés, entre classicisme et futurisme, vient renforcer la pertinence d’un tel objet dans le paysage musical actuel, prouvant qu’elle est tant d’autres choses que ce que l’on attend d’elle – et bien plus que “la nouvelle Angèle”, comme décrié hâtivement à tout-va. Unique en son genre.


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