Lana Del Rey gratifie le commun des mortel·les de Chemtrails Over The Country Club
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
19/03/2021

Lana Del Rey gratifie le commun des mortel·les de Chemtrails Over The Country Club

| Photo : Neil Krug

Queen Lana est de retour. On frissonne déjà, rien qu’à écrire ces mots. Le moment est arrivé pour notre sad girl préférée d’assoir sa royauté florale sur le parterre d’ingrat·es que nous sommes. Après la sortie de Norman Fucking Rockwell en 2019, qui est considéré pour beaucoup comme un chef d’œuvre, Lana Del Rey nous offre Chemtrails Over The Country Club. Sa majesté, comme à son habitude, ne déçoit pas. L’album au sang bleu étonne de la façon la plus subtile et poétique, sans perturber pour autant. Le Lana game is going strong.

Ce projet, il a énormément fait parler de lui avant même sa sortie. En effet, déjà lorsqu’elle rendait public Norman Fucking Rockwell, elle disait travailler sur un nouvel album. Les fans s’enflammaient. Mais plus tard, l’artiste a été sujette à beaucoup de débats médiatisés. D’abord sur sa façon de s’exprimer pour répondre aux critiques d’une prétendue glamourisation de l’abus. Ensuite, pour la cover de son album qu’elle présentait en janvier à la sortie du single éponyme à l’album. L’artiste se serait mal exprimée sur la diversité intentionnellement présentée sur sa photo. La critique facile de la pop… right ? Alors, peu importe ce qui se dit sur Lana ou à quel point on essaye de la politiser, cette femme sait faire de la musique. Elle le fait, sans aller là où l’industrie l’attend, et c’est une qualité qui mérite d’être soulignée.

La production, on la doit au grand king de la pop Jack Antonoff (Lorde, Taylor Swift…), qui vient d’ailleurs de gagner un Grammy pour le dernier album de Taylor qui lui aussi arbore un style folk/country. Sans équivoque, une influence avec laquelle il est à l’aise, couplée aux skills de grande compositrice de Lana, difficile de rater le coche. Tout y est très organique, souvent acoustique, avec même des tambourins (oui, des tambourins), ce qui fait gagner en authenticité. Ces percussions, on les retrouvait discrètement sur Let Me Love You Like A Woman, dont la vidéo live pour le Late Night With Jimmy Fallon disait beaucoup sur l’esthétique du projet, qui, on le sait, est un point d’honneur de l’artiste. Quant au single Chemtrails Over The Country Club, l’utilisation de certains mots n’est sûrement pas anodine.

Chemtrails pour “chemical trails“, la théorie conspirationniste qui avance que les traînées blanches laissées par les avions en vol seraient en fait un dépôt de produits chimiques répandus par le gouvernement pour des raisons x (lutter contre le réchauffement climatique, réguler la population, modifier le temps, recherches militaires sur la guerre chimique, cause de maladies). Le clip également s’offrait quelques références que seul·es les vrai·es fans ont su déceler.  Sur la fin déjantée et sombre du clip qui utilise des codes du film d’horreur avec une vibe vampirique, on voit des loups…? Ceci serait une référence au livre féministe Woman who run with the Wolves de Dr. Clarissa Pinkola Estés qu’elle a elle-même postée sur son Instagram, il y a plus d’un an. Le livre parle de riches mythes interculturels, des contes de fées, des récits populaires (qui se traduit folk tales, sûrement pas anodin non plus) et des histoires, afin d’aider les femmes à se reconnecter avec les attributs féroces, sains et visionnaires de leur nature instinctive. L’intention de l’album s’y retrouve parfaitement.

 

De la mélancolie pure, mais amenée un peu différemment. Alors qu’Ultraviolence avait pour influence les guitares, celui-ci arbore un style un peu plus acoustique, plus folk/country. Les sorties des deux premiers singles présageaient du “classic Lana” pour cet opus, mais on peut déceler un revirement subtil dans le reste des chansons. White Dress nous chuchote à l’oreille, on discerne une voix cassée qu’on ne connaissait pas au répertoire de l’artiste. “When I was a waitress wearing a white dresss”, à bout de souffle. Un morceau doux et intime, d’une façon différente de l’intime qu’elle livre d’habitude. Elle y parle du temps précédant son arrivée à la “fame”, quand elle travaillait comme serveuse en écoutant du White Stripes et Kings of Leon. Une chanson profondément nostalgique où elle regrette sa célébrité, et elle dit d’ailleurs : “and I felt seen”, à propos de sa vie d’avant.

If you love me you’ll love me cause I’m wild, wild at heart.

Sur Tulsa Jesus Freak, on retrouve la musicalité dont on a l’habitude, avec notamment ses délicates harmonies et ses beats accélérant pour signifier l’urgence de son propos. La surprise ici, c’est l’utilisation de l’autotune qui apporte un je-ne-sais-quoi moderne contrastant avec le côté traditionnel. “You knew when you chose me, I was nothing but ordinary”, faisant référence à “l’élu·e” qui revient dans les différentes religions. L’intelligence qui émane de l’écriture de Lana, elle se trouve aussi dans les analogies qui sont faites entre spiritualité et amour. “Sing me like a Bible hymn”. Deux sons méritent encore qu’on s’y attarde même si l’album entier est à écouter d’une oreille attentive. Wild At Heart, c’est un peu le résumé de la personne qu’est Lana Del Rey. Douce et pourtant wild at heart. On passe par des moments délicats qui s’intensifient, entre voix de tête et voix pleine sur un picking des plus doux – en acoustique bien sûr. Et le flow de Lana, toujours sous-estimé, mais soyez-en sûr·es : the pop woman can rap. Petit plus, elle se serait samplée elle-même en utilisant des morceaux de compositions de How to disappear, issu du précédant projet.

Arrive enfin le morceau qu’on attendait toustes inconsciemment : Dark But Just a Game. C’est comme si la chanson était condamnée. C’est plus sombre, plus profond. Beaucoup d’instruments inattendus s’ajoutent au fur et à mesure de l’avancée du morceau. Même quand on croit savoir quelles notes vont se succéder, on se trompe, elle nous désarçonne. Les effets y sont magnifiquement utilisés. Une ode au self love qui s’inspire d’une conversation entre Jack et Lana où il disait ne pas vouloir changer qui il était car il aimait cette personne, selon MOJO. Ce à quoi Lana répondait “Jack, it’s dark”, qui lui rétorquait à son tour : “Well it’s dark – but it’s just a game”. À écouter plusieurs fois pour cerner la chanson, mais attention, le risque demeure : être condamné·es à l’écouter jusqu’à la fin de nos misérables vies. Très addictive et sans hésiter la meilleure chanson de l’album.

We keep changing all the time, the best ones lost their minds. So I’m not gonna change, I’ll stay the same. (…) It’s dark but just a game.

Mention spéciale pour les lyrics de Not All Who Wander Are Lost dans laquelle Lana fait écho au mot “wanderlust” (premier choix pour le titre qui a subitement changé ce matin) : “Not all those who wander are lost”Glorieuses harmonies qui répondent à la guitare qui fait très blues/country. On a l’impression d’être dans les champs brun clair, au soleil (you wish). Yosemite, chanson d’amour par excellence. Bientôt à tous les mariages. Un joli slow, encore en picking, très acoustique. Sa voix grave au souffle incomparable nous conte une histoire dont on ne peut s’empêcher de vivre les paroles. “I do it for fun, I do it for free, I do it for you, you do it for me” “We did it for the right reasons”. Un procédé qu’on reconnaît bien, son fameux chuchotement-parlé, toujours autant apprécié par ici.

La touche la plus significative de cette nouvelle direction country, ce sont les deux featuring qui apparaissent sur l’album. Deux featuring et trois femmes, une première pour l’artiste qui ne semble s’entourer que de ses sœurs pour ce projet. Parfois, ça fait du bien aussi. D’abord Breaking Up Slowly, très brute avec Nikki Lane. Ensuite, For Free (reprise de Joni Mitchell) avec Weyes Blood et Zella Day dont la superposition de voix fait penser à du gospel, presque biblique. Des grandes invitées pour une grande artiste, que nous ne méritons définitivement pas. C’est l’ère d’une Lana qui a trouvé son style et qui l’affirme à chaque album, en gardant son esprit romantique intact.

La queen de la mélancolie suit un fil rouge mais s’influence de styles complètement différents. De plus en plus, on remarque qu’il y a un temps d’adaptation qui doit aller avec ses projets. Pour Norman Fucking Rockwell, la situation était similaire : difficile de dire d’emblée à quel point cet album était bon. À force d’écoutes, on en découvrait tous les trésors, tant au niveau de la voix, des lyrics, que des productions. Chemtrails Over The Country Club, en particulier, a une dimension plus spirituelle, même si la musique de Lana a toujours touché du bout des doigts la croyance en une entité plus grande. Bien qu’il n’atteindra pas les sommets du précédant projet, il reste cohérent et sans artifice. Bref, impossible de faire vaciller la reine de son trône. Elle réussit à se reconnecter à ses attributs féroces, sains et visionnaires – comme si elle en avait déjà été déconnectée. Nous resterons donc ses larbins de l’émotion, les roses noires dans son jardin romantique, attendant qu’elle nous accorde ses beaux rayons. On pourrait continuer les analogies jusqu’au prochain album, mais on va vous laisser sur ces mots :

 

He said to be cool but, I’m already coolest.

 

 

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