Las Aves : “Pour durer, on est voué à se mettre en danger”
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Auteur·ice : Paul Mougeot
03/09/2019

Las Aves : “Pour durer, on est voué à se mettre en danger”

Trois après la sortie de leur premier album, Die In Shanghai, les trois lascars de Las Aves sont de retour. Plus acérée, futuriste et urbaine que jamais, la musique de l’entité pop la plus excitante du moment a pris un tournant qu’on aime tout particulièrement. Entretien caniculaire avec Géraldine, Jules et Vincent.

La Vague Parallèle : Hello ! I’ll Never Give Up On Love Until I Can Put A Name On It, votre nouvel album, sort le 30 août prochain (l’interview a eu lieu à la fin du mois de juin, NDLR). Comment vous vous sentez ?

Géraldine : On se sent bien, on est chaud !

Jules : On est excité, on a hâte que les gens l’entendent ! On n’a pas trop de pression parce que ce n’est pas notre premier disque, on est juste content qu’il sorte et on a hâte de le faire vivre, pour qu’il existe vraiment en tant que tout. Pour l’instant, le public n’a entendu que deux morceaux donc c’est presque frustrant, on a hâte que tout le reste sorte.

LVP : Est-ce que vous pouvez nous parler de la manière dont vous avez composé et enregistré ce disque ?

G : C’est clairement un album qui parle d’une rupture amoureuse. Après, ça parle du le trajet que tu fais derrière ça, avec les déceptions, les trucs plus cool, les déceptions à nouveau… C’est un album sur l’amour, qui se finit tout de même sur une note plus positive, en passant par beaucoup d’émotions.

J : On l’a fait en studio à trois à Paris. D’abord nous tous, seuls, on a fait plein de chansons. On est passé par plein de phases d’auto-déception et d’auto-satisfaction. Le début a été assez frustrant, assez rude, mais ça l’est toujours : quand on compose en groupe, il faut arriver à trouver la bonne voie, la formule qui fonctionne. On met toujours un peu de temps à trouver le Saint-Graal, mais une fois qu’on l’a trouvé, on est hyper content.

Après, on a fait rentrer Lucien Krampf dans la boucle, parce qu’on a adoré ce qu’il a fait avec OKLOU. Il a donné une nouvelle dynamique au truc. Ça a donné une petite étincelle qui nous a permis de trouver le son de l’album. Donc il y a vraiment eu deux étapes assez décisives. À la fin, on a fini dans le noir, enfermés tous les quatre avec Lucien. C’était très resserré, dans une même pièce, c’était quelque chose de très intérieur, Les paroles de Géraldine étaient très intimes : on n’a pas essayé de se nourrir d’influences extérieures, c’était plutôt un travail sur nous-mêmes.

Vincent : Comme tu le vois, l’hiver a été un peu rude (rires).

LVP : Ce deuxième album marque une nouvelle étape dans votre évolution musicale. Vous aviez commencé avec un projet qui était plutôt marqué rock avec The Dodoz, vous avez sorti un premier album pop avec Las Aves, et vous sortez désormais un disque avec des sonorités beaucoup plus électroniques et une direction artistique plus affirmée. Est-ce que vous avez la sensation d’être parvenus à une esthétique qui vous correspond davantage ? Qu’est-ce que vous avez envie d’explorer d’autre ?

G : On a toujours eu la volonté d’explorer un domaine de manière jusqu’au-boutiste. Avec les Dodoz, c’était très rock, très punk. Sur cet album, on n’est pas arrivé à une esthétique qu’on voudrait garder toute notre vie, on a simplement voulu pousser jusqu’au bout la photo d’un instant, c’est ce qui nous tenait le plus à cœur. Et ça va évoluer encore plus en live.

J : À l’époque des Dodoz, on faisait la musique la plus personnelle qu’on pouvait faire à ce moment-là. À chaque fois, on allait à fond dans notre voie commune. Dès qu’on trouvait quelque chose qui nous permettait de vibrer à trois, on s’engouffrait à fond dans cette voie. Je pense qu’on va continuer à évoluer parce qu’on s’est formé sur ce principe : on joue ensemble depuis 15 ans, on grandit et on évolue ensemble. Pour durer, on est voué à se mettre en danger. On a toujours ce besoin d’aller vers un endroit qu’on ne connaît pas.

V : On a toujours la volonté d’explorer de nouveaux sons, d’apprendre de nouvelles choses.

G : Même dans le processus, on évolue en permanence. Quand on composait avec les Dodoz, c’était très différent. On jouait tous ensemble dans une pièce, les garçons expérimentaient et moi je mettais ma voix dessus après. Pour ce disque, je commençais à faire un morceau et quand j’en étais satisfaite, les autres me rejoignaient.

On essaye de créer une quatrième âme à partir de nos trois âmes.

LVP : Pour votre disque précédent, vous aviez collaboré avec Dan Levy. Cette fois, vous avez fait appel à Lucien Krampf, qui est connu pour son travail techno hardcore. Comment s’est passée cette collaboration ?

V : En fait, à l’origine, on l’a contacté parce que le son qu’on était en train de faire se rapprochait de ce qu’il fait.

J : Oui, dans le vocabulaire qu’on voulait utiliser, il y a quelque chose qui lui était familier. Je m’étais dit que dans notre musique, il y avait peut-être quelque chose qui allait lui parler. Quand on lui a envoyé nos morceaux, il nous a dit “putain c’est trop bien votre truc, ça fait un peu millennials, ça fait un peu vraie pop mainstream à l’américaine”. Ça l’éclatait parce qu’il vient vraiment du milieu rave.

Nos deux univers se sont bien mariés et on s’est retrouvé sur pas mal d’idées qu’on avait, à la fois de la pop music dans son sens le plus large, et de la musique plus pointue, plus expérimentale. C’est aussi ce côté très pop qui l’a excité. Bien sûr, parfois, on avait des visions radicalement différentes de certaines choses, parce qu’on a des influences qui sont très différentes.

V : Déjà, il n’aime pas les Deftones

G : Et il se foutait de notre gueule en nous appelant “son groupe de rock” (rires).

J : Voilà, il y a eu ce truc de clash, vraiment chaud/froid. L’opposition tendresse/brutalité, c’est une idée qu’on avait dès le départ.

G : Une main de fer dans un gant de velours !

LVP : Entre la sortie de votre album précédent et celui-ci, vous avez beaucoup expérimenté sur des projets annexes, je pense notamment à toi, Jules, avec Jazzboy et à toi, Vincent, avec Demon V. Comment est-ce que ces expérimentations ont influé sur votre travail avec Las Aves ?

J : Pour ma part, ça n’a pas trop influé. Du moins, en ce qui concerne la musique. Ce serait plutôt le travail sur l’image qui m’a servi : j’ai appris à réaliser des clips avec Jazzboy, et j’ai commencé à réaliser mes propres clips comme ça. C’est ça qui est cool : ce sont deux projets totalement différents. En plus, au départ, les morceaux viennent beaucoup de Géraldine. C’est elle qui fournit la substance des morceaux et nous, on vient après pour casser certaines choses, en reconstruire d’autres… C’est vraiment un travail à trois têtes. On ne s’est pas trop nourri de ce qu’on faisait à côté.

V : En fait, on n’essaye pas de se ressembler individuellement dans la musique de Las Aves. On essaye de faire une musique qui correspond à Las Aves, dans sa globalité.

J : Ce qui est intéressant, c’est la particularité qu’on a quand on est tous les trois. Je dirais même qu’ensemble, on fait la musique qu’aucun de nous trois n’aurait fait tout seul.

G : On essaye de créer une quatrième âme à partir de nos trois âmes.

LVP : Il y a une constante qu’on retrouve en revanche dans votre travail, c’est ce côté très urbain, très moderne, avec une évocation fréquente des grandes villes qu’on retrouvait sur votre premier disque (Die in Shanghai, Leo), et qu’on retrouve désormais dans votre dernier clip, qui se passe à Hong-Kong. Qu’est-ce qui vous a inspiré cet aspect de votre musique ?

G : Je pense que c’est inconscient. On est tous les trois très citadins, on a grandi dans une ville et maintenant on vit à Paris, donc on aime profondément être dans l’énergie d’une ville. Mais oui, c’est vrai en fait…

J : C’est vrai que maintenant que tu le dis, ce n’est pas vraiment une musique qui évoque les grands espaces de la campagne (rires) !

LVP : Récemment, un de vos amis, Alex Van Pelt, a sorti un disque qui parle aussi de l’amour numérique. Ce que je trouve intéressant, c’est que son album, Tum Tum, laissait transparaître une vision assez positive, romantique des amours numériques. Au contraire, j’ai la sensation que votre album révèle leur côté violent, sombre, douloureux. Est-ce que vous pensez qu’Internet a tué l’amour ?

G : Tué, non, on aura toujours une vision positive de l’amour. Ma vision de l’amour est tellement absolue que pour moi, tout ce qui se passe par message et sur Internet n’a que peu d’importance par rapport à ce que ça représente d’être réellement avec quelqu’un. Il peut se passer des choses extrêmement violentes quand tu apprends quelque chose par message, quand tu tombes sur un Facebook ouvert, quand tu te fais ghoster…

Il y a tellement de choses nouvelles qui ne peuvent arriver qu’aujourd’hui avec les nouvelles technologies… Ça m’intéressait énormément d’explorer ces nouvelles sensations. Ce sont vraiment des émotions différentes, parce tu n’as personne contre qui te mettre en colère en face, tu es seul face à ton écran.

LVP : Il y a un morceau qui dénote dans ce disque, c’est Thank You, qui se démarque des autres titres très produits par sa fragilité et son côté presque lo-fi. Est-ce que vous pouvez me raconter l’histoire de ce morceau ?

J : C’était vraiment volontaire de notre part de le faire figurer tel quel dans l’album.

V : Il n’a même pas été mixé d’ailleurs ce titre.

G : C’était un moment assez particulier : on venait de vider le studio avant de le quitter, c’était un vendredi soir. Juste avant de tout démonter, je me disais que c’était les derniers moments que je passais ici alors qu’on s’y était enfermé tous les jours pendant un an. Ce morceau, c’est vraiment une déclaration d’amour à notre studio, au fait qu’il était vraiment comme un refuge face à tout ce que j’ai pu traverser à cette période de ma vie.

Je trouvais ça beau de finir cet album de rupture sur une déclaration d’amour à la musique, à tout ce qu’elle a pu m’apporter, et donc à cet endroit que je ne reverrai plus. Ça sonne hyper rough parce que j’étais à moitié en larmes au moment de l’enregistrement, j’étais assez loin des micros, au milieu des cartons.

J : Le fait de le placer à la fin, c’est également volontaire : je vois cet album comme un robot qui chanterait des histoires d’amour hyper violentes, et qui révélerait sa petite âme humaine à la fin.

G : Comme l’album est hyper produit, on a trouvé ça joli de le dénuder à la fin.

LVP : Vous avez annoncé une date à la Gaîté Lyrique, qui est le temple des cultures numériques à Paris. Comment vous allez faire vivre cet album sur scène, et notamment sa dimension visuelle qu’on a entrevue dans les deux premiers clips que vous avez dévoilés ?

J : Cette tournée sera très différente de la précédente, qui était ouvertement rock. On jouait avec des murs d’amplis, on avait envie de surprendre en live, d’agresser un peu. Il y aura toujours ce principe de surprise, d’agression, mais ce sera beaucoup plus épuré. On va pousser ce côté chaud/froid, avec un côté métal et un côté pop américaine très présents. Ce sera un mix entre Rihanna et Death Grips, entre la méga-pop de stade et la violence underground (rires).

Est-ce que vous pouvez nous dévoiler vos coups de cœur musicaux récents ?

G : Notre dernier coup de cœur, c’est Caroline Polachek, la chanteuse de Chairlift, qui fait maintenant de la musique sous son propre nom. Son dernier titre est incroyable. Sinon, j’aime beaucoup King Princess, et une rappeuse australienne qui s’appelle Mavi Phoenix. Voilà pour mon tour du monde musical (rires).

J : En ce moment, j’écoute beaucoup BEA1991, Aphex Twin et Yves Tumor.

V : Récemment, j’ai beaucoup écouté Sega Bodega. J’écoute aussi beaucoup de techno.

 

Las Aves sera en concert le 24 octobre à la Gaîté Lyrique.

 

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