| Photos : Baptiste Okala
Être fan de musique et suivre un certain nombre de groupes veut parfois dire qu’il faut s’armer de patience. En ce qui concerne Last Night We Killed Pineapple, on peut dire qu’on a dû attendre (un peu) avant d’avoir de leurs nouvelles. On a donc retrouvé Mario et Charles, deux des trois membres du trio amiénois dans leur tout nouveau studio, pour échanger sur la sortie de leur dernier EP en date : Everything.
LVP : On se retrouve dans votre nouveau studio. Est-ce que vous l’aviez pendant la composition de Everything ?
Mario : Non, on l’a depuis le mois de février. Juste avant que l’EP sorte, on a décidé de louer un studio. On a composé Everything dans plusieurs studios – un peu chez nous aussi – et on l’a enregistré au studio du Celebration Days à Clermont, dans l’Oise.
LVP : On vous a suivi pendant votre mini tournée anglo-saxonne et vous aviez sorti Multicolor un an auparavant. On se retrouve pour l’EP Everything, pourquoi ne sortir que des EPs ?
Charles : On ne le privilégiait pas en fait. C’est un changement d’objectif. Ça devait être un album mais on a changé d’avis au dernier moment.
Mario : En fait, comme sur tous les disques, on attend l’album avec impatience mais, à chaque fois, on ne se sent pas assez mûrs pour faire un format long. Il y a une espèce d’histoire, une ligne directrice dans un album et c’est difficile de lier dix morceaux. Donc on a préféré refaire un EP, mais c’est probablement le prochain objectif.
LVP : Donc, vous voyez l’album comme une œuvre avec un fil conducteur ?
Charles : C’est un événement. Il y a cet aspect symbolique avec l’album.
Mario : Si on part du principe qu’un album est un livre, chaque morceau est un chapitre, il y a forcément une continuité. On n’est pas obligé·es de faire des albums concept à chaque fois, avec une histoire. C’est quelque chose qui se fait beaucoup dans le rock progressif par exemple, mais ce n’est pas du tout notre truc. Pour autant, il y a quand même cette envie de raconter une histoire, d’avoir une identité à peu près forte sur tout l’album. On se cherche encore. L’album se sera prévu quand on se sera trouvés, là, on est en train de se trouver.
LVP : Justement à propos de “se chercher”, je trouve qu’on assiste à une évolution dans votre manière d’aborder la musique, depuis vos débuts déjà mais aussi depuis Multicolor. C’est un peu moins “rock fruité”, ce qu’on vous attribuait au début.
Charles : Je crois qu’il y a eu plusieurs périodes et là, on est encore dans une nouvelle. Après Multicolor, on avait envie de se détacher un peu du français, parce qu’on s’est rendus compte, au bout de six ans, que le texte n’était pas la priorité dans ce qu’on faisait. Je crois qu’on était un peu dans le déni au début, on se disait qu’on allait faire des chansons, mais ça n’a jamais trop été le cas – à part Plus Seul sur Multicolor, qui est une vraie chanson en français. On raconte plus avec nos instruments qu’avec les paroles. Plus le temps passe et plus on on mûrit, donc on arrive à écrire de vrais textes, mais c’est une nappe. Donc c’était assez évident qu’on passe à l’anglais. Surtout que toi, tu composes (regarde Mario).
Mario : Le plus souvent, je chante les textes que tu écris (s’adresse à Charles).
Charles : Oui c’est ça, mais moi je ne sais écrire qu’en anglais. Parce que lorsque j’écris en français, j’ai l’impression que c’est “cul-cul”. Peut-être que je me réfugie dans le fait que les gens ne comprendront pas, en tout cas en live.
Mario : Alors évidemment, en répét’, on s’en fiche. En soi, on pourrait se dire qu’on s’en fiche de l’avis des gens, mais le but ici est que ça plaise. On n’a pas envie que les gens s’attardent sur les paroles, donc l’anglais c’est pas mal.
Charles : Et puis il y a une certaine musicalité dans l’anglais et c’est la langue de ce genre musical (rock progressif/alternatif).
LVP : Donc, vous ne faites pas vraiment attention au texte, ou bien ça a une certaine importance ?
Mario : Si, mais ça n’est pas la priorité, on ne commence jamais la composition à partir d’un texte. C’est toujours l’instru en premier, on essaie ensuite de trouver une structure au futur morceau. Ensuite, on essaie de poser un texte dessus. On va trouver des phrases qui ont du sens pour nous, qui ont un impact, mais si on en trouve quatre et qu’on les répète huit fois dans le morceau, le message est là. On n’est pas sur quelque chose de forcément deep, parce que ce n’est pas un texte à rallonge, mais ces quatre phrases représentent le morceau, donc pourquoi faire plus ?
Charles : Mais il y a tout de même des messages dans ce qu’on dit. Ce n’est pas forcément quelque chose de politique, on évite.
Mario : Sans qu’évidemment des fachos puissent s’identifier à nous. Tout le monde a le droit d’écouter de la musique, tout le monde a le droit d’écouter notre groupe, peu importe ce que pensent les gens, tant que tu n’es pas un nazi. En soi, la musique est déjà assez politique, c’est déjà un engagement en soi de faire de l’art. Je considère que c’est mon engagement à moi de créer, d’animer. Sur le morceau Free, dans Everything, il y a ce truc de “briser ses chaînes”, de faire ce qu’on a envie de faire, sans trop se soucier des autres. Tu l’interprètes un peu comme tu veux.
LVP : Ces morceaux, vous les aviez déjà joués bien avant de les enregistrer, non ?
Charles : Oui, c’est notre éternelle faille.
Mario : Oui, il n’y a pas trop de surprises. Pour des gens qui ne nous voient pas souvent en live, c’en est une. Et pour des gens qui viennent assez régulièrement, cet EP, ils le connaissaient. Mais ce n’est pas grave, c’est aussi une démarche. Dès qu’on fait un morceau, on a envie de le jouer. Même si on ne veut pas le jouer, quand on arrive dans un concert et que les gens sont chaud·es, évidemment qu’on va le jouer.
LVP : Ce côté “test” se retrouve chez pas mal de groupes cependant…
Mario : C’est vrai qu’il y a un côté test aussi. Mais là, c’est test à outrance. C’est-à-dire qu’on a composé les morceaux et trois semaines après, on les jouait en live. Pour autant, on les a sortis un an après. Ce qui est assez rapide vu qu’on est en auto-production totale, – on peut se permettre d’enregistrer un disque et de le sortir un mois et demi plus tard. Pour l’album, on va éviter ça. Il y a cet aspect tellement symbolique dans l’album. Il faut qu’il y ait une espèce d’attente, autant pour les gens qui nous écoutent que pour nous.
© Baptiste Okala
LVP : D’ailleurs, comment avez-vous vécu la release party ?
Mario : On l’attendait avec impatience, parce qu’on savait qu’il y aurait du monde. On savait que ça marcherait bien. Les gens connaissaient déjà les morceaux, iels étaient déjà dedans.
Charles : Mais il n’y a pas cette surprise.…en tout cas, c’était une belle soirée.
LVP : Vous avez fait aussi un passage à Bars en Trans, en décembre dernier. C‘est une belle petite étape dans une carrière musicale. Comment ça s’est passé ?
Charles : Bien. Mais les conditions étaient particulières parce qu’on jouait à 14h30. Donc c’était pas la même énergie que si on avait joué à 22h30. Et puis, pour être totalement honnête, c’est un peu formel.
Mario : Les gens sont sur des tables hautes et te regardent en buvant leur champagne, parce que ce sont des professionnel·les qui nous écoutent.
Charles : Mais la programmation était folle ! Simplement, le format n’est pas habituel pour nous. On a peut-être un petit peu été désarçonnés.
Mario : Mais c’est bien, ça fait grandir. Il faut accepter aussi que ce ne sera pas tout le temps dans des clubs à 23h, et avec les copain·es.
LVP : À côté de ça, j’ai vu que vous avez fait partie du dispositif Live entre les livres, qu’est-ce que c’est ?
Mario : C’est Dynamo (une association, ndlr) qui organise ça. L’idée est d’investir à peu près toutes les médiathèques des Hauts-de-France et du Nord, parce qu’iels visent quand même des endroits où c’est désert, culturellement parlant. On se retrouve devant des gens qui n’ont pas forcément l’habitude de voir des concerts de garage rock. C’est quand même une belle initiative de leur part.
Charles : Il n’y a pas de faux-semblants. Parce que s’iels s’en foutent, c’est sincère.
Mario : C’est un exercice différent de ce qu’on fait d’habitude. Ce n’est pas en soirée.
LVP : C’était quel type de public ?
Charles : Tous les âges. Jusqu’à 80 ans. C’est très large.
Mario : Super accueil sur chaque médiathèque. Les gens sont très investi·es sur ce genre d’événement. J’ai trouvé que les gens étaient très ouvert·es. Bravo à Dynamo.
LVP : Comment ça se passe quand vous préparez vos sets ? Ça change de ce que vous faites dans des salles ou des festivals ?
Mario : Honnêtement, on n’adapte pas mais sur certains concerts, on a enlevé des morceaux.
Charles : On fait plus un arrangement de set. On n’a pas arrangé nos morceaux, mais on a viré deux ou trois morceaux pour que ça puisse correspondre à tout le monde.
LVP : J’ai fait le calcul et en moyenne, vous êtes à une sortie tous les deux ans environ. Là où certes il ne s’agit pas toujours de se dépêcher pour composer, est-ce qu’on peut espérer avoir de vos nouvelles avant l’an prochain ?
Mario : C’est dur de l’entendre. Oui, c’est le projet. En septembre, normalement, il y a l’EP jumeau de Everything qui sortira, qui s’appelle Nothing. Ce sera un peu plus dark, un peu plus shoegaze. Trois titres aussi.
Charles : On compte faire un support physique qui combinera les deux. Une sortie, pourquoi pas, vinyle : Face A Everything / Face B Nothing.
Mario : Ce n’est pas le fait d’avoir du mal à composer, en réalité. On compose plein de titres et on pourrait en sortir très souvent, mais on se lasse tellement vite de nos morceaux. Je pense que le fait de se lasser autant sous-entend que ce ne sont pas les bons morceaux pour les sorties en physique. J’aimerais bien, par la suite, faire plus de sorties. On a envie de se diversifier un peu, on essaye de nouvelles choses en ce moment et ça pourrait être cool d’en faire des essais justement.
Je passe le plus clair de mon temps à faire des playlists. Je ride aussi les océans.