Laundromat : “Je voulais que tout l’album résonne comme un sample”
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Auteur·ice : Mathias Valverde
17/11/2022

Laundromat : “Je voulais que tout l’album résonne comme un sample”

À la suite de la sortie, en septembre dernier, de son album En Bloc rassemblant ses trois précédents EP’s, l’artiste Laundromat s’est lancé dans une tournée européenne, notamment en première partie de Future Islands. C’est à l’occasion de son passage à l’Olympia le 7 novembre dernier que nous avons pu l’interroger sur sa musique, la portée de ses paroles et la situation des artistes anglais·e·s après le Brexit.

Alliant samples électroniques, beats hip-hop et guitares indés, la musique de Tobias Hayes aka Laundromat, est incroyable de complexité. Ses paroles poétiques évoquent autant la crise écologique que nos angoisses individuelles, tandis que la pop alternative qu’il propose se veut agréable et légère.

Sensible à l’idée de répétition, l’artiste vous propose un album à laisser tourner en boucle sur votre platine ou dans vos écouteurs.

D’ailleurs, les mélodies enivrantes de Laundromat ont fait se trémousser un Olympia presque plein, attendant l’arrivée sur scène de Future Islands. Il faut du courage pour effectuer la première partie d’un groupe à la fan base bien installée. Laundromat a réussi, par son talent, à faire danser l’Olympia et à chauffer le public. Ce dernier a pu découvrir un projet encore plus underground que les têtes d’affiches du soir. Enregistré à Brighton, par un artiste qui a une longue histoire musicale derrière lui, En Bloc est infusé par des styles musicaux divers. Des passages funks, une voix transformée et une batterie alliée des samples électroniques donnent un album sensible et dansant. Dans la foulée d’En Bloc, Laundromat a sorti deux singles, Gloss et Combo, accélérant un peu plus le rythme de sa basse pour se diriger, sans doute, vers un second album plus « upbeat ».

En attendant la suite, nous avons interrogé Laundromat sur son premier opus, sur ses paroles et sur la vie de musicien à Brighton.

On vous laisse découvrir l’interview.

LVP : Premièrement, comment te sens-tu avant ce concert à l’Olympia et pendant ce grand tour d’Europe en compagnie de Future Islands ?

Oui, c’est vraiment cool. On était en plein soundcheck, et en plein milieu je suis descendu de la scène et j’ai pris place dans le public, là où je pouvais regarder la scène. C’était la première fois de ce tour que j’ai ressenti cet effet « wahou ». C’est une très grande scène, c’est génial. Et les gars de Future Islands sont vraiment super avec nous !

Photo : Sara Louise Bowrey

 

LVP : J’ai vu sur Instagram que tu as eu un petit problème de papiers à la frontière Italo/Suisse, est-ce que tout est rentré dans l’ordre ?  

Ah, non ! C’était pour la blague plutôt. En fait, c’est que je n’avais jamais eu à faire tout ça, genre montrer mon passeport et tout. Parce que, la plupart des tours que j’ai réalisés auparavant se déroulaient dans l’Europe pré-Brexit. Donc, il s’agissait juste de conduire entre les lieux de concert et c’était ok. Maintenant, il y a toute cette folie administrative à mettre en place. Je n’étais pas habitué à ça, mais ça va, c’était juste un peu délicat.

LVP : Oui à propos, est-ce que le Brexit a interféré avec ta capacité à voyager en Europe en tant qu’artiste anglais ?

C’est la folie maintenant. Tous les gens que je connais s’arrachent les cheveux. C’est juste une situation où personne ne sait vraiment ce qu’ils font et, arrivés à la frontière, eux non plus ne savent pas vraiment ce qu’ils font. Donc, il y a beaucoup de mésentente. La dernière fois, j’ai dû faire des allers-retours entre deux frontières parce qu’à l’une on me disait : « ah, ils ont oublié ce truc », et je retournais à l’autre, pour leur dire, et ils me disaient « non, ignore-les ». Et donc je faisais ces allers-retours pour qu’à la fin, on me dise : « ok, vas-y passe ». Alors j’étais surpris, genre « okay ?! ».

LVP : Est-ce que cela empêche les artistes de venir faire des concerts en Europe ?

Oui, je pense que oui. Il y a beaucoup plus de papiers à remplir, et c’est juste une nouvelle barrière en plus des problèmes d’argent bien sûr.

LVP : Le public te connaît surement par tes anciens projets, comme Meet Me in St Louis and Shoes and Socks off. Comment présenterais-tu Laundromat à ces personnes et à celles qui ne te connaissent pas encore ?

Je crois que ce sont simplement des projets complètement séparés. Il s’est écoulé beaucoup de temps entre ces aventures, pendant lequel je n’ai rien sorti comme musique. Donc, je ressens ça comme un vrai nouveau départ. Dans ces anciens projets, je n’ai pas l’impression que c’était vraiment la musique que je voulais faire. Je ne faisais que sortir des trucs, c’est ce que je faisais à l’époque. Mais avec Laundromat, je voulais prendre le temps et développer quelque chose que je trouvais excitant. Mais ça a pris des années (rires). C’est enfin devenu quelque chose que j’aime.

LVP : Le nom du projet est un peu générique (surtout pour une recherche internet), comment as-tu choisi ce nom ? Est-ce que c’est à cause de la répétition, de la multiplicité des cycles dans la vie ?

Oui, c’est exactement ça. J’avais une note dans mon téléphone avec des idées de paroles, de noms. Et parfois, lorsque je regarde un film, je note un truc, une scène, en me disant « oh, c’est cool ça ! ». Et il y avait beaucoup de films – surtout ces films à petit budget des années 1970 et 1980, des films un peu punk – où je voyais des endroits comme ces laveries [Laundromat veut dire laverie, comme dans les laveries automatiques de nos villes]. Ou encore des endroits où on utilise des cabines téléphoniques ou des jukebox. Tous ces trucs qu’on active avec des pièces. Et ce sont des espaces communs, que tout le monde utilise. Alors, je ne sais pas pourquoi, mais pour une raison quelconque, j’ai noté Laundromat. Environ un an après, en relisant ces notes, je me suis dit « oh j’aime bien ça ! ».

LVP : Super ! Alors, l’album En Bloc que tu as sorti en septembre dernier rassemble tes trois précédents EPs (Blue EP (2020), Green EP (2020), Red EP (2021)) Est-ce que tu peux nous en dire plus sur ce projet ? Combien de temps as-tu travaillé dessus ?

J’ai travaillé dessus assez longtemps, surtout pour l’écriture. C’était le truc qui a pris le plus de temps. Simplement expérimenter et essayer d’enregistrer des morceaux et essayer des styles différents. Finalement, vers 2019, j’ai montré ça à deux amis, Tom Andrews et Chris Banner, et ils m’ont aidé à enregistrer le tout dans un studio à Southend-on-Sea, qui s’appelle SS2 studios. Chris et Tom m’ont vraiment beaucoup aidé. Parce qu’à ce moment-là je devenais fou à enregistrer ces trucs dans ma chambre. Ils m’ont vraiment aidé.

LVP : Donc tu as commencé seul et avec l’aide de tes amis vous êtes allés en studio ?

Oui, j’avais fait des maquettes rapides. On aimait tous les maquettes et on avait besoin de garder l’esprit de ces démos mais de les faire sonner mieux.

LVP : Donc tu as fait un genre de bedroom pop ?

Au début, oui. C’était des expérimentations. Puis, avec l’aide de mes amis j’ai pu briser le cercle vicieux de celui qui devient fou sur une chanson. Et donc lors des enregistrements, cela m’a permis de mieux comprendre le processus puisque je voyais un produit fini. Alors je me suis dit : « okay on peut le faire, je n’ai pas besoin de devenir fou seul dans ma chambre ! ».

LVP : C’était pour le premier EP ?

En fait, c’était écrit comme un album, avec la tracklist et tout. Mais au moment de le sortir, c’est là que le COVID est apparu. Mon manager, Ivano, a eu cette idée de découper l’album en trois EPs et d’en faire un projet de long terme. Au début, j’ai fait « nooooon », mais au final c’était une bonne chose. Au moment de sortir En Bloc, le projet était un peu mieux connu et ça a bien marché comme ça. On était content du résultat.

LVP : La musique que tu joues sur En Bloc est assez ambivalente et totalement excitante. Les mélodies sont assez joyeuses avec des boucles électros parfaites, des samples, des passages de rock progressif… en même temps tu mets cette reverb sur la voix qui te fait sonner comme si tu chantais derrière une vitre ou dans l’espace. En plus, les paroles sont très profondes et abordent différents sujets. Quelles étaient les idées ou le processus de création derrière cette envie de télescoper ces chansons pop avec des paroles profondes, voire politiques ?

Généralement, la musique arrive en premier. Dans les démos, je chantais en « yaourt » pour trouver la mélodie. Et j’ai beaucoup de lignes de paroles écrites par ailleurs. Alors, la musique arrive en premier, puis je passe un temps long à trouver les bonnes paroles qui vont avec. C’est souvent des trucs émotionnels ou politiques, mais j’essaye au maximum de le cacher. J’essaye de rendre mes chansons légères.

LVP : Par exemple, dans la première chanson de l’album, Flat Planet, tu chantes « This could be tongue in cheek / We’ll end up back in the sea / A universal facepalm / With nothing left”. Qu’est-ce que cela fait de faire de la musique dans un monde qui s’écroule ?

Oh, mon dieu. Les choses sont vraiment étranges en ce moment. C’est ce sentiment que tout le monde retient son souffle et ne sait pas ce qui va arriver. Par exemple, pour ce tour, on a tous pris des vêtements d’hiver [le tour a lieu d’octobre à novembre 2022]. Mais il fait tellement chaud ! L’autre jour, en Italie, on transpirait juste en faisant une petite balade, c’est dingue.

Mais je n’aime pas l’idée d’être encore une autre personne qui verbalise ses opinions dans les chansons alors je préfère le cacher dans des paroles plus poétiques. Comme ça, si tu veux le voir, tu peux, sinon tant pis. Je veux que les gens accueillent les paroles comme ils/elles le souhaitent. Aujourd’hui, tout le monde crie dans différentes directions. Je voulais un album friendly.

 

LVP : Ta musique parle d’anxiété, de la dépression qu’on peut sentir dans ce monde. Quelle est ta principale source d’anxiété aujourd’hui et comment la musique t’aide-t-elle à y faire face ?

Beaucoup de ces paroles sur l’anxiété sont le résultat d’un mix. Comme la vie en général, ce que tout le monde ressent – les problèmes d’argent ou de travail. Il y a effectivement une grappe de paroles à propos de ce sentiment d’être au travail alors que vous n’avez aucune espèce d’envie d’y être. Tu sais, j’ai ces migraines oculaires. Je n’ai pas de douleur mais je ne peux plus rien voir quand j’en ai. Elles se déclenchent avec le stress. Parfois je me réveille, et je sens que ça a déjà commencé et je suis horrifié ! Enfin, je ne sais pas, ces paroles c’est à propos de la vie en général, ce sur quoi tout le monde déprime.

LVP : Pour moi, écouter la chanson Humans, avec ce son joyeux qui vient du chœur et du beat, j’ai pu calmer certaines anxiétés, notamment celle de préparer cette interview ! Est-ce que tu fais de la musique pour que les gens se sentent bien ou alors pour toi te sentir bien ?

Je pense… en fait je n’en sais rien (rires). En général maintenant je souhaite que mes chansons puissent être écoutées souvent et qu’on puisse danser dessus. Ça ressemble à une mauvaise réponse (rires). Dans le passé, c’était surtout de la catharsis. Mais en écoutant ces chansons aujourd’hui, je n’aime pas du tout ma musique. Alors maintenant je veux juste que ce soit fun (rires).

 

LVP : Beaucoup de tes chansons sont complexes, surtout dans les arrangements. Comment vas-tu faire pour les jouer en live ? Quelle est la formation qui te suit en live ?

On a une basse, une batterie et deux guitares. Le batteur joue aussi un sampler SPD-SX avec toutes les percussions, les bruits marrants, et des trucs comme ça. Moi aussi j’ai un sampler avec des bruits marrants que je joue entre les chansons. Je mets aussi un effet sur ma voix. Mais c’est à peu près tout. J’ai mis du temps à faire en sorte que ça marche parce que c’est vrai que c’est assez stylisé.

En tout cas, c’est vraiment cool, les personnes qui jouent avec moi sont des ami·e·s et de très bon·nes musicien.nes. Tout le monde comprend. On est sur une seule ligne sur scène et ça marche super bien parce que je peux voir Ollie, le batteur et on communique. C’est cool !

LVP : Les influences derrière ta musique sont très larges. Tu as cité dans le matériel distribué à la presse Can, The Breeders, Blur, The Beta Band. Mais on entend également de l’electronica, un peu de hip-hop. Quel était le son recherché pour cet album ?

Je ne savais pas vraiment ce que c’était, mais je cherchais quelque chose de particulier. Je me souviens avoir dit à Tom et Chris en enregistrant que je voulais que tout résonne comme un sample. Je ne voulais pas qu’on entende la piste de la batterie et la piste de la guitare. Je voulais que tout soit emprunté de quelque part. Dans ces EP’s, je voulais que cela sonne comme fait à partir d’un scrapbook. Ça n’a pas marché.

LVP : Ah si ! Je trouve qu’effectivement cela sonne comme un collage et c’est génial !

Merci ! Oui, peut-être que ça a marché par certains aspects.

LVP : Avec le dernier single que tu as sorti, Gloss, le rythme s’est un peu accéléré, est-ce que c’est la direction que prend ton nouvel album ? Tu as un album en préparation n’est-ce pas ?

Oui, je suis en train de travailler dessus. J’ai envie de plus de chansons optimistes (upbeat) et même, que les chansons lentes soient assez groovy pour qu’on puisse danser dessus. J’ai trouvé quelques tours de passe-passe que je veux faire plus souvent. Par exemple, essayer d’utiliser moins d’enregistrements de batterie et plus de samples de batterie. J’ai fait un truc sur le dernier single : j’ai enregistré la ligne de basse à partir de mon téléphone, et ça marche ! Ce n’est probablement pas une bonne idée de le refaire, mais ça marche pour cette chanson. Juste cette basse un peu merdique, et ça marche à fond avec la batterie. Quand on fera le prochain album, je devrai parler à quelqu’un qui s’y connaît vraiment parce que je ne suis pas sûr que ça sonne parfaitement dans les baffles d’un club (rires).

 

LVP : Tu habites à Brighton. Pour beaucoup de gens, c’est une ville de musicien·nes. Comment c’est d’y vivre quotidiennement ?

Ah oui ? c’est intéressant d’entendre ça. Je ressens ça aussi maintenant. Mais pendant longtemps je ne le pensais pas, genre il y a 10 ans. Il me semblait alors que c’était une ville qui avait eu une belle scène musicale. Et que j’avais raté ce moment. Mais aujourd’hui ça paraît complètement sain, avec beaucoup de choses qui se passent et c’est très beau !

LVP : C’est toujours le cas avec tou·te·s ces Londonien·nes qui s’installent dans le coin et qui font grimper les prix ?

Oui, ca devient de plus en plus dur. Les prix montent, le loyer est cher. Je ne sais pas comment cela va se terminer…

LVP : Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ? Tu as des recommandations pour notre lectorat ?

Il y a cette artiste que j’adore Liv.e, elle est incroyable. Il y a aussi, El Michels Affair. Et puis ce groupe où j’étais genre « waouh » en écoutant : Ghost Woman.

 

LVP : J’ai cru comprendre que tu étais aussi inspiré par les films. Quelques recommandations ?

Tu as ce film avec Harry Dean Stanton dont je parle toujours. C’est vraiment un truc bizarre, petit budget avec une atmosphère complètement surréelle. Ça s’appelle Repo Man.

Il y a aussi ce film que je veux voir en rentrant à la maison parce que les images sont époustouflantes. C’est à propos de ces vulcanologues [Katia et Maurice Kraft] et ça s’appelle Fire of Love.

LVP : Certains de tes titres sont en français, comme « Bureau de Fatigue » et « En bloc », quelle est ta relation avec la langue française ?

Bureau de fatigue me fait juste marrer comme titre. La chanson En Bloc parle de Brighton et de mes ami·e·s là-bas. On a vécu une très belle décennie. On a eu beaucoup de chance d’avoir des ami·e·s si proches. Avant le COVID, on avait vraiment du bon temps, comme si on était encore étudiant·e·s à l’université. Tout le monde avait une vie sociale, on se voyait plusieurs fois par semaine, c’était un grand groupe. On aurait surement dû moins boire et moins dépenser. Je me sens chanceux d’avoir eu ça, comme si on avait évité la vie réelle. On a eu cette belle période avec beaucoup de solidarité. Puis le COVID est venu et tout le monde est resté chez soi. Même à la fin du COVID, les gens ont gardé cette habitude. Tout n’est pas terminé mais c’est différent maintenant.

 

LVP : Tu ressens de la pression au moment de commencer à enregistrer ton second album ?  

Non, je suis vraiment impatient. La première fois, je ne savais pas comment faire. Maintenant, je sais ce que je veux. Il n’y a pas encore de date de sortie ou d’agenda. Lorsque je vais rentrer de ce tour, je veux juste ne plus faire de concert pendant un temps. Avec Ollie, le batteur, on partage un studio à Brighton, et on voulait toujours faire ce genre de truc, mais on n’avait pas l’argent. Désormais, on a cet espace ensemble et on partage tout le matériel, et je suis excité à l’idée d’être là-bas. Même s’il y fait très froid. L’endroit est humide, il y a des rats et tout (rires). C’est à Hove, sur la mer, très froid.

LVP : On a hâte d’entendre ce deuxième album. Merci beaucoup et bon show ce soir !


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