Laura Mvula nous raconte sa mue en diva disco sur son nouvel album Pink Noise
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
23/07/2021

Laura Mvula nous raconte sa mue en diva disco sur son nouvel album Pink Noise

Cinq ans après son acclamé The Dreaming Room (nominé aux prestigieux Mercury Prize et lauréat du prix Ivor Novello)Laura Mvula sort de l’ombre avec une palette de roses flamboyants – symboles d’indépendance, de force et de résilience. Pink Noise, troisième long-format de la chanteuse britannique, est sa seconde sortie sous l’aile d’Atlantic Records, faisant suite à un EP de reworks intitulé 1/f dévoilé plus tôt dans l’année. Disco, chaleur et groove sont les maîtres-mots de cette collection vibrante de tubes audacieux, qui conjure les sentiments contrariés le temps d’une mémorable fièvre du samedi soir. Le tout au cœur d’un univers léché, inspiré autant par l’élégance de Grace Jones que la fougue des Earth, Wind & Fire. On a eu l’honneur de discuter avec elle de l’enjeu d’une telle réinvention et des symboliques de ce triomphal Pink Noise. Interview complète au bas de l’article. 

La plus belle des revanches, c’est bien celle-ci. Après plusieurs tumultes au sein de son ancien label, l’autrice-compositrice se reconstruit avec plus de liberté, de temps et d’espace. Tout ce dont elle avait besoin pour composer l’univers flamboyant de cette nouvelle sortie. “La musique est différente, et je suis différente également. […] Mais c’est un changement positif.” nous confie-t-elle. Pas de mauvais sentiments, pas de rancune, Mvula n’est pas du genre à biaiser son art pour des futilités contractuelles : la musique, c’est sacré. Alors quand elle décide de proposer une ère disco, elle ne fait pas les choses à moitié. Renouant avec l’essence même de cet esprit de fête et de célébration, Pink Noise se veut triomphal et pétillant.

Je m’étais promis à moi-même de proposer un disque sur lequel je pourrais danser.

Nominé pour le Mercury Prize 2021 aux côtés – entre autres – d’Arlo ParksBlack Country, New Road ou encore Nubya Garcia, l’album est non seulement une surprise, mais également un pari réussi pour Laura Mvula.


La Vague Parallèle : La musique de Pink Noise est très différente de ce que tu as pu proposer auparavant. Tu es différente aussi ?

Laura Mvula : En effet, la musique est différente, et je suis différente également. Je pense que nous changeons tous et toutes, nous évoluons en permanence. En tant qu’êtres humains, quand des choses se produisent autour et à l’intérieur de nous, nous répondons par le changement. Du coup, je suis à un tout autre stade de ma vie par rapport à mon précédent album, c’est certain. Mais c’est un stade très positif, et donc un changement positif. 

La Vague Parallèle : On parle beaucoup de ton grand retour, voire de ta renaissance avec cet album. Tu es d’accord avec ça ?

Laura Mvula : Non. Les gens ont annoncé un peu partout « Oh, elle est revenue ! » comme si j’avais disparu ou quelque chose comme ça. (rires) Mais je peux comprendre leur réaction. La vérité, c’est que j’avais une certaine vision bien précise pour cet album, et j’avais besoin de temps pour bien la comprendre et l’exploiter. Au sein de mon label actuel, on m’a donné le temps et l’espace pour le faire. 

La Vague Parallèle : Quel est le vrai challenge quand on propose une refonte aussi radicale de son univers ?

Laura Mvula : Le grand challenge, c’était de me dissocier des distractions et du bruit. Beaucoup de personnes, le plus souvent de bonne volonté, me demandaient incessamment des nouvelles sur mes créations, quand allait sortir le prochain disque, etc. J’ai dû trouver un moyen de ne pas internaliser toute cette pression, pour plutôt me concentrer sur ce que je voulais produire créativement. Cela m’a demandé d’être patiente, plus que ce que je n’aurais jamais pensé pouvoir être. C’était une grande leçon de vie pour moi. 

La Vague Parallèle : Quelle est la symbolique du nom de l’album ?

Laura Mvula : En réalité, j’étais seulement captivée par l’assemblage de ces deux mots mis côte à côte. Pour la petite histoire, j’étais en train de traîner sur YouTube, à regarder des tutoriels très barbants qui parlaient de production musicale. Et ce gars expliquait justement ce qu’était un pink noise, et ça m’a directement sauté aux yeux, c’était évident. Mais, déjà avant ça, j’avais l’intention d’utiliser le mot pink, et j’avais déjà eu quelques idées un peu pourries. (rires)

La Vague Parallèle : Du genre ?

Laura Mvula : Pink Blue… Je t’épargne les autres ! 

La Vague Parallèle : Le « son rose » fait référence à une fréquence sonore bien spécifique. Tu l’as incorporée dans l’album ?

Laura Mvula : J’avais déjà entendu parler du white noise auparavant, et j’ai donc été assez intriguée par le pink noise. On a utilisé pas mal de sons roses dans l’album, en les plaçant à divers endroits un peu secrets. 

La Vague Parallèle : Parfait, on essaiera de les capter !

Laura Mvula : Bonne chance ! 

 

La Vague Parallèle : Au-delà du titre de l’album, la couleur rose semble être centrale sur cet opus et l’univers construit autour. Que représente cette couleur pour toi ? 

Laura Mvula : Quand j’ai commencé à fréquenter Prince et son monde créatif, sa relation avec la couleur mauve était une toute nouvelle façon de se rattacher à un élément abstrait. Je ne dis pas que j’ai voulu reproduire cela, mais il a indéniablement semé une graine.

La Vague Parallèle : Et pourquoi le rose en particulier ?

Laura Mvula : Je détestais le rose quand j’étais enfant. Je n’étais pas une « fille conventionnelle », si je peux le dire ainsi. Du coup, je n’avais pas trop d’attrait pour cette couleur. Mais désormais, je la dissocie complètement de ce rattachement exclusif au féminin. J’y vois plutôt un symbole d’indépendance, de romance, de nostalgie et d’espoir. 

La Vague Parallèle : Tu as beaucoup ruminé ce choix de titre ?

Laura Mvula : Non, c’est important pour moi de ne pas tomber dans l’overthinking. Quand il est question de nommer les choses, comme pour les noms des titres par exemple, je m’en réfère à la philosophie de Miles Davis. Il n’en avait pas grand-chose à faire de tout ça, des titres et des fioritures. Il était toujours si focalisé sur la musique. J’ai tenté d’appliquer cela en me concentrant sur la technique, la musique et les émotions que je voulais y introduire, en me disant que les noms de titres et le concept suivront naturellement. Et c’est ce qu’il s’est passé. 

La Vague Parallèle : Le disque est clairement inspiré de l’ère disco des années 80, tout en proposant quelque chose de singulier. Comment t’y es-tu prise pour composer ton propre disco ?

Laura Mvula : Je me devais de trouver mon propre disco. Je m’étais promis à moi-même de proposer un disque sur lequel je pourrais danser. C’était aussi un énorme challenge pour moi, car mes deux précédents opus étaient beaucoup plus reposés, voire sacrés. Ici, je me suis vraiment posé la question : « Est-ce que je sais au moins comment on construit un son sur lequel les gens dansent ? » (rires) Ce sont des codes différents, il faut être attentif·ves au groove, au rythme, proposer quelque chose de mémorable et catchy. Et ça m’a pris un temps conséquent pour changer de méthode comme cela, être confortable en dehors de ma zone de confort. 

La Vague Parallèle : À quelles icônes disco t’es-tu référée ? 

Laura Mvula : Les classiques. Michael Jackson, The Jacksons, CHIC, Earth Wind & Fire, mais aussi la sensibilité d’un James Brown. C’est la musique dans laquelle j’ai grandi. 

 

La Vague Parallèle : Au niveau des textes, on retrouve une multitude de messages d’empouvoirement et de résilience. C’était important pour toi de délivrer des messages forts ?

Laura Mvula : Oui, totalement. Ce sont des éléments primordiaux pour moi, et s’ils ne se retrouvent pas dans ma musique, je la trouve vide de sens. Et c’est parfois un sujet de controverse au sein de mon entourage : « Chaque chanson doit-elle être profonde et inspirante, avec un message à délivrer ? Ou bien peut-elle seulement être une vibe, un moment ? » En ce sens, j’ai l’impression d’avoir réussi à proposer des textes moins graves que sur mes précédents albums. Les sujets restent sérieux, mais d’une façon différente. 

La Vague Parallèle : C’est d’ailleurs assez perturbant de rouler des épaules et attraper la fièvre du samedi soir sur des sujets aussi sérieux, non ?

Laura Mvula : C’est vrai. (rires) J’ai fait écouter l’album à un ami qui me disait « Pour continuer de danser il ne faut jamais écouter les paroles ! » Parce que si tu vibes sur le son et que tu te penches sur les paroles, tu peux vite être en mode « what the fuck ? » Ce qui est intéressant, car cela suggère deux expériences d’écoute totalement différentes.

La Vague Parallèle : Le morceau Remedy est certainement le plus fort et vibrant de l’album, avec une instrumentale proche de l’électronique brute. C’était voulu de suggérer un mood comme celui-là pour donner vie à ce morceau articulé autour de la guérison ?  

Laura Mvula : Si tu entends ce morceau, tu es presque obligé·e de l’écouter. Ce n’était certainement pas le plus simple à composer, car il y a énormément d’éléments à prendre en compte : on a utilisé des sixteenth notes, on a beaucoup joué sur le groove et on a incorporé énormément de sections différentes. Et la complexité du morceau fait de lui l’écrin parfait pour ce message grondant d’empouvoirement et d’encouragement.

La Vague Parallèle : Tu as également donné vie à une disco diva pour cet album. À quelle point êtes-vous similaires, elle et toi ?

Laura Mvula : Elle est moi, mais elle est aussi… elle. (rires) C’est intéressant tout ce rapport au personnage que l’on peut créer. Sur la pochette, on ne me reconnaît pas facilement, contrairement aux deux pochettes précédentes. Et c’est donc plus facile pour moi de me détacher de cette disco diva, et de tout l’univers incroyable qui l’entoure. Ce qui est sain, surtout lorsque l’on joue un personnage, car cela nous rappelle la frontière entre ces deux facettes de soi-même. 

La Vague Parallèle : Dernière question, cette fantaisie disco prendra-t-elle vie durant tes concerts ?

Laura Mvula : Il y a intérêt ! C’est le plan, en tout cas. Pour l’instant, on cherche surtout à débloquer des budgets pour pouvoir proposer des choses visuellement excitantes. Car cette nouvelle ère se doit d’être accompagnée d’un concept mémorable. Quand tu regardes un show des Earth, Wind & Fire dans les années septante, ils t’emmènent sur une autre planète. Et pour moi, ça fait partie de l’euphorie  : l’évasion. Un concert, ce n’est pas une question d’ego, ce n’est pas seulement moi en face d’un public, c’est surtout une opportunité de créer un monde nouveau, une dimension complète qui serait séparée de nos vies quotidiennes. Voilà ce que je veux proposer dans mes shows.