Le concert mémorable de Sorry (et Vera Daisies) ou la naissance (et la mort) du Fucknorm rock
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Auteur·ice : Mathias Valverde
22/10/2022

Le concert mémorable de Sorry (et Vera Daisies) ou la naissance (et la mort) du Fucknorm rock

Deux ans après leur passage au Supersonic, Sorry était de retour à Paris samedi 15 octobre pour un concert qui a fait trembler Le Pop Up du Label. Le groupe londonien, qui a aiguisé ses riffs sur les planches du Windmill de Brixton, a littéralement secoué le public à en faire transpirer les murs. Était-ce du pop-punk, du rock indé, de la bedroom pop ? Fuck it, c’est du fucknorm rock !

En entrant dans le sous-sol du Pop-Up, l’effervescence qui règne déjà à l’arrivée de Vera Daisies annonce une soirée mémorable. Je n’ai entendu que quelques secondes de cette artiste sur YouTube mais sa voix m’a décidé à arriver pour la première partie de la soirée. Seule à la guitare, avec l’aide occasionnelle d’une boite à rythme et d’un micro avec effets, Vera Daisies place le concert sous le signe du bon son. La voix profonde et le jeu ciselé de ce one woman band impressionne. Le public en redemande ! Après une demi-heure à faire vibrer une salle comble, Vera Daisies semble étonnée de son propre effet. Elle se dit fan de Sorry, mais les fans de Sorry sont déjà fans d’elle !

 

Les sons du duo qui fait la headline ; désormais agrémenté d’une basse, d’une batterie et d’un multi-instrumentiste ; se sont encore complexifiés depuis leur avant-dernière livraison : l’album 925. Asha Lorenz et Louis O’Bryen n’ont plus leurs atours de jeunes anxieux, triturant MPC et guitares dans des chambres adolescentes (voir leurs premières mixtapes Home Demo(ns)). C’est avec un regard assuré et l’aura d’un groupe qui tourne depuis maintenant presque 7 ans que les artistes sont monté·es sur la petite scène du Pop-Up. Agrémentés de la musique de Cabaret Willkommen de Joel Grey, les musiciens ajustent leurs sangles sur leurs costumes style Saville Row, sans doute chinés à Brixton. Cette mode du néo-tayloring que des artistes comme King Krule ont déjà adoptée, renforce l’idée que Sorry ne va pas s’excuser de casser tous les codes. 

Les premières notes du tube qui ouvrait l’album 925, Right Round the Clock, déchaînent le public et envoient un message clair : nous ne sommes plus devant un groupe de cabaret rock ou de bedroom pop. À quoi assistons-nous ? Personne ne le sait vraiment. Pitchfork écrit dans sa review de l’album que le groupe ne met jamais à l’aise les auditeurs et joue toujours à prendre le contrepied des attentes du public. C’est justement ce contrepied qui caractérise une nouvelle ère du rock indépendant. La génération du Windmill (Black Country, New Road et Jockstrap plus spécifiquement) s’impose par un éclectisme qui ne permet plus de les installer dans la vieille taxinomie du rock. Key to the city, la troisième chanson jouée samedi soir, commence comme une balade RnB avant de se reposer sur un beat d’inspiration hip-hop, puis un refrain clairement pop-rock.

 

Lorsque le groupe entame There’s So Many People That Want To Be Loved de leur nouvel album Anywhere But Here, on revient sur les bases de la britpop avec des touches anti-folks. Alors quoi dire de ce qui est joué devant nous ? Une personne fait remarquer qu’elle ne s’attendait pas à voir le public danser autant. Effectivement, au bout du dixième morceau, quelques gouttes de condensation se forment sur le plafond du caveau du 12e arrondissement. Peut-être est-ce là une réponse à cette impossibilité des critiques de décrire précisément le son de Sorry. Ils représentent cette musique populaire qui rassemble dans une chambre adolescente, dans un pub miteux, dans une salle cosy du Paris bohème, un public qui pendant une heure trente s’oublie et danse, saute, reprend les refrains en cœur. 

Cela est dur à croire mais pour un album qui a été entièrement révélé le 7 octobre, beaucoup de chansons sont reprises par le public. Lorsqu’Asha se penche pour régler ses pédales pendant une chanson, le public comble les vides. Lorsqu’elle reprend le micro, sa voix claire emplit la salle et se module avec précision. Au moment d’entamer Snakes, une des chansons les plus abouties de 925, la salle est déchainée. Serré·es les un·es contre les autres, tout le monde remue. La mauvaise expérience du groupe d’avoir, en plus de toutes les difficultés que l’on connaît de la vie en temps de pandémie, sorti leur premier album sans pouvoir le jouer pendant un an et demi, est comme balayée par cette tournée aux airs de revanche. La rage de rattraper le temps perdu se lit dans la détermination du regard de Louis, elle s’entend dans la capacité du groupe à transformer ses chansons en expérience live irremplaçable. Avec le single Cigarette Packet, plus personne ne répond de rien. J’enlève ma chemise déjà mouillée (rassurez-vous, j’avais un t-shirt en-dessous), la foule n’est plus qu’une vague qui ondule dont l’écume est (malheureusement…) la transpiration de 150 personnes qui headbang

 

Au moment de gratter les premiers accords de Starstruck, l’hymne sensuel du groupe, le public composé de vieux rockers et de jeunes transformés par l’écoute trans-genre des plateformes de streaming ne forme plus qu’un ensemble qui ne reconnaît plus aucunes normes aux styles musicaux. C’est du fucknorm rock entend-on dire autour de nous. Voilà un nouvel emblème dont il faut se débarrasser tout de suite. 

Après 19 morceaux (!), joués sans avoir besoin de faire de rappel, le groupe quitte la scène sous une ovation générale. Le rock indépendant entre dans une nouvelle ère, celui d’un éclectisme bouillonnant. Cette génération verra peut-être la fin du monde, mais avec une playlist de ce type, on est prêt·es à se damner !