Le crépusculaire projet de Ex:Re (Daughter) réédité façon symphonique
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
27/02/2021

Le crépusculaire projet de Ex:Re (Daughter) réédité façon symphonique

En novembre 2018, sans crier gare, la frontwoman du célèbre trio d’indie rock Daughter dévoilait son projet solo Ex:Re. Sous ce mystérieux nom, à la fois une référence à l’introspection des rayons X et une abréviation d'”ex relation”, Elena Tonra aura su dérober nos cœurs en livrant un disque mélancolique et sombre, traitant avec amertume une rupture amoureuse. Plus de deux ans plus tard, le disque se voit revisité dans une version symphonique chapeautée par la compositrice Josephine Stephenson et rendue possible grâce à l’orchestre britannique 12 Ensemble. À écouter un soir de chagrin. 

Si la version originale du disque avait été produite par le batteur Fabien Prynn, qui accompagnait également Tonra sur la tournée du projet, c’est ici sa violoncelliste Josephine Stephenson qui prend le relai. Cette Franco-britannique, diplômée du Royal College Of Music de Londres, a déjà fait ses preuves aux côtés des plus grand·es, de Radiohead à Jon Hopkins en passant par le groupe Arctic Monkeys, pour lequel elle a arrangé les sections piano de plusieurs morceaux du dernier album Tranquility Base & Hotel Casino. Les claquements frontaux de batterie sont alors troqués contre l’aérienne myriade d’instruments à corde du collectif londonien 12 Ensemble. Le disque passe de délicieusement cru à profondément atmosphérique.

“Travailler avec des instruments acoustiques a été l’occasion d’ajouter des détails dynamiques subtils, mais tangibles, pour mettre en valeur les paroles d’Elena. Comme les chansons d’Ex:Re sont souvent construites à partir de boucles, j’ai pris plaisir à explorer la multitude de variations et de réinventions possibles au sein de celles-ci, en ajoutant des contre-mélodies et en apportant de petits changements dans l’harmonie ou la voix. Après avoir tourné avec le groupe Ex:Re pendant un an, je connaissais les chansons et j’avais déjà commencé à les développer et à les orchestrer dans ma tête. Je n’avais pas peur non plus de savoir que j’écrivais pour le collectif 12 Ensemble, qui sont tous des musicien·nes exceptionnellement talentueux·ses et à l’aise dans toutes sortes de registres”Josephine Stephenson

 

L’introspection d’une douleur, la recherche d’un antidote : ce projet solo s’inscrivait pour l’artiste comme une catharsis musicale. Déjà très touchante au sein du groupe Daughter, c’est encore plus à vif qu’elle chante ici pour aborder les tourments qu’elle sublime en morceaux. Si son talent est sa plume, sa douleur est son encre. Loin des breakup-songs nauséabonds des stars de la pop, il y a sur cet album éponyme une véritable impression presque suffocante d’expérimenter la perte, le vide et le manque. Car même s’il pourrait laisser présager être dédié à une personne, c’est plutôt son absence qui est étudiée, décortiquée et pleurée.

On se souvient alors avoir été bouleversé·es à l’écoute de Romance, une évasion longue de plus de sept minutes qui posait la narration sans filtre de Tonra sur des percussions entêtantes et saisissantes. Si le morceau revêt un caractère de cry dancing plutôt saccadé sur la version originale du disque, il se transforme ici en une composition évasive et nébuleuse, mais pas moins frissonnante. Là est tout le génie d’un tel travail : Stephenson parvient à désépaissir la frontalité du titre sans pour autant trahir son intensité. Le timbre fragile de la chanteuse est alors davantage mis en avant, menant la danse face aux arrangements cordés qui, eux, s’attellent à corroborer et traduire l’émotion partagée en mélodie.

La relecture de Stephenson est telle que nos titres préférés sur la première version du disque ne sont pas forcément ceux que l’on chérit ici. L’essentiel de nos coups de cœur si situe dans la triade introductive du projet : Where The Time WentCrushing et New YorkLe premier prouve une certaine maestria du crescendo avant de proposer une section dramatique percutante en outroCrushingune pièce qui nous impressionnait déjà en 2018 de sa fibre fiévreuse, retrouve ici les riffs de guitare électrique qui le ponctuaient déjà mais accueille aussi des coups d’archet amplifiant d’avantage son intensité. Une fois encore, c’est au cours de son outro mouvementée que l’on saisit bien la beauté d’une telle réécriture.

 

Vient alors New York, le manifeste central de ce que la rencontre de ces deux musiciennes peut nous apporter de meilleur. Ici, la mélodie vocale a été quelque peu altérée également pour se fondre dans l’œuvre symphonique pensée de bout en bout. L’esprit tourmenté du texte vient se loger dans l’essence même de la mélodie, et c’est finement exécuté. Si l’on retrouve cette boucle inlassablement répétée tout au long du morceau, c’est par ses divergences presque inquiétantes que New York nous captive : des traînées de violons et de violoncelles qui grincent vers le bas et déboussolent. Et au milieu de cette cacophonie, à 3:07, le calme plat. Une rupture brutale qui permet alors au titre de se reconstruire, d’abord à partir de petits coups d’archet, puis de sections plus envolées, avant de retrouver son épaisseur. Mesmérisant.

On retiendra aussi ce I Can’t Keep You sous haute tension qui fait la part belle à des notes aiguës alertes pour traduire brillamment une certaine urgence. La mariage calibré du piano et des sections cordées sur les crève-cœurs Too Sad et 5Am ainsi que ce bridge mystique et fascinant sur Liar (de 2:34 à 2:55). My Heart, qui clôturait l’album en 2018 sur un guitare-voix épuré et suspendu, se prête ici à une version plus extravagante voire semi-enchantée. Une façon pour le tandem StephensonTonra de redéfinir la tristesse du premier disque en lui infusant une part de légèreté. Si la tristesse est toujours bien là, elle résonne moins corrosive à l’aide de ces envolées cordées berçantes.

 

When you sheltered yourself
And cut off the phone

Well, I knew then you weren’t hurt
You’ve forgotten how to love

Le disque se termine sur des applaudissements, captés lors de la représentation live au King’s Place de Londres en novembre 2019. Si un retour du trio Daughter est à prévoir dans les mois qui viennent, on ne se lasse pas de ce projet solo qui aura su sublimer avec authenticité les douleurs d’une rupture sentimentale, et qui retrouve avec cette réécriture un souffle nouveau. Avec cette œuvre, Elena TonraJosephine Stephenson et le collectif 12 Ensemble légitiment le sentiment de chagrin d’amour et le subliment dans des arrangements somptueux où la force des instruments épouse la sensibilité de la voix. Ou comment Ex:Re a encore fait pleurer nos ventricules.


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