“Le Festival pour ceux qui n’aiment pas les festivals” – Rencontre avec La Magnifique Society
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Auteur·ice : Victor Houillon
08/04/2021

“Le Festival pour ceux qui n’aiment pas les festivals” – Rencontre avec La Magnifique Society

| Photo : Vincent Arbelet

Depuis un an, les concerts sont comme la Bête du Gévaudan, les Chevaux Légendaires du Pas-De-Calais ou le Graoully lorrain : des mythes dont tout le monde connaît l’histoire, mais que personne ne rencontre jamais. Pourtant, partout en France, les acteurs de la musique font tout pour que la scène culturelle continue de vivre. La rédaction de La Vague Parallèle a donc enfilé son petit sac-à-dos, pris sa gourde d’eau et ses plus solides Doc Martens pour aller vadrouiller à la rencontre des initiatives les plus vaillantes. Sortez le Champagne et les biscuits roses, la première étape de cette tournée parallèle se déroule à Reims en compagnie de Cédric Cheminaud, grand manitou local qui a notamment sorti La Magnifique Society (festival) et la Cartonnerie (salle de concert) de sa marmite.

La Vague Parallèle : Bonjour Cédric ! Un an après les premières mesures de confinement, comment vas-tu ?

Cédric Cheminaud : On va dire que ça va. Honnêtement, nous ne sommes pas les plus à plaindre. La Cartonnerie est une salle labellisée SMAC, ce qui nous permet d’avoir des subventions qui représentent la moitié de notre chiffre d’affaires en temps normal. Avec également les aides du chômage partiel, cela nous permet de maintenir les salaires de tout le monde. La boîte n’est pas en train de couler, et cela nous permet du coup de travailler sur des projets comme de l’action culturelle ou des résidences d’artistes avec les Inouïs du Printemps de Bourges. Les interventions dans les établissements scolaires sont encore autorisées, on y envoie donc des groupes faire des actions. J’ai choisi d’adopter la stratégie de continuer de programmer régulièrement, par trimestre, et de démonter cette programmation au fur et à mesure des annonces. En parallèle, on continue de bosser sur La Magnifique Society.

LVP : Au niveau de la programmation, c’est courageux ! Beaucoup de salles se posent justement la question de l’équilibre entre continuer d’avancer au risque de se démoraliser à force de casser son propre travail quelques mois plus tard.

CC : C’est effectivement difficile quand tu en arrives à démonter pour la troisième fois ta programmation. Mais au final, c’est tout de même moteur de se projeter en avant. Mine de rien, ça fait désormais un an, et on commence à avoir un peu d’expérience. On sait à peu près ce qui pourrait passer ou pas en cas de réouverture. On a créé les outils pour aller assez vite sur la communication ou la billetterie. On sait qu’il nous faut trois semaines pour bien communiquer sur un évènement. On regarde donc ce qu’on a à cette date, et on avise. Ça permet de garder une certaine énergie, une dynamique, un esprit d’équipe. C’est compliqué pour ceux qui sont vraiment à l’arrêt, comme Lola qui s’occupe de la production des concerts. Les résidences d’artistes vont en ce sens, ça lui permet également de travailler, idem pour les techniciens. L’état d’esprit, c’est de garder un minimum vital.

LVP : Dans cette idée de garder de l’activité, que penses-tu du principe de livestream ?

CC : Je ne suis pas ultra fan de l’idée. On en a pas mal parlé avec l’équipe, car effectivement c’est une bonne solution pour les groupes afin d’avoir des supports de communication. On a par exemple pris l’option de faire travailler des groupes pendant deux-trois jours en salle avant de faire une captation qui leur serve en format clip. Nous avons diffusé au mois de décembre une captation en format concert avec Black Bones qui a une scénographie travaillée et donc un produit fini qui avait un peu de gueule. Après, le stream pour le stream, tout le monde en fait car il ne reste plus que ça à faire, mais on voit bien que le public s’en désintéresse à force. Voilà, ça fait un an qu’on en mange. Ce n’est pas une option qu’on favorise vraiment.

 

LVP : Récemment, les annonces gouvernementales ont annoncé une jauge assise limitée à 5000 places pour les festivals en plein air comme La Magnifique Society. Concrètement, ça change quoi au niveau de l’organisation ?

CC : J’avais vraiment souhaité maintenir l’annonce de notre programmation avant ces mesures gouvernementales, déjà parce que c’est important qu’on envoie des signaux au public et aux musiciens sur le fait qu’on n’est pas prêt à jeter l’éponge tout de suite. Encore une fois, il s’agit de créer un état d’esprit. Et comme notre festival n’a que trois ans, notre jauge est de 8000 personnes par jour seulement, donc je ne prenais pas un très gros risque. De plus, nous n’avons pas de camping. Et l’équipe du festival est l’équipe de la Cartonnerie, rémunérée par les subventions. On peut donc tous se mettre au travail sur une adaptation du festival. Nous avons une souplesse que les très gros festivals ne peuvent plus avoir. On peut se laisser encore jusqu’en avril pour s’adapter.

Concrètement, une scène, deux groupes, assis, pas de bar ni de restauration, ce n’est pas un festival.

L’assis distancié ne veut pas dire grand-chose, il y a encore beaucoup d’inconnues. Je fais le pari d’un format qui s’appuie sur ce qu’on a réussi à faire l’été dernier sur le parking de la Cartonnerie, agrémenté d’idées que l’on pioche sur d’autres festivals dans des pays comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. On cherche à construire un festival qui reste un festival. Concrètement, une scène, deux groupes, assis, pas de bar ni de restauration, ce n’est pas un festival. Aujourd’hui, nous travaillons encore sur plusieurs scènes, un format assis mais convivial. On espère que d’ici-là, les bars et restaurants pourront rouvrir. On pratique aussi l’espionnage industriel sur les parcs d’attraction.

On travaille à la moulinette pour tester la faisabilité logistique et financière du modèle qu’on souhaite mettre en place, c’est pourquoi on a annoncé le line-up sans mettre de places en vente. Concrètement, je ne sais pas encore combien de billets je peux vendre, à quel tarif. Pour ce qui est de l’artistique, on a eu la chance de pouvoir garder des artistes de l’édition annulée en 2020 tout en se réservant des spots pour s’adapter sur une nouvelle année. Nos groupes ont l’air de vouloir venir, d’être prêts à trouver des solutions pour s’adapter. On espère pouvoir en annoncer davantage courant avril.

 

LVP : Tu mentionnes que La Magnifique Society a trois ans. C’est le descendant d’Elektricity, un festival centré sur la scène électro rémoise, puis française. Que reste-t-il d’Elektricity dans La Magnifique Society ?

CC : Le phénomène local était intéressant dans Elektricity. On sentait que c’était un projet important sur le territoire. Le Grand Reims s’y était attaché, on va dire dans un rayon de 150 km. C’était intéressant aussi de déplacer le festival sur le parvis de la Cathédrale, où on a vu que la scénographie d’un festival jouait dans son image de marque. On a gardé cette idée-là en le déplaçant au Parc de Champagne inscrit à l’Unesco. Par contre, un festival doit innover, se renouveler, pour continuer à vivre. Être devant la cathédrale, basé sur une seule scène électronique, nous limitait dans la direction artistique et la proposition d’expérience face aux goûts changeants du public. On avait une contrainte technique sur ce parvis, avec une seule scène et une jauge limitée.  Le parti pris de La Magnifique Society a été de ramener le monde à Reims, en travaillant tout de suite avec le Japon et la Corée du Sud, en ramenant des groupes d’Angleterre, d’Australie ou des USA, tout en s’appuyant sur la scène française qui marche depuis toujours. On y retrouve cet esprit rémois, élégant, raffiné, depuis une cathédrale de pierre jusqu’à cette cathédrale verte. Tout en ayant ce souhait de coller davantage à l’état d’esprit du public d’aujourd’hui.

LVP : Tu mentionnes le fait d’évoluer tous les ans. Sur la première édition de La Magnifique Society, il y avait énormément d’artistes émergents qui ont percé par la suite (Parcels, HER, Requin Chagrin…), avec Air en tête d’affiche, tandis que désormais on retrouve des gros noms comme PNL ou Vladimir Cauchemar, et où la jeune garde est plus confirmée avec Yseult ou Hervé qui sont auréolés de Victoires de la Musique. C’est ton idée de l’évolution ?

CC : Cette année est très particulière, car une partie de nos coups de cœur avec lesquels on s’est engagé dès 2019 pour l’édition 2020 ont explosé depuis. Tant mieux pour eux, tant mieux pour nous, ce petit retard qui nous a été imposé nous a en quelque sorte remis dans le tempo. On conçoit d’habitude ce festival comme un événement qui aurait une petite année d’avance. On reste un festival jeune, et nous n’avons de fait pas la capacité financière des gros festivals. On doit essayer de choper les artistes avant qu’ils n’explosent d’un seul coup. On est assez fier·e d’avoir eu Clara Luciani, Eddy de Pretto, Angèle dès 2017 pour certains. Cette année, je trouve qu’on a encore pas mal de pépites sur cette deuxième scène comme le rappeur anglais PA Salieu, Shygirl ou Kennyhoopla. Arlo Parks, personne ne la connaissait quand on l’a trouvée en 2019. Black Pumas, pareil. On pensait faire un super coup en les faisant découvrir. Bon, depuis, c’est l’inverse, les gens nous disent “wow, vous avez Black Pumas” (rires).

 

LVP : Ça valide vos paris, en quelque sorte.

CC : C’est ça ! Et c’est peut-être pour ça que tu as personnellement un peu moins cette sensation de découverte. Après, une grosse partie du public va quand même rencontrer de nouvelles têtes.

LVP : Où places-tu La Magnifique Society sur un échiquier des Festivals avec d’un côté les Macki Festival, Pete the Monkey et de l’autre les grosses machines comme Solidays ou Lollapalooza ? Tu regardes un peu ce qu’ils font ou tu fonctionnes plutôt de ton côté ?

on veut garder ce côté assez précieux que nous permet le site, qui appelle à garder une certaine taille humaine.

CC : Je dirais que La Magnifique essaye d’être le trait d’union entre ces deux types de festival. Je ne pense pas qu’on deviendra quelque chose de très, très gros. Ce n’est pas l’idée, on veut garder ce côté assez précieux que nous permet le site, qui appelle à garder une certaine taille humaine. Ce qui est intéressant, c’est de créer une image de marque qui permet de choper de gros artistes. Avoir PNL ou Herbie Hancock, pour un festival qui a trois ans et fait 8000 personnes en moyenne, honnêtement je n’y croyais pas trop. On sent que ce qui plaît aux agents, c’est cette image de marque élégante, qui n’enferme pas dans des cases. Quand tu es un très gros festival, tout le monde ne te parle que des têtes d’affiches. Quand tu es un petit festival, très pointu, tu ne t’adresses qu’à des connaisseurs. Notre pari est de construire un objet qui va parler autant aux connaisseurs qui savent qu’ils vont peut-être découvrir les Parcels de 2022 qu’au grand public qui viendra voir une ou deux têtes d’affiches.

 

L’idée, c’est de créer quelque chose d’un peu particulier. Il y a énormément de festivals aujourd’hui en France, si tu veux en lancer un, il faut qu’il ait sa patte. Je suis plutôt rassuré en ce moment, car on commence à voir que ce parti pris fonctionne. D’ailleurs, les partenaires locaux sont de bons cobayes pour évaluer ce genre de choses, car ils viennent plus pour soutenir une action locale que par connaissance musicale. Et en débriefant avec eux, on a des noms comme Parcels qui ressortent sur les premières éditions. Des groupes qu’ils n’étaient pas venus voir, qu’ils n’écouteront peut-être plus après, mais qui leur ont mis une claque. En tant qu’amateur de musique, lancer un festival c’est aussi le plaisir de faire découvrir. Faire que les amateurs·rices pointu·es et le grand public se mélangent. Si, à la fin, le grand public a découvert un artiste et que l’amateur·rice pointu·e s’est dit que putain, quand même, Orelsan c’est très fort, on est content·e.

LVP : Vous faites un effort particulier pour faire cohabiter en une même journée des projets aussi différents que PNL, Philippe Katerine, Vladimir Cauchemar ou The Lumineers ?

CC : On s’inspire beaucoup du site pour se dire que tel groupe serait bien à telle scène, à telle heure. Le Parc de Champagne procure une ambiance très particulière au coucher du soleil, par exemple. On se met à la place d’un festivalier, et on lui construit une mixtape de 14h à 1h du matin. En France, on a tendance à faire des cases, mais on s’inspire pas mal des festivals étrangers. On cherche à casser ce truc-là, on va pas mal au Japon, en Corée, au SXSW d’Austin.

LVP : Au-delà de ton rôle de programmateur, y a-t-il un artiste que tu es particulièrement impatient de voir en tant que fan, tout simplement ?

CC : PNL ! C’est un groupe qui marque le rap français. Avoir PNL au Parc de Champagne, après Philippe Katerine et juste avant Vladimir Cauchemar, c’est une association de personnages complètement fous et à fond dans leur projet. Herbie Hancock, c’est aussi une énorme fierté. Une référence. Le gars, il a commencé dans les années 50, il a joué avec les plus grands. J’aime ce côté référentiel de la musique, on a accueilli Etienne Daho ou Jane Birkin qui reprenait du Gainsbourg par le passé, ce sont des repères. On utilise souvent l’image du phare, mais ils éclairent vraiment la scène actuelle quand tu écoutes ce qui se fait maintenant. Sinon, je suis également fan de l’album d’Arlo Parks et du projet de punk japonais Otoboke Beaver. Sur scène, elles retournent tout, alors qu’elles sont hyper gentilles et très discrètes en dehors.

 

LVP : D’où vient ce partenariat privilégié avec le Japon ?

CC : On cherchait à casser le code selon lequel un festival à Reims s’adresserait uniquement aux Rémois, avec une scène uniquement rémoise. Qu’est-ce qui est le plus incroyable, le plus éloigné culturellement, mais avec tout de même des points de convergence ? Le Japon s’imposait. C’est un pays très raffiné, qui fantasme beaucoup la France. Là-bas, tu retrouves des cafés avec des noms comme “Journal Standard“, ça ne veut rien dire mais ils aiment beaucoup le “franponais“. Nous avons été invités au Tokyo International Music Market, et ça a plutôt bien matché. On a conclu un marché avec un producteur local, celui de lui amener des groupes français au Japon et qu’il en fasse de même en amenant une dizaine d’artistes à Reims. C’est comme ça que Fishback, Vladimir Cauchemar, Orelsan ou Moodoïd se sont retrouvés à jouer là-bas. Ensuite, c’est à force de rencontres avec des musiciens, mangakas ou stylistes qu’on génère une énergie, crée une connexion comme des collabs franco-japonaise (Vladimir Cauchemar, Moodoïd). Avec ce succès, l’Institut Français de Séoul nous a contactés pour monter un partenariat similaire. Vraiment, l’idée est de mettre de l’énergie et de la créativité.

Le festival, c’est une belle page blanche par rapport à la Cartonnerie. Autant ça reste compliqué de faire de la découverte en salle, même en mettant en place des tarifs à 5 euros, autant sur le festival les gens prennent plaisir à découvrir cinq, six artistes en plus des trois têtes d’affiche qu’ils sont venus voir. Je me rappelle encore de cette scène de Wednesday Campanella qui avait débarqué avec son échelle au milieu du public, devant des festivalier·es interloqué·es. C’était un beau baptême de festival.

 

LVP : Aux côtés de celui-là, as-tu d’autres souvenirs particulièrement marquants de La Magnifique Society ?

Quand on a pris le pari de clôturer Elektricity pour monter ce projet, on nous a dit qu’on était taré·e.

CC : L’ouverture en elle-même. Quand on a pris le pari de clôturer Elektricity pour monter ce projet, on nous a dit qu’on était taré·e. Aussi, voir le personnage qu’est Etienne Daho dans le parc de Champagne un dimanche, ça créait un moment suspendu, très classe. Le public était ultra zen, détendu, il y avait des gamins qui couraient, ce genre d’instants que j’aime bien. Un autre moment fort car compliqué à organiser, c’était le pari de mettre les deux scènes découvertes l’une à côté de l’autre, à l’image des festivals anglo-saxons, pour les faire jouer en ping-pong. Techniquement, ce fut compliqué à mettre en place. Et l’enchaînement Sleaford ModsThe Oh Sees, sans aucune coupure, a été très intense. Le côté rugueux des Mods avait chauffé le public à blanc, et The Oh Sees lui a donné une seconde claque.

LVP : Si on s’adresse à un novice de La Magnifique Society, comment le lui décrire ?

CC : Ce n’est pas de moi, mais d’un esthète de la musique rémoise. “La Magnifique Society, c’est le festival pour ceux qui n’aiment pas les festivals“. On cherche à mettre en place un objet précieux.

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