Si nous vous avions concocté un guide prévisionnel aux allures d’épreuve olympique, le MaMA aura su une fois encore nous surprendre et nous enchanter. De salle en salle, d’intuitions en révélations, on tient là l’âme du célèbre festival de Pigalle. Le long du Boulevard Rochechouart, on vogue au hasard des recommandations et des rencontres, on défriche les talents de demain, on consacre ceux d’aujourd’hui et surtout on se réjouit de se réunir en musique.
Mercredi
Pour inaugurer cette splendide série, direction le NO.PI. Face à une salle remplie, Hoorsees dévoile un set rock et percussif. Jonché de briques rouges, le mur en fond nous transporte dans un club de Brooklyn tandis que la musique parfait l’illusion. Non sans humour et malice, le groupe utilise les interstices pour créer un lien avec le public et le faire rire, du moins sourire. Qu’à cela ne tienne, il s’agira d’un concert sans prétention, mais résolument sincère. Aisément séduit·es par l’univers indie d’Hoorsees, on repart heureux·ses d’avoir commencé le festival ainsi.
Hoorsees – © Alice Sevilla
On presse le pas, c’est La valse des trottoirs et nous voilà face au set de Choses Sauvages. Si leurs enregistrements campent une pop funk et new-wave remarquable, leurs concerts surprennent et saisissent, laissant jaillir une énergie relativement plus punk. Introduit par des kicks de batterie, le premier morceau Chambre d’écho pose le décor de ce qui va suivre. Ébahi·es, on assiste à la métamorphose du chanteur Félix Bélisle. En bête de scène, il prend possession du Backstage, n’hésitant pas à descendre du plateau pour se livrer à la fosse. À l’image de leurs morceaux originaux, le quintet tout droit venu de Montréal laisse libre cours à de grands moments instrumentaux. Les riffs très funk rappellent la couleur musicale de l’impulsion créative, ce qui nous réjouit. Sans nul doute, les Canadiens auront marqué les esprits en ce premier soir festif.
Juste à côté, à La Machine du Moulin Rouge, une tête aux cheveux d’or et au corps vêtu de mousseline noire est au centre de la scène. Tel un ange déchu, devenu déesse des enfers, SUN surplombe la salle. Sa voix claire et mélodieuse s’élève et s’accompagne d’une musique grave et intense, jouée par une batterie et deux guitares. Ses longs cheveux fendent les airs au même rythme qu’elle gratte les cordes de la sienne et convainc le public qui, lui aussi, se balance de tout son être. Le ton est donné, la symbiose est faite, celui de deux mondes que tout oppose : le métal et la pop. C’est brutal, c’est viscéral. Ça vous prend au fond des tripes comme au fond du cœur et ça ne vous donne qu’une seule envie : celle de recommencer.
SUN – © Alice Sevilla
Mais l’unicité rythme la vie d’un festival et si souvent, nous aimerions prolonger l’instant, il est désormais temps pour nous de suivre le fil. L’intuition précédemment animée par Choses Sauvages se confirme avec Lou-Adriane Cassidy, que nous rejoignons juste ensuite. Comme ses compatriotes, la musicienne nous surprend par l’énergie rock qu’elle déploie sur scène. En la voyant ainsi s’emparer des Trois Baudets, nous ne sommes pas étonné·es d’apprendre qu’elle a tourné aux côtés d’Hubert Lenoir. Sur scène, Lou-Adriane Cassidy s’affirme. Le corps en mouvement, incandescente, la Québécoise saute partout et se donne généreusement. Après tout, elle “est là pour un seul concert” alors autant essayer “d’en profiter et qu’il compte”. Cette annonce initiale tiendra lieu de promesse. D’un bout à l’autre de l’Atlantique, il n’est pas toujours facile de revoir les artistes alors on en profite ! Après quatre morceaux sonne l’heure de la pause. La petite mort instaure un moment tranquille avant que se ravive la frénésie, annoncée par un solo de guitare aux accents seventies. Lou-Adriane Cassidy lâche les chevaux, danse et le public conquis applaudit. Sur scène, la musicienne entrevoit la musique dans un rapport physique. Elle s’offre au public autant qu’elle le guide. Si le concert culmine, il est temps pour Lou-Adriane Cassidy de nous dire bonsoir et de nous laisser valser aux bras de Prattseul.
Lou-Adriange Cassidy – © Alice Sevilla
Livrant à la nuit ses esquisses poétiques, le fier dandy nous confie quelques récits, dont celui du Chuchoteur, devenu mythique. Après le concert de Lou-Adriane Cassidy, cette parenthèse semble tomber à pic. On se laisse ainsi cueillir par ce moment de douceur et de mélodies, avant de retrouver le Backstage.
L’ambiance y est sombre, électrisante presque palpable. Puis la musique démarre et une forme se détache de l’ombre, son crâne est luisant et son corps mince : Bracco entonne les premières paroles, accompagné du synthé et des percussions maîtrisés par son binôme. La musique, mêlant club-music et rock, est grinçante et furieuse à l’image de son chanteur qui ne cesse de bouger dans tous les sens. Il est insaisissable, allant de gauche à droite, de haut en bas, et se laisse parfois choyer sur le sol de la scène comme s’il voulait s’y fondre, nous donnant envie de l’y rejoindre. Une chose est sûre, Bracco vit et habite sa musique. Il ne fait qu’un avec elle et ses instruments, que ce soit sa guitare ou son micro. Il lui arrive, de temps en temps, de plonger ce dernier dans sa bouche comme pour nous faire écouter les mots qu’il n’arrive à prononcer, ceux qui logent au plus profond de son âme. C’est chaotique et vivifiant à la fois.
Bracco – © Alice Sevilla
Direction la Cigale où Kalika nous accueille avec des pistolets à bulles. On pourrait se laisser berner par l’aspect bon enfant de cet accueil, mais l’insolence de ses textes nous ramène à sa réalité, celle où trash et finesse font bon ménage, celle qu’on connaît et qu’on chérit tant. Kalika prend possession de la scène avec une aisance innée, provocante et explosive, chantant fort ce que l’on pense tout bas. Le public est emballé, connaissant ses mots tranchants par cœur, et saute au rythme de l’électro et de ses beats frénétiques. L’artiste nous fait même la surprise de deux chorégraphies qu’elle interprète avec fougue, accompagnée de Balthazar et Matéo Picard, qui nous hypnotisent tout autant qu’elles nous ravissent. On sort de ce concert remonté à bloc et le sourire aux lèvres.
Kalika – © Alice Sevilla
Pour parfaire ce mouvement conclusif, on se défoule avec Johnnie Carwash et son rock garage bordélique au NO.PI. Le petit espace devant la scène n’empêche en rien les gens de se défouler, ni les pogos de se créer. Explosif et tout en maîtrise, le concert du trio était parfait pour nous aider à extérioriser nos dernières onces d’énergies de cette première journée. Un dernière danse avant de partir, mais surtout avant de dormir.
Johnnie Carwash – © Alice Sevilla
Du côté de La Machine du Moulin Rouge, les Psychotic Monks prouvent encore une fois leur capacité divine à emmener n’importe qui dans leur (atmo)sphère infernale. Le public (nous les premier·ères), est captivé début à la fin, qu’on soit devant la scène ou à 20 mètres du groupe, on reste complètement sous le choc d’un tel talent. Ils arrivent à nous emporter dans cette bulle particulière qu’on aime retrouver à chaque concert très habité des Français. Puis ça joue extrêmement bien, ils sont stylés et bien sympas, donc on ne va pas tergiverser : c’est complètement validé.
Jeudi
Jeudi, c’est Inouïs ! Comme chaque année, le dispositif de sélection et d’accompagnement de jeunes artistes s’empare du Backstage by the Mill le temps d’une soirée. Et c’est le lauréat Oscar les vacances qui lance les hostilités avec sa guitare, ses mélodies pop et surtout ses déclarations décalées en guise de transition entre deux chansons. Il laisse alors la scène à St Graal, un des artistes que l’on attendait tout particulièrement. Et quel plaisir de découvrir enfin les versions complètes de tubes dont on a visionné encore et encore les versions courtes sur TikTok ou Instagram. Avec sa vision toute particulière de la chanson française, on peut dire que, ce soir-là, St Graal nous aura fait tomber amoureux. D’une drag queen en topless, d’un drag king en jarretelle ? Ce fut en tout cas lors d’un show à Pigalle.
- St Graal – © Alice Sevilla
- Oscar les vacances – © Alice Sevilla
St Graal et Oscar les vacances – © Alice Sevilla
Tout aussi francophone mais diablement différent, le personnage d’Eesah Yasuke entre alors dans la chaleur suffocante. On connaissait bien sûr son flow léché, la force de ses textes et sa présence scénique, mais la rappeuse nous aura tout particulièrement emerveillé·e en s’accompagnant d’un danseur, dont chacun des mouvements sublime ses paroles pour une véritable symbiose poétique. En guise de bouquet final, c’est Oete qui conclut cette soirée des Inouïs du Printemps de Bourges Crédit Mutuel, fêtant la release d’Armes et Paillettes armé d’une cape en paillettes. Toujours aussi bondissant, le duo qu’il formait est devenu trio, ajoutant un côté rock à un show qui était déjà loin d’être terne. Bravo les Inouïs, il nous est alors temps de repartir vadrouiller à Pigalle pour continuer à faire la teuf.
Pendant tout ce temps, nouvel ajout à la liste des salles partenaires du MaMa, le No.Pi faisait salle comble dès 20h pour le concert des Walter Astral. La foule amassée devant la scène, se frayant difficilement un passage vers le bar pour tenter d’abaisser sa température corporelle, était déjà toute acquise à la cause de nos deux druides préférés. Le Feu, n’aura jamais aussi bien sonné dans une salle ! Dans l’assemblée, ça chaloupe en pantalon patte d’eph’ et ça scande les paroles sur le bout des doigts “Sous les flammes je suis ensorcelé / Solitaire et sans cesse attaché“. Un moment de grâce, sous 45°C à l’ombre.
En parlant de chaleur, on retrouvait à La Machine du Moulin Rouge une trans rare durant le concert de TUKAN. Beaucoup de choses se sont passées pendant ce set, mais la plus marquante restera les quelques crowdsurfing dont on a pu être témoin. Beaucoup de sauts et beaucoup de sueur dans ce sous-sol sombre : la foule était littéralement transportée par la musicalité à la fois délicate et brutale du groupe. Alors, nu-jazz ou musique de club, ils n’ont pas pu se résoudre à choisir. C’est ce qui fait du quintet les protégés de la scène belge, avec un bel avenir devant eux.
On concluait enfin cette soirée de découvertes par un projet que, pour le coup, on ne présente plus. Bagarre, c’est le burger au restaurant. On sait exactement à quoi s’attendre, et on n’est jamais déçu·es. D’autant plus dans un format court comme sur ce MaMA, qui tourne au best-of avec tubes sur tubes qui s’enchaînent. Chacun·e se rapproche un peu plus de la scène à chaque chanson, si bien que l’on finit toutes et tous sur la scène à bondir avec le collectif. Une chouette apothéose avant de filer à la Cantine de La Cigale pour refaire le monde jusqu’à des heures inavouables !
Vendredi
Nouvelle journée, ultime soirée. Pour démarrer, direction La Cigale pour le concert d’Anna Majidson, révélation pop, soul de la rentrée. Accompagnée de la bassiste Laure Sanchez, la musicienne franco-américaine multiplie les envolées vocales maîtrisées pour parfaire un live à la hauteur de ce que l’on avait imaginé. Si le MaMA prend souvent les allures d’une course effrénée, on se délecte d’autant plus du plaisir de pouvoir rester dans la même salle plusieurs concerts d’affilée. Qu’à cela ne tienne, nous resterons donc à La Cigale pour voir Astéréotypie. C’est souvent en se laissant aller au hasard, que s’immiscent les surprises. Quelle ne fût pas celle qui suivit ! Initialement bercé·es par la voix d’un premier interprète, on fut très vite cueilli·es par un concert des plus énergiques. Live post-punk, élans de vie et foule conquise, c’est tout ça Astéréotypie. Empli de sincérité, le collectif à plusieurs têtes, enchaîne les titres et les récits, parfois manifestes. On cultive ainsi le souvenir de leur chanson Le Pacha, dont le refrain efficace continue encore aujourd’hui de camper nos esprits. “Je veux, je dois être un pacha.” Coeur à choeur, on se laisse rapidement séduire par la facétie. Sous les acclamations d’un public séduit, on s’éclipse.
- Anna Majidson – © Alice Sevilla
- Astéréotypie – © Alice Sevilla
Anna Majidson et Astéréotypie – © Alice Sevilla
Le temps est venu de retrouver NINA sur la scène des Trois Baudets. Portant dans nos cœurs le souvenir de son concert à Pete the Monkey, nous étions impatient·es de la revoir ici, et de nous laisser à nouveau transporter par l’élégance de sa présence et l’efficacité de ses mélodies. Se présentant avec un opus nommé Adieu, la musicienne incarne avec aisance la poésie des contrastes. Elle se dévoile ainsi à un public ravit de découvrir une artiste dont la carrière présage une longue suite.
NINA – © Alice Sevilla
Plus loin, au Backstage, c’est le trio féminin Grandma’s Ashes qui prend place sur scène. L’énergie qui s’en dégage est puissante et les premières notes de guitare nous ensorcellent. On se laisse charmer par la voix profonde de la chanteuse – parfois accompagnée de celles des deux autres musiciennes – et par leur musique rock alternatif / progressif aux sonorités lourdes et maîtrisées. Le sort prend possession de tous les êtres dans la salle et, à l’heure où j’écris ces mots, je vous l’assure, perdure encore en moi et en tout celleux qui étaient présent·es.
- Grandma’s Ashes – © Alice Sevilla
- Grandma’s Ashes – © Alice Sevilla
- Grandma’s Ashes – © Alice Sevilla
Grandma’s Ashes – © Alice Sevilla
Pour finir cette édition sous les meilleurs auspices, on file à quelques mètres d’ici. Sans surprise, nous sommes loin d’être les seul·es a avoir eu la même envie. Aussi, la foule se presse à La Machine du Moulin Rouge pour découvrir le set tant attendu de la talentueuse Romane Santarelli. Sur un parterre rempli d’âmes en besoin de beats, l’artiste a convaincu quiconque a pu l’entendre jouer. D’un calme olympien, d’une concentration extrême, Romane nous a servi la musique stroboscopique qu’il manquait à cette soirée. Une totale libération de fin de festival intensif.
On aura également eu l’occasion de croiser le chemin du nouveau groupe indie Ada Oda, qui, malgré 2 cordes cassées sur 30 minutes, aura délivré un show empli de dynamisme, guitares saturées et groove italien. Seulement deux singles sortis pour le jeune groupe, dont Un Amore Debole qui reste gravé toute la journée dans notre tête dès qu’on ose l’écouter. Et pourtant, sans connaître la moitié des chansons, sans en comprendre les paroles, le MaMA était conquis. Il nous fallait malheureusement courir pour voir notre star nationale belge Charles qui se produisait à La Cigale. Une salle plus timide par rapport à la norme en Belgique, mais qui n’a changé en rien l’énergie et le charisme véhiculés par l’artiste. Mention spéciale pour cette voix incroyable, mais aussi pour le light show qui nous semble toujours aussi calé, qui devrait se faire voir et entendre de plus de personnes en France.
Vous l’aurez compris, de surprises en moments de grâce ultime, le MaMA aura laissé place à trois jours d’euphorie. Voguant à travers la ville, de jour comme de nuit, avec la ferveur d’une exaltation sans limite, le festival nous aura laissé bon nombre de souvenirs que l’on continue encore aujourd’hui de chérir. S’il est désormais temps de refermer la parenthèse cette édition, nous trépignons déjà d’impatience de découvrir celle qui va suivre.
Article co-écrit avec Victor Houillon, Alice Sevilla et Caroline Bertolini.
Le cœur grenadine et la déclaration facile, je passe mes journées les yeux rivés sur ma platine.