| Photos : Clémence Trebosc pour La Vague Parallèle à Pete the Monkey
L’an dernier, nous avons profité du festival Pete the Monkey pour échanger avec DEADLETTER, qui reste encore à ce jour notre groupe de post-punk préféré. Nous sommes retourné·es les voir au POPUP! à l’automne, et l’on vous confirme que cet orage demeure le meilleur concert du genre auquel on ait assisté ces dernières années. Depuis, iels ont aussi sorti leur meilleur titre en date : Mere Mortal, dont on ne se lasse toujours pas, quelle que soit notre humeur. Sur la côte normande, on a discuté de live, d’engagement et ce qu’iels prévoient pour la suite, qui est toujours autant – sinon plus – d’actualité.
La Vague Parallèle : Salut ! On se rencontre juste après votre concert à Pete the Monkey. Comment vous vous sentez ?
Zach : Heureux·ses d’être ici, en France. On n’était encore jamais venu·es dans cette région de France avant, en Normandie.
George : On a eu un très bon accueil et un très bon public. Tout le monde dansait, c’est ce qu’on veut ! C’est Pete the Monkey !
LVP : C’est la première fois qu’on se rencontre en interview pour La Vague Parallèle. Est-ce que vous pouvez présenter le groupe pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore ?
Zach : On s’appelle DEADLETTER, et on fait de la musique pour faire danser les gens, et dans laquelle iels peuvent tirer quelque chose de ce qu’on dit.
LVP : Quelle est votre histoire ? Le groupe est originaire de Londres ?
Zach : En réalité, le groupe s’est d’abord formé dans le Yorkshire, avec George à la basse, Alfie à la batterie et moi. On a tous grandi ensemble dans le nord-est du Yorkshire. On vivait dans de petits villages là-bas. On a réalisé qu’on voulait vraiment faire de la musique de nos vies quand on avait environ quatorze ans, mais la scène là-bas n’était pas facile pour nous, donc on a déménagé à Londres et commencé DEADLETTER en 2020. Depuis, la configuration a changé quelques fois : Poppy a fini par nous rejoindre en janvier, et Sam en octobre. Bien qu’on ait eu différents membres depuis nos débuts, on se sent maintenant enfin au complet à six.
LVP : Donc certain·es d’entre vous sont ami·es depuis des années maintenant. Ça fait quoi de jouer et composer avec des gens que vous connaissez si bien ?
George : Je n’ai jamais vraiment connu autre chose, j’ai toujours joué avec mes ami·es. Même si ce n’était pas ces ami·es en particulier, c’étaient toujours des ami·es. Pour moi, la musique est quelque chose de très personnel, et jouer avec des gens qu’on ne connaît pas est très difficile. Dans ce groupe en particulier, c’est incroyable de jouer avec des ami·es, car on est capables de se dire quand on aime ou non quelque chose. C’est compliqué de rencontrer des gens avec lesquel·les on peut être honnête, et je suis ravi d’avoir ces cinq personnes autour de moi avec lesquelles je peux être moi-même.
LVP : Donc au début, vous n’aviez pas de saxophoniste permanent·e. Poppy, tu as rejoint le groupe après sa création.
Zach : C’est vrai. C’est suite à une session studio pour laquelle on a fait appel à un sax qu’on a décidé qu’on voulait que ça devienne partie intégrante du groupe.
LVP : Pourquoi vous avez ressenti le besoin d’ajouter cet instrument en particulier ?
George : Ça apporte de la mélodie, et ça coupe à travers les guitares et la basse. Je déteste dire ça, mais un saxophone passe à travers les instruments en bois d’une manière différente. Une guitare et une basse jouent un peu dans la même cour. C’est cool d’avoir un instrument dont le son provient entièrement du souffle d’une personne. On peut l’entendre avec les mêmes détails que ceux qu’on perçoit dans une voix.
LVP : D’ailleurs, vous avez un processus habituel de création ?
Poppy : Ça commence habituellement avec la basse et la batterie qui jamment. Zach a un carnet de paroles qu’il feuillette et dans lequel il écrit parfois sur le moment. Ça s’étoffe au fur et à mesure avec le sax et les deux guitares. On cherche toujours un moyen d’avoir trois différentes lignes de mélodie pour les guitares et le saxophone, puis de les équilibrer pour s’assurer que tout le monde évolue dans son propre espace.
LVP : Donc chacun·e ajoute sa pierre à l’édifice l’un·e après l’autre ?
Zach : Oui, on va et vient en cherchant ce qui sonne bien.
Poppy : Ça vient plutôt naturellement.
George : Et ce sont toujours les meilleures chansons lorsque personne n’a à trop réfléchir.
Poppy : On le voit vite entre nous, on se dit tous·tes : “Ouais, ouais, continue comme ça !” (rires)
LVP : Au-delà du saxophone, on s’accroche souvent à la mélodie dans vos morceaux à travers les voix, les chœurs ou même la basse. Est-ce que c’est quelque chose qui vous importe lorsque vous composez ?
Zach : Absolument. Je chante dans une chorale depuis que j’ai sept ou huit ans. Ce sont les premières fois où je me suis produit en public. La mélodie est seulement une autre manière d’utiliser la voix comme un instrument pour ajouter quelque chose à un morceau. Pendant un temps, je m’en suis écarté : dans d’autres projets, je faisais des choses beaucoup plus parlées.
LVP : Et on entend d’ailleurs aussi ce côté-là dans DEADLETTER.
Zach : Il y a aussi une façon de parler avec une mélodie. Les voix sont souvent très rythmiques, elles s’accordent avec la basse et la batterie. Il s’agit de trouver l’équilibre pour faire quelque chose de cassant, tout en restant mélodieux.
LVP : Vous êtes aussi engagé·es politiquement parlant dans vos morceaux, dans lesquels vous portez un œil critique et souvent ironique sur la société. On pense à votre texte “I’ve got shoes, but no soul” dans Madge’s Declaration, ou bien même les messages que portent Hero et Fit For Work.
Zach : Totalement ! La musique nous offre la chance d’exprimer une opinion qu’on ne pourrait peut-être pas manifester autrement. Je trouve que c’est génial de pouvoir exprimer notre avis sans avoir le sentiment d’attaquer quelqu’un à la gorge. Parfois, quand on discute ou on débat avec quelqu’un, ça peut être compliqué de défendre ses idées si l’autre personne ne fait pas attention à ce qu’on dit dans l’instant. Dans la musique, c’est comme dans la peinture parfois, il y a des choses à interpréter derrière.
George : Je pense que c’est très important que nous nous accordions sans vraiment en débattre. Zach écrit souvent les paroles, mais nous sommes tous·tes absolument d’accord avec elles. Ce n’est pas tout le temps strictement politique, ce sont juste des opinions et ça rend les choses beaucoup plus faciles quand nous sommes tous·tes immédiatement aligné·es sur ce que ça signifie et sur ce dont il s’agit. Ça permet de mettre l’émotion idéale dans la chanson, surtout en live. C’est tellement plus facile quand tout le monde est aligné, tout le monde sait où il doit aller. Ça donne vraiment du sens au morceau.
LVP : Nous avons vu votre incroyable show en avril à Bourges pour la première fois, et à nouveau aujourd’hui. On a l’impression que votre musique prend une toute nouvelle dimension en live. Qu’est-ce que jouer en live signifie pour vous, par rapport au studio ?
George : Je vis pour jouer de la musique en live. Je me passerais volontiers du studio n’importe quand pour faire un concert. C’est la chose la plus importante pour moi. Jouer sur scène, c’est un shot d’adrénaline. Je pourrais me passer du reste et ne jouer qu’en live pour le reste de ma vie. C’est la meilleure partie pour moi. J’aime regarder quelqu’un·e dans les yeux et lui jouer nos chansons. J’ai toujours aimé jouer devant une foule qui ne connaît pas notre musique, comme ce soir. Je pense que peut-être 1% de la foule savait qui nous étions, ce qui était probablement toi (rires). C’est toujours agréable de jouer devant de nouvelles personnes et ce sont défis différents. Ce soir, c’était une foule de gens qui aimaient danser, donc nous voulions jouer des chansons qui font danser les gens. D’autres soirs, les gens veulent écouter, donc il faut trouver l’équilibre. C’est la partie la plus palpitante !
LVP : Vous arrangez votre setlist en fonction du public ?
George : Toujours !
Zach : On ne fait presque jamais la même chose deux fois.
George : Quand on est arrivé·es ce soir et qu’on a vu la configuration et la programmation du festival, on a pensé à jouer les chansons sur lesquelles on aime danser dans notre set. Si on pensait que tout le monde allait rester immobile, on aurait peut-être joué quelques-unes des plus tristes. On doit toujours s’accorder au public.
LVP : Donc si on vous voyait jouer deux soirs de suite, on ne verrait pas le même show ?
George : J’aime à penser que non. En tout cas, très rarement !
Poppy : Et même si c’est la même setlist, nous ne faisons pas les choses pareilles. Même si ce n’est que la danse qui change, par exemple.
Zach : C’est important de ne pas se laisser devenir un robot. Créer des moments d’inconfort total serait extrême, mais créer des moments où l’on n’est pas 100% à l’aise, où l’on doit y penser, ça nous amène à donner la meilleure performance possible. C’est stimulant de sortir de sa zone de confort ! Il faut essayer plus fort et le vouloir plus fort. Si on faisait la même chose chaque nuit, on deviendrait des machines. Nous, on aime réfléchir par nous-mêmes.
George : Exactement ! On a joué un morceau ce soir qu’on n’avait joué en live qu’une seule fois auparavant, devant nos ami·es et notre famille à Londres. Mais ça semblait approprié pour le set de ce soir, car il a beaucoup de grosses caisses. C’est agréable pour nous d’être sur le fil de ce qu’on sait possible. Il y a beaucoup de musicien·nes qui ont vraiment cultivé ça dans le passé et en ont fait une carrière. On se doit de penser à ce que signifie jouer en live. On ne veut pas dire les mêmes choses entre chaque chanson, jouer les mêmes titres dans le même ordre pendant une année entière, car alors on risque de perdre notre l’amour pour elles. Ce sont nos propres créations, il faut qu’elles gardent leur importance à nos yeux.
LVP : Vous avez tendance à jouer tous·tes les cinq aligné·es à l’avant de la scène, avec seulement la batterie derrière. Est-ce pour donner plus d’énergie ou pour mettre tous les membres du groupe sur le même pied d’égalité ?
Zach : À mes yeux, quand on fait partie d’un groupe, il n’y a pas une personne plus importante qu’une autre, car le groupe ne serait pas le même sans un·e de ses membres. Je pense qu’il faut traiter les autres avec exactement le même respect.
George : Si c’était possible, on jouerait même à six à l’avant avec le batteur, car il est tout aussi important que nous cinq. Pour l’instant, c’est juste plus pratique.
Poppy : Mais il est aussi surélevé et il a plus d’espace pour jouer. Si on nous regarde individuellement, chacun·e incarne le morceau tout en faisant quelque chose de différent. Ça signifie bien qu’on a tous·tes un rôle important et qu’on compte dans notre individualité.
LVP : Votre premier EP Heat! est sorti en novembre 2022, et vous avez déjà sorti deux autres chansons depuis : The Snitching Hour et Degenerate Inanimate. Un autre disque est-il prévu bientôt ?
Zach : C’est difficile à dire. On a beaucoup de titres déjà prêts. Ils arrivent bientôt, mais pour l’instant il n’y a pas de plan défini.
George : Au cours des six derniers mois, on a probablement écrit plus en tant que groupe que ces toutes ces dernières années réunies. On se sent plus solide en tant que groupe. Quand on sait qui est là, qui est partant·e et qui fait quoi, c’est plus facile de se réunir et de travailler.
LVP : Enfin, vous avez un coup de coeur dans la programmation de Pete the Monkey ?
Zach : Acid Arab !
Poppy : Jeshi aussi, elle est vraiment cool !
Et si l’ambiance de cette conversation vous fait envie, Pete the Monkey revient à Saint-Aubin-sur-Mer dans quelques jours et les dernières places s’arrachent par ici.
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.