Le secret du groove de Desmond Myers : “L’écriture, c’est ma thérapie”
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Auteur·ice : Joséphine Petit
20/12/2021

Le secret du groove de Desmond Myers : “L’écriture, c’est ma thérapie”

Si l’on vous avait promis de vous en reparler vite, nous avons fait mieux. Nous sommes allés à la rencontre de Desmond Myers pour lui laisser poser ses mots sur son projet brûlant d’élégance qui ne nous laisse pas indifférents. Repéré en juin dernier sur la scène des iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel, le premier album de cet artiste à l’accent américain imparable, mais au français impeccable, saura bel et bien réchauffer vos fêtes de fin d’année. Shadowdancer est une petite bombe sensuelle et groovy d’intelligence textuelle. À découvrir de toute urgence.

La Vague Parallèle : Salut Desmond, on se retrouve quelques semaines après la sortie de ton premier album, Shadowdancer. Comment tu te sens aujourd’hui ?

Desmond Myers : Je suis très content que l’album soit fini, parce qu’on n’était pas sûrs de pouvoir le terminer à temps. Là, avec la tournée qui arrive, c’est un vrai soulagement.

LVP : Quelle a été la temporalité de cet album ? Est-ce que les titres sont là depuis longtemps ?

Desmond : Certains oui, et il y a aussi quelques morceaux récents. Cet album aurait normalement dû sortir en 2020, sauf qu’il n’était pas terminé quand la pandémie est arrivée. Il y a eu beaucoup de restructuration, et de deadlines qu’on n’a pas pu tenir. On a très souvent repoussé les choses. Les plus vieux morceaux ont maintenant deux ans, mais d’autres ont aussi vu le jour il y a six mois.

LVP : Le fait que certains morceaux aient été composés il y a plusieurs années, est-ce que ça influence ta manière de les vivre et de les interpréter aujourd’hui ?  

Desmond : Oui, comme beaucoup d’artistes, mon amour pour mes propres titres a une date d’expiration. J’essaie quand même de me promettre de ne jamais le faire avec ce disque, parce que j’ai mis tellement de moi dedans. C’est le travail de toute une équipe, et j’en suis énormément fier. Je sens que même les morceaux les plus vieux commencent à s’enrichir, à me parler d’autre chose au fil du temps. J’essaie de garder la tête haute et de me rappeler que ce qu’on a réussi à faire avec cet album est une belle chose. C’est important pour moi.

 

LVP : C’est la première fois qu’on se rencontre en interview pour La Vague Parallèle, est-ce que tu peux nous présenter ton projet pour ceux qui ne le connaissent pas encore ?

Desmond : Je suis d’origine américaine. Je viens de Caroline du Nord, mais je vis entre Paris et Atlanta. Dans mon projet, je suis chanteur, auteur et compositeur. C’est un mélange de r’n’b avec du rock, de l’indé et de la pop.

LVP : Tu viens des États-Unis et tu es à la fois aussi attaché à la France pour y avoir vécu, ce qu’on ressent dans ta musique. Peux-tu nous dire ce que t’a apporté la France, musicalement parlant, dans ce métissage de cultures ?

Desmond : Je viens du sud des États-Unis, où la culture est très portée sur la guitare. J’ai grandi avec le blues, la country et tout ce qui va avec. À Paris, j’ai découvert les synthés et la musique électronique, ainsi que la musique disco. On retrouve tout ce mélange dans ma musique. Déjà, l’album a été enregistré de manière analogique, avec un groupe et de vrais instruments. Il n’y a quasiment pas de prods, ni de machines. Mais ce côté électronique qu’on y retrouve parfois, ça vient du temps que j’ai pu passer avant à travailler en studio avec des musiciens français. Aussi, au-delà de tout cela, la France m’a apporté un certain sens critique. Les Français n’ont pas peur de dire ce qui ne va pas. Ils sont toujours à la recherche du détail à relever. C’est à l’opposé de la culture américaine, qui est constamment dans le compliment. Sauf que le positivisme ne permet pas de grandir tant que cela. Si tout est déjà génial, on plafonne rapidement. En France, j’ai appris à aimer la critique et vouloir toujours pousser les choses plus haut.

LVP : On sent justement que tu mélanges beaucoup d’inspirations, qu’elles soient soul, rock ou encore r’n’b, ce qui donne ce groove et cette sensualité qu’on retrouve dans l’ADN de tes titres. Tu peux nous parler un peu de tes influences musicales ?

Desmond : J’ai grandi avec le rock des années 60-70, comme Led Zeppelin, Jimi Hendrix, The Beatles, et toutes ces choses-là. C’est une grande influence pour moi. Mais quand j’étais ado, j’ai découvert le hip-hop avec OutKast, Kanye West, Mos Def, Kendrick Lamar et d’autres encore. Ça, c’était ma musique à moi. Si on dessine un pont entre ces deux mondes, il y a le r’n’b des années 70-80 : Marvin Gaye, The Gap Band, The Isley Brothers, ou encore Prince. J’ai beaucoup pensé à Prince pendant l’écriture de cet album justement. C’est le point de rencontre entre le r’n’b, les synthés, les guitares, le rock et la pop. Je me suis inspiré de son courage, sa sensualité, sa façon d’être masculin et féminin à la fois, aussi bien que de la recherche dont il faisait preuve dans ses morceaux.

© Katie Parker

LVP : D’ailleurs, pourquoi avoir choisi Atlanta pour t’y installer ? Est-ce que sa place aujourd’hui prédominante dans l’histoire du hip-hop a pu toucher ton projet de près ou de loin ?

Desmond : C’est une bonne question. Je suis d’abord revenu à Atlanta pour des raisons familiales, pour me rapprocher de ma famille car j’étais parti depuis longtemps. Mais quand on vit là-bas, on est effectivement proche des sources du gospel et du r’n’b. J’apprends beaucoup en faisant de la scène là-bas. Ça n’a rien à voir avec Paris, c’est si différent. Je pense que ça m’influence, mais je me considère encore novice là-bas. Au début, le but de ce projet était d’être présent aussi bien d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. Mais depuis la pandémie, c’est plus facile pour nous, en tant que groupe avec trois musiciens français, de jouer en France. On va bientôt faire une petite tournée américaine, qui va nous permettre d’être plus sur le sol américain. Atlanta, c’est la culture du sud dans laquelle j’ai grandi, et je sens qu’il y a quelque chose à raconter sur cette ville. J’ai hâte de faire découvrir ça à mes musiciens.

LVP : À l’écoute, ta musique appelle parfois au souvenir du duo Her, pour une raison simple : tu as participé à l’aventure, à l’écriture et sur scène, à l’époque. Comment est-ce que cette expérience a influencé ton projet à toi aujourd’hui ?

Desmond : Ça m’a permis de rencontrer Mathieu (Gramoli, ndlr) avec qui j’ai joué pour Her. Quand je suis rentré aux États-Unis à la fin du groupe, j’étais triste car je pensais que je n’allais plus jamais avoir l’opportunité de travailler en France. Puis Mathieu m’a rendu visite, et on s’est rappelé qu’on avait vraiment pris l’habitude de jouer ensemble. Quand on rencontre des musiciens avec qui on se comprend profondément, on peut jouer avec n’importe qui ensuite, ce ne sera jamais aussi bien. Louis (Marin Renaud, ndlr), le guitariste, était aussi mon remplaçant dans Her. C’est donc normal qu’on retrouve certaines façons d’arranger les choses et notamment en live, même par défaut, qui rappellent Her, un peu comme des automatismes. Je pense qu’on va s’en éloigner à l’avenir. Mais c’était inévitable sur ce premier disque.

LVP : Justement, tout comme pour Her à l’époque, le projet tourne autour de toi, Desmond Myers, mais on sent que les musiciens qui t’accompagnent ont une importance toute particulière.

Desmond : C’est exactement ça, un peu comme Kevin Parker et Tame Impala. Je suis seul et le projet porte mon nom, mais ce disque n’aurait pas existé sans ces musiciens en particulier. Je suis très fier de travailler avec ces trois personnes. Pierre (Elgrishi, ndlr) ne faisait pas partie de Her, mais c’est le bassiste de Clara Luciani notamment. Beaucoup disent que c’est le meilleur bassiste de France, et moi je valide ! (rires) Je suis très chanceux sur ce point.

 

LVP : Dans ta musique, tu abordes parfois des sujets engagés, comme dans Real Man, qui questionne la masculinité aussi bien dans le morceau que dans le clip. D’où t’es venue l’envie de t’exprimer sur ce thème ?

Desmond : Ça a été un combat permanent pendant mon enfance. Je suis le plus petit d’une fratrie de quatre frères, et j’ai grandi dans une ferme où ma famille élevait des taureaux. Certains membres de ma famille m’ont laissé me confronter à l’idée que j’étais moins que ce que je devrais être. J’ai passé beaucoup de temps à y réfléchir. Pendant ce temps, le mouvement MeToo a émergé en France, et je trouvais qu’il y avait très peu de chanteurs masculins qui s’engageaient sur ce sujet. Je ne voulais pas faire la morale, mais je sentais que ça me concernait aussi. Je préfère analyser et réfléchir les choses en rapport avec moi-même plutôt que de pointer les autres du doigt. C’était donc ma façon de le faire.

LVP : D’autres morceaux comme Shadows sonnent comme des exutoires, des remèdes par l’écriture, celui-ci en particulier comme un hymne à l’acceptation de soi. L’écriture, c’est quelque chose qui t’aide à avancer personnellement dans ta vie ?

Desmond : Complètement. Je suis quelqu’un qui passe par beaucoup de processus verbal. Je pense que c’est aussi quelque chose de très masculin de ne pas avoir les moyens de s’exprimer, et de comprendre ses propres émotions. Parfois, je me sens même émotionnellement naïf. Mais pour moi, c’est important de s’interroger, et de chercher à l’intérieur de soi comment on ressent réellement les choses. L’écriture, c’est ma thérapie. Je ne compose pas avec du yaourt en même temps que la musique. Je pose d’abord la musique, puis je choisis un thème. J’ai souvent trois articles ouverts en ligne en même temps, et j’aime aussi beaucoup lire pendant que j’écris. Ça me plaît de faire de la recherche. C’est un travail plutôt cérébral, qui donne parfois des morceaux un peu trop sérieux. Avec Shadows, j’avais juste envie de dire “fuck it!”. On peut toujours essayer de s’améliorer, mais il faut tout de même apprendre à s’accepter et s’aimer comme on est.

 

LVP : Je pense aussi à Fuck Fear, pour ce côté “écriture thérapeutique”. Tu peux nous parler un peu de ce morceau ?

Desmond : Je suis sorti un soir à Atlanta, dans un bar de drag queens où ils organisent des karaokés. Je suis monté chanter sur scène, et il y avait un énorme panneau avec écrit “fuck fear” affiché derrière. Cette communauté m’a beaucoup inspiré à Atlanta. Dans le sud des États-Unis, ils ont un côté clandestin, mais ils font surtout de l’art pur, dans lequel ils investissent tellement d’eux-mêmes et font tant de sacrifices. Je les admire énormément. Ils ont une façon d’être libres et eux-mêmes quoi qu’il arrive, et c’est vraiment l’esprit de ce morceau. Ce disque a un côté bipolaire. Il y a beaucoup d’introspection sur des sujets vulnérables, avec d’autres morceaux qui viennent rétablir l’équilibre en cassant ce côté très autocritique.

LVP : Tu joues dans quelques jours à la Maroquinerie. Ça représente quoi pour toi ?

Desmond : Je suis très heureux, parce que c’est une salle qui est tout d’abord magnifique, mais qui se situe aussi à quelques pas de mon premier appartement à Paris. Il y a un côté un peu spirituel dans tout ça.

LVP : Quand on te voit sur scène, on sent que tes morceaux y prennent réellement vie. Quel est ton rapport au live et au public ?

Desmond : Je suis justement en train de le développer, parce que j’ai totalement perdu l’habitude de jouer devant des gens. J’ai fait énormément de scène dans ma vie, mais en tant qu’artiste solo, je me considère honnêtement comme un artiste novice. J’ai beaucoup été sideman, fait des mariages, des restaurants. Je suis en train de découvrir ce que c’est de porter ses propres morceaux devant un public. Ça fait peur parfois, parce que c’est un peu étrange de parler avec des étrangers d’un disque qui aborde des choses dont j’aurais du mal à parler avec ma famille, par exemple. Il y a un certain décalage. C’est comme se mettre à nu devant des gens que l’on ne connaît pas. Mais lorsque je suis sur scène, je suis heureux de voir le moindre geste, la moindre réponse à ma musique. J’ai tellement été habitué à être dans l’ombre, comme lorsque je jouais dans des restaurants, que la plus petite reconnaissance de la part du public me réjouit.

LVP : Pour finir, tu peux nous confier un artiste qui tournait en boucle dans tes oreilles pendant l’écriture de l’album ?

Desmond : Alors, pour la petite histoire, je suis un fan de Neil Young, qui dit qu’il n’écoute pas d’autre musique que la sienne, parce qu’il compose beaucoup. C’est un peu ce que j’ai fait pour ce disque. Avec un ami, on s’est lancé le défi de composer un titre par semaine, et ça a duré deux ans et demi. On a fini avec une centaine de chansons, ce qui m’a laissé sans pression, et avec un choix immense pour l’album. C’était génial, mais aussi beaucoup de travail. J’étais très occupé et passais finalement mon temps à écouter et réécouter le morceau chaque semaine pour le rendre dans sa meilleure version. Parfois, écouter d’autres artistes quand on compose peut devenir une distraction. Je préfère être plongé dans mon univers. Il y a des saisons pour découvrir de la musique, et d’autres saisons pour composer.