| Photos : Giulia Simonetti pour La Vague Parallèle
Il solde la billetterie de la Gaîté Lyrique deux jours d’affilée une semaine avant, sort La pieuvre, son projet commun avec Hologram Lo’, la veille. C’est dans cet espace-temps que Bruxelles a la chance ce soir-là de recevoir pour la première fois H JeuneCrack, qu’on imagine gonflé de l’énergie de la fierté. Cette vigueur, c’est la Rotonde du Botanique qui l’a accueillie, se propageant dans son enceinte plus rapidement qu’une épidémie de punaises de lit, lesquelles de toute façon, auraient stoppé net leur travail acharné de succion pour se concentrer sur une autre matière première, plus disponible que le sang en ce jeudi soir : le rap, à l’état brut ou transformé.
Pendant que je me demande déjà comment me sortir de cette métaphore entomique, il est proche des 21h quand sur le parvis du Bota’ fourmille à la lumière de la pleine lune une nuée de spectateurs aux habits éclectiques. Je suis les casquettes et le déguisement de banane (?) pour me retrouver dans l’étroite Rotonde qui n’a déjà plus rien d’intime, et où sévit déjà un énergumène dont le premier mérite est de nous offrir le concert le plus ponctuel de l’histoire.
La vingtaine à peine dépassée, H JeuneCrack c’est « l’genre de gars qui fait les tactiques dans FIFA ». La rigueur organisationnelle d’un vieux de la vieille, l’énergie d’un gamin en plus : le capitaine d’équipe idéal pour un coach. C’est donc rigoureusement que le show s’inaugure sur les grosses basses de l’intro de MATIÈRE PREMIÈRE, son excellent projet sorti en mai dernier. Les novices découvrent son écriture faussement nonchalante, son phrasé déroutant de facilité et ses piques assassines contre les raclures au pouvoir. La majorité déjà acquise entonne « comment ça s’passe ? ».
Tu veux m’test? Vas-y, vas-y
N’oublie pas d’me payer comme les impôts à Patrick Drahi
Toutes les polices sont bonnes pour écrire ACAB
Short, claquettes bats les c’ de Balenciaga
Les présentations faites, la timidité inhérente aux premières rencontres s’envole, premier pogo – Wazinc. La boule à facette dressée sous la coupole de la salle tient tant bien que mal, s’accaparant les rayons lumineux jaillissant de la scène, petits miroirs bleus renvoyant le reflet d’une foule ondulant son corps inconsciemment sous les longues notes du synthé fragile d’Aquarelle.
Facile, c’est assis sur le DJ-booth qu’H JeuneCrack recouvre de sa sincérité les premières notes déjà classiques de 3 Meufs. Et à entendre l’ardeur des mecs et meufs à reprendre en cœur « j’suis moche mais elle trouve que j’suis beau », j’me dis qu’il y a un sacré problème de confiance en soi dans notre génération. Ou que le rappeur a écrit un texte si juste sur l’amour qu’il en devient automatiquement universel.
Pas le temps de larmoyer puisque le petit bonhomme à casquette saute déjà partout sur scène, envoyant ses « barz » drôles de spontanéité, bordel naissant qu’accentue le stroboscope, sur Présidentiel flow. Comme Renault ou PSA, le bazar se délocalise, hors de la scène, où triomphe un cercle humain qui n’attend que le rappeur. Le DJ lance un set incapable de s’arrêter plus de 10 secondes sur une prod, sur lequel H JeuneCrack débite en faisant des gestes avec les bras comme un freestyleur, plus dans les temps que le temps lui-même.
Des fourmis s’emparent des jambes de quelques camarades spectateurs de la fosse, tandis que dans celle-ci se poursuit l’hommage au hip-hop et à son ancienne école. Le H, d’humeur prouveuse, balance en rimes les mots aléatoires qu’a choisis le public, et on n’aura jamais vu dans le rap telle explosion de joie sur le placement des mots « beach-volley » et « xylophone ». Vrai Crack.
J’vais tout niquer dans la ‘sique pour prouver à mon daron qu’j’en suis capable
Sauf qu’il s’en bat la race, il s’en bat la race
J’suis comme tout le monde, j’veux offrir une villa à la dar’
Sauf qu’elle accepterait ap’, elle s’en bat la race
L’autodérision mélancolique d’H JeuneCrack continue de se répandre dans la salle comme L’éther dans mon sang quand l’interrompt un coup de fil de Mairo (le légendaire) venu souhaiter la bonne journée. merci bonne journée répond le public belge ravi de cette politesse franco-suisse, avant qu’une voix inquiétante vienne encore le perturber pour prévenir du grabuge à venir sur Big Lebowski. Un mec fait carrément un malaise à mes côtés (j’espère que tu vas bien), d’autres tentent de se frayer un passage pour rejoindre l’agitation en contre-bas.
Pas mauvaise idée, le tag « Don Dada » signale Hologram Lo’ à la prod et les gens comprennent très vite qu’il faut être heureux. La boom-bap errante de La preuve est sortie la veille, un temps d’existence visiblement suffisant pour la salle qui se l’est déjà appropriée.
J’fais la prod’, le son, le mix, j’crois j’ai huit bras, la pieuvre
C’pas parce que c’est électronique que c’est l’tur-fu, la preuve
Authenticité, multisyllabiques et punchlines marrantes s’étalent une dernière fois dans Gamberge FM, résonnant avant et après Au max, le tube de l’été méritant bien d’être joué deux fois, pour autant d’ovation. Le gros cerveau du rap peut maintenant relâcher la pression, une bière en main derrière son stand de merch. Ce soir, tout le monde l’a vu, en studio ou sur scène, dans le moderne et traditionnel, H JeuneCrack s’amuse. L’impression que ses parents lui ont appris à parler en rappant des comptines, seule explication raisonnable pour justifier le talent tentaculaire de ce garçon. Wazinc.
C’est du rap, le plus bel art mon frère