Le voyage céleste de Beach House dans Once Twice Melody
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
02/03/2022

Le voyage céleste de Beach House dans Once Twice Melody

Beach House, ce duo mythique, cette entité cosmique, fait son retour 4 ans après son dernier album. Attendu par leurs nombreux·euses fans en manque de mélancolie comme le Graal de l’année 2022, Once Twice Melody est enfin dans nos oreilles. Un opus de pas moins de 18 titres qui demande du temps et de la patience pour être apprivoisé. Avec un peu de douceur et une oreille attentive, il se dévoile et nous laisse entrer dans son rayonnement. Et qui sommes-nous pour ne pas nous laisser absorber par ce que Beach House fait de mieux ? 

Once Twice Melody, premier album entièrement auto-produit du groupe, a clairement eu son lot de hype. Annoncé tard comme un album à paraître en en 4 phases, 4 EP ont été discernés avec une sortie par mois depuis novembre. Si le numéro 4 parait aléatoire, il n’en est rien. Comme le groupe le racontait dans une interview pour Anthony Fantano (aka “the Internet’s busiest music nerd“), il y avait à l’origine 25 chansons en lice pour l’album. Étant de grand·es fans de vinyles, la sélection s’est opérée par “sides” en rassemblant les chansons, et l’idée de les sortir de cette façon est venue après.

On en profite pour rappeler que le duo américain n’a jamais trouvé de grande importance de montrer les personnages qui le composent, beaucoup de fans ne savent même pas à quoi ils ressemblent. Le focus a toujours été mis sur le visuel, sur la relation de la musique avec le visuel, pour porter la musique plus loin dans l’esprit de celui·celle qui écoute. C’est pourquoi, pour cet album, Victoria Legrand et Alex Scally ont sorti un clip/lyric animation pour chaque chanson, créé par un·e artiste différent·e. De cette façon, chaque composante a son univers et sa complexité émotionnelle qui servent l’univers général. Le vinyle est aussi incroyablement beau, même si les visuels qui lui sont associés sont bien moins psychédéliques que la pochette en elle-même, ce qui va bien mieux avec la musique qui nous est servie.

Side A

L’album commence par nous montrer pourquoi on aime tant voguer dans le désespoir de nos pensées sur du Beach House, en faisant exactement du Beach House. Once Twice Melody, le titre éponyme de cet opus commence donc par nous garder dans notre zone de confort, dans ce cocon qui a été créé par le groupe, et ce depuis 8 albums. Il a une saveur particulière ce premier single, notamment grâce à sa guitare acoustique qui arrive à fonctionner seule comme accompagnée des légendaires synthés qu’on associe à leur musique. “Days go by, in her eyes. Once Twice Melody” retentissent dans nos têtes. L’intensité se dessine, on dirait le début d’une renaissance. Le reste du premier EP va dans le sens du son qu’on connaît déjà, plutôt classique.

Un single s’en démarque néanmoins, c’est le drame de Pink Funeral. Une ode à l’histoire du Lac des Cygnes, il paraîtrait. Les premières notes sont presque bibliques, et tous les instruments sont minutieusement ajoutés pour nous faire ressentir une omniprésence du sentiment qui y est lié – jusqu’à un larsen qui se cache sous les nappes du mix tout au long du titre. C’est la chanson de l’amour bombe à retardement, celui dont la fin se finit à l’image de l’histoire, de la plus tragique et sombre des façons – la mort. Dans la version de l’histoire de Darren Aronofsky qu’on peut admirer dans Black Swan, c’est Odette qui se donne la mort, témoignant son amour une dernière fois. La symbolique de la couleur rose qu’on retrouve dans le titre fait d’ailleurs référence à l’amour profond. La boucle est bouclée, donc.

On peut aussi y entendre “Once was a fairytale, then it all went to hell”, qui nous fait penser à la pochette de l’album, comme la première de couverture d’un conte. Il ressort notamment de cette interview avec Anthony Fantano que Victoria aime particulièrement le concept de conte de fée (fairytale), mais pas comme le concept joyeux et édulcoré sous lequel il est souvent dépeint. C’est plutôt la rêverie qui y est liée, du rêve au sens neutre du terme, que ce soit un rêve heureux ou pas, comme dans ce dernier morceau.

Don’t let me go
Once was a fairy tale
Then it all
went to hell
Swans on a starry lake
Hearts that were made to break
Tears through a white lace veil
Pink funeral

 

Side B

Il est temps de retourner le vinyle une première fois. Petit reminder : on n’oublie pas de nettoyer la poussière avant d’y poser la tête de lecture pour préserver ce magnifique objet. “Something beautiful and dangerous”, ligne issue de Runaway, qui décrit parfaitement le son lui-même. Tout bonnement un des meilleurs de l’album, si vous voulez notre avis. On retrouve un peu le Beach House de 7, l’album au feeling beaucoup plus métallique (oserait-on dire qu’il a été underrated ?). Le titre arbore une répétition dans la production qui le rend transcendant, on est presque conditionné·es à l’adorer au final. Assuré mais poétique, d’une poésie bien moins gentille que ce qu’on avait pu entendre en début de carrière, petit shoutout à l’essai de vocoder qui rend le single hyper intéressant. On voit qu’il y a une expérimentation, qui nous fait un peu penser à l’intention sur Teen Dream qui est connu pour sa recherche expérimentale.

Your hair melting into silver stars.

ESP apparait alors comme la mélancolie mortelle, typical Beach House. Ce single est de ceux qui nous font comprendre pourquoi on aime tant ce groupe. Ça parle toujours d’amour, vous l’aurez deviné. D’une voix posée, Victoria nous emmène dans une histoire d’une beauté rare. Elle y dit “What everybody knows, not everybody shows”, dépeignant d’un sentiment enfoui qu’il n’est possible d’avouer, des paroles mélodramatiques comme on les aime, finalement. Définitivement pas une chanson à écouter en pleine rupture, vous aurez été prévenu·es.

Mention spéciale pour Over and Over, son champ lexical spatial et sa progression hyper intelligente qui finit en électro façon Moroder. On y retrouve encore une référence au mauve, au rose et aux fleurs, partagées par plusieurs chansons, au sein de l’album mais aussi de la discographie du groupe.

 

Side C

Un peu de répit et de légèreté avec la troisième phase de cet album. Que ce soit avec un titre comme Sunset qui ressemble à moitié à un chant de chorale à la limite du chant de Noël – un rien faible selon nous -, ou avec Another Go Around qui mimique les phrasés de Enya dans une volonté tout aussi spirituelle mais plus sombre, on entre dans le moment de respiration avant le final.

On a bien sûr notre petit coup de cœur qui vient détonner de ce calme olympien, et c’est Masquerade. Une légère influence à la Massive Attack qui intrigue dès le début. On dirait que le morceau met fin à ce calme ambiant avec un son beaucoup plus edgy, obscure, mais toujours posé. On y entend d’ailleurs : “Her eyes masquerade, fade to black”. On comprend mieux la partie conte de fée condamné et sombre.

 

Side D

Le final magistral à la Beach House. On sent que quand le groupe fait quelque chose, leur volonté est ancrée jusqu’au bout de leurs doigts, au bout de leurs chansons, mais au bout de leurs projets également. C’est peut-être l’album dans lequel on sent le plus une ascension, un réel voyage qu’on fait avec le groupe, dont la destination se trouve ici. Six titres pour les gouverner tous, à commencer par Illusion of Forever qui rappelle Depression Cherry (il fallait bien qu’on mentionne cette œuvre d’art un moment) avec une production dont les instruments sont presque fusionnés les uns avec les autres et la voix qui se fond dans les synthés, comme des bras autour de soi. Finale nous offre une écriture plus expérimentale qui nous envoie des bribes d’images et de souvenirs : “Red sunglasses and a lollipop. See you dressed in the polka dot”. Et si Jeff Buckley vous manquait, vous retrouverez une progression façon Hallelujah dans le refrain de The Bells, ode folk vintage.

If it hurts to love you

Should I walk away ?

If it hurts to love

You better do it anyway

If it hurts too much

Well, I loved you anyway

Encore une fois la force de l’écriture se trouve dans des mots simples auxquels on s’identifie instantanément, on vous présente le grand Hurts to Love. Un sentiment déchirant qui devient supportable par la seule force du synthé de Victoria. Après tant d’émotions, on se retrouve bercé·es – par la même voix qui nous a bouleversé·es -, dans Many Nights. C’est Modern Love Stories qui finit à merveille cet opus avec une production magistrale et sombre. On y entend une référence à Cléopatre qui ne semble pas anodine puisque tous les instruments se rassemblent pour donner ce son omniprésent, divin, mais solaire. On termine comme on avait commencé, avec une guitare acoustique, surmontée d’un riff typique Beach House, dans le calme et la douceur. Le voyage est terminé lorsque retentit la dernière note de synthétiser dans nos oreilles.

 

Cet album, on pourrait le comparer à une comète qui traverse l’univers, un vaisseau qui infiltre l’espace-temps et dans lequel on flotte. C’est comme si on découvrait la flore spatiale des sentiments en chemin. On nous parle du désir de deux êtres qui s’aime, ou ne s’aiment plus, ou aimeraient s’aimer à nouveau. Comme deux planètes qui se tournent autour. Au fur et à mesure qu’on avance dans notre voyage, c’est la voix de Victoria qui nous accompagne, des synthés légendaires et les riffs de Alex, comme dans chaque album. C’est du très bon Beach House, finalement.

On retrouve leur atmosphère qu’on connaît bien qui les a propulsés comme le groupe dream pop de la décennie mais l’ambiance y est bien moins organique et beaucoup plus psyché. Des artistes meilleur·es quand il y a explosion que dans le calme, en tout cas sur cet album. Il faut dire que leur alchimie incroyable ne nous laisse pas indifférent·es, et qu’elle montre tous ses pouvoirs dans l’expérimentation. Plus qu’impactant sans manquer d’être somptueux et brillant. On se rapprocherait donc plus d’un Teen Dream ou 7 dans l’intention, comme on a pu déjà le mentionner. L’ADN du groupe reste prépondérant et ça ne manque pas de ravir les fans.

Alors, peut-on reprocher à Beach House de faire du Beach House ? Avec un son aussi particulier qui perdure à travers les années et dont la dream pop se reconnait entre mille, on ne pense pas. Il faut se laisser le temps d’apprécier le voyage, mais à l’arrivée, on sera toujours heureux·ses. Est-ce que 18 titres, c’est long pour un album ? Oui. On n’en retiendra pas tous les sons, mais on découvrira un peu plus à chaque écoute. On se laisse encore du temps pour apprivoiser cet album et lui rendre l’amour qu’il nous a donné – même après 9625 écoutes pour écrire cette chronique. Il ne dépassera peut-être pas Depression Cherry dans nos coeurs, mais il n’en reste pas moins un super album, au choix de pochette douteux certes, mais un album de l’espace tout de même.


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