Le voyage de KOKOROKO
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Auteur·ice : Victor Houillon
19/03/2019

Le voyage de KOKOROKO

Peu de chansons auront autant marqué 2018 de leur empreinte. Peu de chansons sont d’ailleurs reconnaissables aussi instantanément. Que ce soit chez votre pote hipster, dans un bar branché ou tout simplement chez vous avec YouTube en pilotage automatique, vous êtes forcément tombés sur Abusey Jonction de KOKOROKO. Mais qui se cache derrière ce nom énigmatique ? Après une année à faire languir les internautes en distillant du contenu au compte-gouttes, le collectif se dévoile un peu plus avec la sortie d’un EP éponyme. KOKOROKO, le voyage de KOKOROKO.

 

KOKOROKO, qu’est-ce que c’est ?

KOKOROKO, cela signifie avant tout “fort” en Urhobo, un dialecte nigérian. Et pour le coup, le mot est faible. Le collectif Londonien aux origines ouest-africaines, qui se définit du mouvement afrobeat, cite Fela Kuti, Ebo Taylor ou Tony Allen comme modèles. Dirigé par la trompettiste Sheila, la troupe est composée de huit artistes au total. Une trompette, donc, mais également un saxophone (Cassie), un trombone (Richie), une basse (Mutale), une guitare (Oscar), des claviers (Yohan), des percussions (Onome) et une batterie (Ayo). A l’image du collectif funk Ibibio Sound Machine ou du chanteur soul Jacob Banks, KOKOROKO fait partie de cette scène émergente qui combine avec brio influences londoniennes et origines africaines. Une esthétique fraîche qui vaudra à leur chanson Abusey Junction d’être érigée en fer de lance de la compilation We Out Here, ode au jeune jazz londonien orchestré par Brownswood Recordings.

 

 

KOKOROKO, ça sonne comment ?

Puisque ce fut pour nous tous le premier contact avec le collectif, autant commencer par Abusey Junction. La chanson de clôture de l’EP est un des morceaux les plus doux qu’il nous ai été donné d’écouter. A la fois relaxante et onirique, cette chanson en apesanteur est une douceur qui dessinerait un sourire satisfait sur le visage du plus froid des auditeurs. Basée sur une simple suite d’accords qui se répète en évoluant tout au long de la chanson au fur et à mesure que les différents instruments apportent les couleurs bleues et roses typiques du jazz, Abusey Junction parvient à garder ce fragile équilibre entre dépaysement et familiarité. La guitare d’Oscar, tout en subtilité, amène une touche européenne qui épouse les percussions et chants africains. Alors que les cuivres se lamentent avec une touchante mélancolie, il convient de mentionner Yohan, dont le jeu tout en retenue permet aux claviers d’enrober le tout, et Mutale, la fondation sans laquelle les instruments solistes ne pourraient briller.

On redoutait un peu que ce morceau ne soit qu’un succès esseulé, mais Ti De. La basse suave, les riffs délicats de la guitare et la batterie à contre-temps font penser à un autre acteur majeur du renouveau jazz, Khruangbin. A ceci près que, contrairement au trio américain, KOKOROKO bénéficie de l’apport de tout une troupe de musiciens plus smooth les uns que les autres. Loin des excès que l’on peut parfois déplorer dans le jazz, chaque instrument sait quoi faire et quand, la spontanéité ne tournant jamais au capharnaüm. Ti De conviendra aussi bien pour faire une sieste, se réveiller, prendre l’apéro au soleil couchant ou passer une soirée romantique. 

Réduire KOKOROKO à cette infinie douceur ne serait cependant pas leur faire justice. Car le collectif tient à prouver que le jazz est une musique dansante. C’est notamment le cas avec Uman, la compo la plus ancienne du groupe. Les ingrédients sont les mêmes, mais le cocktail se fait plus explosif. La guitare délaisse la rondeur pour du funk, la batterie gagne en présence, le synthé se pare d’une rythmique plus proéminente, et la trompette de Sheila se transforme en une explosion de leads foisonnants. On voyage toujours autant, mais on délaisse le kayak au profit d’une pirogue. Il suffit d’ailleurs de fermer les yeux une seconde pour ressentir la chaleur du soleil africain. Ajoutez un moteur et vous obtenez Adwa, la quatrième piste qui complète l’EP. Avec toujours ces claves et autres percussions qui confèrent une esthétique exotique au projet, le rythme dansant est cette fois-ci assuré par une association clavier / batterie que ne renierait pas un club house. Et c’est sur ce genre d’arrangements qu’on mesure les influences à la fois londoniennes (house) et nigérianes (afrobeat) revendiquées par le collectif.

 

 

Pur produit de la scène émergente londonienne, KOKOROKO balaye avec cet EP les doutes sur le fait qu’Abusey Junction eut été un heureux accident. Alors certes, le mystérieux algorithme YouTube a énormément poussé à la découverte de ce groupe. Mais tout comme Cigarettes After Sex avant eux, le collectif aura su se renouveler et ne pas décevoir. Si cela paraît simple, parlez-en à Boy Pablo, autre phénomène sorti de nulle part dont l’EP n’aura pas forcément été à la hauteur des attentes. Soyons clairs, KOKOROKO est à classer dans la catégorie de ces jeunes artistes qui font renaître le jazz, au côté des Kamasi Washington, Thundercat et autres Anderson .Paak. Voguez jeunesse, et soyez rassurés : le jazz ne sera désormais plus la chasse gardée de vos parents.

 

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