Lee Paradise signe la bande son d’un monde post-apocalyptique dans The Fink
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Auteur·ice : Marion Fouré
08/01/2021

Lee Paradise signe la bande son d’un monde post-apocalyptique dans The Fink

Ne vous méprenez pas en lisant son nom. Lee Paradise n’est pas la nouvelle sensation pop doucereuse du moment. C’est justement aux antipodes du paradis qu’il opère, en s’impliquant dans des projets artistiques plutôt obscurs. Après le rock frénétique de son groupe Hooded Fang et les vibes électro psychédéliques de son projet Phèdre, le canadien Daniel Lee, aka Lee Paradise, revient avec un nouvel album solo intitulé The Fink (Telephone Explosion Records), véritable voyage sonore au cœur d’un monde où le soleil ne brille plus et où les humains ont cessé d’exister…

En théorie, fin du monde et groove funky n’ont pas grand-chose à faire ensemble. Pourtant, de cette association surprenante, Lee Paradise a érigé un disque venu d’ailleurs, superposant grooves électroniques sophistiqués, synthés cosmiques criards et lignes de basse imposantes. Au-dessus des couches instrumentales distordues, une voix sinistre pleine de réverbération sonne le glas de l’humanité. Cette vision alarmante résonne comme une mise en garde de l’artiste, un dénouement potentiel auquel les dérives de la société moderne pourront nous conduire. Ce monde post-apocalyptique, Lee Paradise l’imagine comme un terrain désertique où la nature a repris ses droits en transperçant route et blocs de béton, derniers vestiges d’une époque révolue.

Une aura dystopique et inquiétante nous poursuit tout au long de ce recueil de 12 titres bouillonnants et indomptables. Malgré le caractère « cafardeux » du disque, l’artiste parvient à nous faire entrer dans une ronde macabre intergalactique et à nous faire vivre une expérience sonore quasi cinématographique. Cet effet intense résulte de la singularité musicale de Daniel Lee, où l’anticonformisme est roi. Pour apprécier son œuvre, il faudra nous affranchir des codes traditionnels de la musique, car Lee n’obéit à aucune règle prédéfinie. Il sera ensuite aisé de succomber au mélange savant d’influences musicales hétérogènes allant de la disco-funk des années 70, jusqu’à la dub, en passant par des expérimentations électro-acoustiques dignes de Benjamin Lew ou Cluster.

Comme les scènes d’un film ou les chapitres d’un roman, les 12 titres rythment avec agitation cette fiction sonore lugubre. Après un court interlude krautrock, Lee Paradise rentre dans le vif du sujet avec le groove maudit de Message to the Past qui s’intéresse à l’influence du passé sur nos comportements présents et à venir. Ses synthés stridents et sa rythmique imperturbable nous plongent dans un tourbillon transcendantal qui nous invite à onduler. On notera la courte descente de toms en introduction, faisant directement référence au titre I Have Known Love de Silver Apples. La même énergie malsaine se répand dans Tales to Tell et nous donne envie de taper du pied.

 

Le titre Maintaining Platitudes nous embarque quant à lui dans une atmosphère ethnico-psychédélique complexe avec sa rythmique ragga dancehall, sa ligne de basse massive et son riff de synthé hypnotique. Les paroles inquiétantes – « Run, run, run till the blood runs out! » – planent au-dessus de nous telle une sentence irrévocable. Avec A Present to Ponder, Lee tire la sonnette d’alarme avec des synthétiseurs hurlants. On comprend assez rapidement que l’humanité n’a plus d’avenir à force de reproduire bêtement les mêmes erreurs malgré les avertissements du passé. Cette alarme résonne d’autant plus sur Positive Manifestations avec des synthés toujours aussi agités, et même un saxophone surprenant qui vient ajouter une couche jazzy. Il n’y a plus rien à espérer selon l’artiste, alors autant danser les yeux fermés en attendant la venue de notre condamnation finale.

Boogie et Hollow Face sont des titres frénétiques dont la complexité sonore et rythmique nous plongent dans un état de transe. Le son a beau être confus et violent, cette cacophonie sauvage a le don de nous mettre le diable au corps.

Avec Medicinal Magic, l’artiste abandonne temporairement les rythmiques effrénées pour livrer un morceau oscillant entre obscurité et clarté où une guitare acoustique et la voix fantomatique de Lee émergent de manière inopinée au milieu d’un chaos sonore. Outersphere signe la fin de ce périple étourdissant avec une boîte à rythme agressive qui s’évapore progressivement pour laisser place à une plage instrumentale ambient presque apaisée.

The Fink est une œuvre intense et complexe qui ne plaira sans doute pas aux oreilles fragiles. Ce joyau sombre et dantesque s’attèle pourtant à nous délivrer un vrai message : la meilleure façon de vivre est de savoir que tout est éphémère, car la mort, elle, est éternelle !

 

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