Les albums qu’on n’a pas oubliés #2
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Auteur·ice : Charles Gallet
10/07/2019

Les albums qu’on n’a pas oubliés #2

L’activité musicale étant aussi foisonnante que diverse, même avec tous les efforts du monde, on n’a pas le temps de s’attarder sur tous les albums que l’on aime. Pour contrer tout ça, on a décidé de vous donner rendez-vous tous les mois avec une sélection d’albums qui ont retenu notre attention mais dont on n’avait pas pu parler. Acte II tout de suite.



Kompromat – Traum und Existenz (Thibaut) :Tout le monde adore les groupes-concept, qui oserait dire le contraire ? Quand deux artistes qu’on aime décident de monter un projet commun sous un nouveau nom, la hype est au sommet.
Kompromat est le nom du duo composé par Vitalic et Rebeka Warrior de Sexy Sushi. Une alliance qui paraît explosive sur le papier, mais qui se révèle beaucoup plus subtile qu’on peut le penser. C’est peut-être tout l’intérêt d’un tel duo finalement : adopter un style différent de ce que les artistes ont l’habitude dans leurs carrières solo, la proposition artistique est originale.
Traum und Existenz est un périple autant physique que psychologique. Le duo nous emmène dans de sombres boîtes berlinoises pendant les années folles de la techno. Techno revisitée en version acide avec la touche Vitalic tout de même reconnaissable. C’est ensuite un voyage mental car Kompromat a décidé de prendre toute l’énergie de la techno pour la canaliser dans des sentiments beaucoup plus mélancoliques, voire funestes (coucou Le goût des cendres).
L’album semble fataliste derrière des chansons en allemand qui, une fois traduites, ressemblent à des poèmes plaintifs. Tout est perdu, il ne reste que le son, le rythme. Celui-ci transperce l’ambiance suicidaire de l’album pour ramener à des choses simples : danser sur de la techno. Comme pour fêter la misère, Kompromat balance toute l’énergie électronique qu’ils ont à revendre sur un fond très sombre. La plupart du public est français, peut-être que le choix de la langue allemande permet alors de dissimuler la détresse palpable dans la voix de Rebeka Warrior.
En clair, c’est un duo très pertinent, un album qui choisit des pistes audacieuses pour rendre hommage à la mélancolie latente mais avant tout la culture d’un genre musical : la techno.


Chaton – Brune Platine (Charles) : Les gens heureux ne sont pas intéressants. On le dit comme on le pense, c’est dans la lutte et dans les aspérités que la vie trouve son intérêt. À ce titre, Chaton pourrait être un de nos chevaliers, le genre qui aide à niquer le quotidien. Brune Platine peut se voir comme une suite directe à Possible. Mais justement maintenant que tout est possible, que reste-t-il à accomplir ? Eh bien tout en fait. Chaton c’est l’antiegotrip, c’est le quotidien assumé dans tout ce qu’il a de plus réel. Le garçon traîne son spleen et sa douceur dans sa musique pour atteindre le sublime et nous toucher. Entre reggae, électronique et auto-tune maîtrisé, il nous entraîne en ballade sur dix titres. De Courchevel à Dimanche, le garçon touche juste à chaque track. Une science de l’épure, une facilité à transformer son quotidien en poésie, à s’amuser de la vulgarité pour la rendre élégante, à nous faire rêver sur des histoires simples et à nous amener à nous au travers de ses mots à lui. Un parler vrai, une sincérité de chaque mot qui touche au cœur. On se laissera notamment emporter par les grandioses Sans soda & sans glaçon et Ultime Intime. Chaton est de cette catégorie rare d’artistes qui ne laissera personne indifférent, on l’aime, on le déteste mais les réactions ne sont jamais tièdes. Pour nous Brune Platine est une beauté amère, un bonbon qui pique et qui fait monter les larmes. On n’en demandait pas plus.



Merryn Jeann – Merryn Jeann (Léa) : Sorti le 17 mai, Merryn Jeann, album éponyme de la jeune australienne est une petite pépite de sept morceaux marquant ainsi les débuts de la jeune chanteuse. On avait déjà croisé sa route suite à ses collaborations avec l’un de nos compositeurs français Møme, notamment dans le titre Aloha. Une voix qui n’est alors pas passée inaperçue, ajoutant tout son intérêt au titre électro. Dans ce premier recueil, et l’on parle bien d’un recueil tant les compositions, voix et paroles sont ici poétiques, Merryn Jeann et sa voix complètement hypnotisante nous emmènent de titre en titre au sein d’une embarcation d’émotions et de lyrisme. Dans cet album, on passe de moments calmes et sereins dans Floating Away et See Saw à des temps plus angoissants. Un peu comme lors d’un voyage en pleine mer, on est d’abord apaisé et serein puis l’angoisse monte au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans l’horizon, entouré par l’eau et ses profondeurs sombres. Une angoisse montante, qui nous coupe la respiration et nous fait chercher l’air, une sensation retrouvée dans les morceaux Canopy ou Out of the City-To Find Air. On retrouve ici un peu de Laura Marling ou encore Kate Havnevik, à savoir une voix intense qui nous procure une émotion brutale mais magnifique et qui nous prend aux tripes. On est ainsi frappé à chaque morceau par le calme voire même la froideur du ton et du rythme imposés par la voix de la chanteuse.


Kobo – Période d’essai (Pierre) : Après un passage remarqué dans l’émission de Fianso : Rentre dans le cercle, le jeune bruxellois Kobo livre avec Période d’essai son premier projet. On y retrouve un mélange quasi parfait entre mélodie et énergie. Ce qui n’est pas sans rappeler un autre bruxellois : Damso. Pas vraiment étonnant sachant que les deux rappeurs se côtoient et s’apprécient. Kobo n’est pas une pâle copie du géant bruxellois, loin de là ! Il est allé s’inspirer et transmet cette touche dans son univers, ce qu’il réussit à merveille. Période d’essai c’est dix-sept titres, ce qui peut paraître long quand on ne connaît pas l’artiste, mais avec Kobo on ne s’ennuie pas ! Aucun son ne se ressemble et pourtant on sait un fil conducteur que cela soit au niveau des thèmes : la drogue, l’amour et la réussite. Ou même au niveau musical. Un univers plus que plaisant dans lequel on se replongera avec grand plaisir.



Chelou – Out Of Sight (Joseph) : Cinq ans déjà que l’on suit chacune des discrètes apparitions de Chelou avec une joie peu commune. Le très secret anglais distille depuis ses débuts des bijoux adroitement ciselées qui n’ont cessé de hanter nos nuits.
Ne se limitant pas à un seul registre, le musicien alterne pistes folk épurées et tracks à l’aspect pop assumé et au tempo plus relevé sur lesquels il est difficile de ne pas se déhancher.
Out Of Sight voit Chelou rassembler ses deux mondes et livrer un album dont la production soignée structure les compositions et amplifie les mélodies intimes. Les paroles aussi personnelles que fédératrices permettent à l’ensemble de garder une cohérence nécessaire.
Plus fragile que jamais, la voix du chanteur ne trébuche pourtant pas une seconde et sait nous toucher au cœur. On le laisse naturellement bercer par les douze pistes, parfois mélancoliques, parfois nostalgiques mais toujours optimistes.


Judah Warsky – /Maintenant/ (Charles) : Avec Judah Warsky, les reworks c’est /Maintenant/ ! On parle de reworks car entre remixes et reprises, c’est une véritable réinterprétation des titres d’Avant/Après qui nous sont offerts ici, le musicien laissant les clés de sa musique à des collaborateurs et amis et une liberté totale pour la transformer. En résultent six titres aussi différents que complémentaires qui donnent une image différente à la musique différente du parisien. Ainsi Pierre III et Barbara Carlotti emmènent Before vers la nuit (et donc l’after), tandis que Lisa Li Lund passe de Molière à Shakespeare pour une version sublime et dépouillée de La Voiture Ivre qui devient The Drunken Car. Niveau émotion, impossible de résister à Aurore de St Baudel qui transforme Apporte-moi l’oubli en super piano-voix tout en pureté et douceur. Sarah Maison transforme quant à elle Je m’en souviendrai jusqu’à la fin de ma life en petit délire DIY absolument réjouissant et lumineux tandis que Maud Octallinn se conjure à Arthur Alfocea et ramène Les Oiseaux l’ont mangé dans les champs et les fleurs bercés par les bruits des oiseaux. Et qui dit Before dit After et c’est donc Ida Coen qui clôt ce bien joli exercice par une version sombre et entêtante d’After. Plus qu’un simple exercice de remixes c’est une ré-inteprétation, une réappropriation d’un univers que ces artistes exécutent. Six titres dont il faut profiter /Maintenant/.



Bon Entendeur – Aller-retour (Charles) : Parfois on a besoin de musique qui nous fait du bien. Une musique légère, qui donne le sourire et qui joue le rôle de pommade. Avec son premier album Aller-retour, Bon Entendeur nous offre l’album soleil de l’été 2019. De la musique champagne qui fait des bulles et fait bouger les pieds. Le trio prolonge ici le concept de leurs mixtapes mensuelles, continuant à mettre la culture française à l’honneur. Un album autant porté par l’amour de la musique que celle du cinéma (avec notamment Coup de Tête et Maria), baignant dans une nostalgie heureuse et un positivisme forcené comme une déclaration d’intention et une manière d’apporter un peu de bonheur dans un quotidien souvent gris. À l’écoute de cet album, on peut être sûr que le soleil percera sans problème le ciel gris des jours tristes, que ce soit à travers ses entrevues thématiques (avec Patrick Poivre D’Arvor, Frédéric Beigbeder et Pierre Niney) ou des titres peu connus de la culture française remis au goût du jour, notamment les superbes Vive Nous, La Rua Madureira ou encore L’amour joue au violon. Aller-retour est un album de voyage entre passé et présent, qui se promène entre les époques pour notre plus grand bonheur.


Vampire Weekend – Father Of The Bride (Charles) : Parmi les héros musicaux des années 2000, Vampire Weekend tient une place particulière dans nos esprits. Déjà parce que le groupe est depuis plus de dix ans de la bande originale de nos vies et surtout car il ne nous a jamais vraiment déçus. Et ce Father Of The Bride ne fera pas exception à la règle. Ezra Koening, désormais seul à la barre du bateau Vampire Weekend, laisse ainsi  exploser sa créativité, pour offrir un album qui semble à la fois familier mais qui désarçonne lors des premières écoutes. Comme si le logiciel Vampire Weekend avait été rebooté pour ne garder que des fines traces de ce qui avait été fait auparavant. Father Of The Bride est un album somme, un album ouvert sur les autres plus que jamais (avec notamment les participations de Mark Ronson, Daniel Haim ou Steve Lacy) qui parle du monde et son état de plus en plus étrange. Des expérimentations de Big Blue et Sympathy en passant par la country de Hold You Know, le groove de Sunflower ou les pépites pop que sont Harmony Hall ou This Life pour finir par  la mélancolie de Jerusalem, New York, Berlin, Father Of The Bride est un album qui se promène dans les pensées de son auteur autant que dans les genres musicaux. Une œuvre aussi baroque que psychédélique pour un résultant brillant et attirant qui ne lasse jamais même après de très nombreuses écoute. De quoi prolonger l’histoire d’amour avec un groupe qu’on a pas fini d’adorer.


Tyler The Creator – IGOR (Charles) : Il nous avait prévenu lorsqu’il a annoncé la sortie de son nouvel album, IGOR serait un album à nul autre pareil. Connaissant le garçon, le suivant depuis bientôt dix ans, on avait tendance à faire confiance à Tyler The Creator. Alors on a suivi son conseil et on s’est plongé dans IGOR. On a bien fait. Album unique, véritable expérience de quarante minutes, un conte sonore dans lequel on se perd et dont on ne ressort pas vraiment indemne. Tyler The Creator continue de construire son propre mythe en déconstruisant ce qu’il avait pu faire auparavant. Pas de réel single, pas de réelle structure, mais un album comme nul autre pareil, dense, puissant et rageur en douze titres comme douze étapes de la très cinématographique IGOR’S THEME pour finir sur la soul faussement lumineuse de ARE WE STILL FRIENDS? L’album est une visite dans l’âme de Tyler Okonma, que ce soit dans sa recherche permanente d’expérimentations sonores, de nouveautés et de mise en danger (il suffit d’écouter I THINK qui semble contenir quatre chanson en une) tout autant que dans ces vertiges amoureux (EARFKAQUE), dans ces déceptions douces amères (I Don’t Love You ), sa colère (la très intense NEW MAGIC WAND) et sa recherche de compréhension. Avec IGOR, Tyler The Cretator trace le chemin douloureux d’une relation amoureuse ratée comme une thérapie personnelle et en profite pour nous offrir l’un des albums les plus prenants et fascinants de ce début d’année 2019.


TEPR – Technosensible (Thibaut) : Avec Technosensible, TEPR offre un nouvel album qui ne ment qu’à moitié sur la marchandise : si le disque n’a rien de techno il joue tout sur  la sensibilité et les émotions procurées par la musique électronique. L’album reprend toute l’essence d’une EDM adolescente avec cette touche d’électro à la française, cette capacité à aller chercher dans chaque genre de nouvelles idées et créer une identité forte. Le producteur français utilise les sons les plus synthétiques et artificiels au service de composition explicites : l’émotion, la nostalgie, la joie. Si une écoute en surface ne révèle pas grand-chose, les mélodies répétées sur plusieurs écoutes finiront par avoir raison de vous, le potentiel de Technosensible apparaîtra au grand jour. Le single Helium, en collaboration avec Penguin Prison, rappelle les grandes années de Deadmau5, une house progressive qui ne se refuse pas quelques drops minimalistes, frontaux et pourtant subtils dans les sentiments qu’ils transmettent. Certains passages plus agressifs comme Mindfunk font des clins d’œil aux collègues tels que Panteros666 ou Surkin. Le mot d’ordre reste celui de danser, mais aussi et surtout de ressentir. Pour certains, la B.O. d’un été, pour d’autres un retour aux sources d’une musique électronique qui se tourne vers l’essentiel. TEPR est résolument sensible aux sentiments que transmettent un album plus qu’à une démonstration technique, Technosensible est un rafraîchissement et le public électro a toujours soif.

 

Charlie Cunningham – Pemanent Way (Pierre-Yves) : Deux ans après le très réussi Lines qui l’avait propulsé sur le devant de la scène, le britannique Charlie Cunningham revient avec un nouvel album, baptisé Permanent Way. Après ses études à Oxford, Charlie Cunningham part vivre deux années à Séville. Il s’y imprègne de la culture ‘flamenco’, une influence que l’on retrouve fortement sur la plupart de ses titres, et tout particulièrement sur ce dernier album avec, par exemple, Don’t go far et le magnifique Interlude (Tango), qui marque une rupture complète avec les autres morceaux. L’album, qui explore les incertitudes de la vie, s’ouvre sur la chanson éponyme Permanent Way, où s’entremêlent des airs de synthé et de guitare. Ce premier titre annonce la couleur de l’album : un projet très intimiste qui aborde des thèmes comme le besoin d’intimité et d’amour, mais aussi la recherche d’espace et d’indépendance. La seconde moitié de l’album nous fait découvrir une facette plus douce de l’artiste. Les tons sont plus calmes et l’on ressent plus de fragilité, de mélancolie et de douceur dans la voix du jeune britannique. L’artiste sera à découvrir au Café de la Danse à Paris le 11 Octobre à Paris et à l’Ancienne Belgique le 13 Octobre à Bruxelles mais le concert est d’ores et déjà complet.

 

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