“Il n’y a rien à faire, c’est quand on est triste qu’on écrit les meilleures chansons” nous dit la chanteuse. Annabel Lee, c’est d’abord une voix, celle d’Audrey, qui se superpose sur des mélodies mélancoliques et rythmées de Hugo et Vankou. Drift fait partie de cette collection d’albums confectionnés pendant la pandémie de covid. Quand la vie quotidienne et le chaos du monde sont devenus source d’inspiration, et la composition un exutoire. Si l’influence des nineties reste indéniable dans le style d’Annabel Lee, les 3 musicien·nes ont cette fois-ci troqué le son garage de leur adolescence pour un ensemble qui reflète mieux leur patte.
Pour Drift, le groupe allie chansons plus agitées comme High Anxiety, à d’autres plus calmes comme 247, ou encore Comedy, qui explose en un coup. Afin de retranscrire le panel d’émotions ressenties en concert, le groupe a fait le choix d’enregistrer un album presque exclusivement en live, ce qui résulte en une énergie palpable et une collection de sons uniques.
Nous avons eu l’occasion de discuter avec les membres du groupe lors d’une interview à Bruxelles, quelques jours avant la sortie de Drift.
La Vague Parallèle : Dans quel état d’esprit vous sentez-vous avant la sortie de Drift ?
Audrey : On est assez excités, le premier single a été pas mal reçu, que ce soit par la presse ou par la radio. Et puis nos proches nous ont félicités maintes et maintes fois donc on a reçu un accueil assez chaleureux pour ce morceau. Et donc on a hâte de dévoiler le reste, évidemment l’album a déjà fuité chez papa et maman et apparemment c’est un bon disque. (rires)
Vankou : On a déjà fait deux petites tournées en France et on a joué les nouveaux morceaux, donc on a déjà eu un retour du public, on sait que c’est un bon album, on a bien bossé dessus.
LVP : En plus votre album précédent était sorti juste avant le confinement, vous êtes un peu plus confiants cette fois-ci au niveau de la promo ?
Audrey : Ouais… en fait j’attends un bébé pour le 3 juillet. (rires)
LVP : Ah, félicitations !
Audrey : Donc c’est une bonne nouvelle évidemment, ce n’est pas comparable au covid mais dans le planning ça complique un peu les choses. Donc on va faire quelques concerts, on termine par la release party au Botanique le 27 avril et puis on va faire une petite pause histoire que je puisse passer un peu de temps avec ma nouvelle famille et reprendre des forces. Et puis on verra pour la suite.
LVP : Et elle a commencé quand l’écriture de cet album ?
Hugo : Ça a commencé plus ou moins au début de la crise du covid.
Vankou : Il y a toujours des petites chansons qui trainent dans la tête d’Audrey, donc je pense que dès qu’on a eu fini d’enregistrer l’album il y avait déjà des petites pistes que Audrey avait établies de son côté. Mais la majorité de la composition on l’a faite pendant le confinement. On avait cet album avec lequel on ne pouvait ni tourner ni faire de promo, le seul truc qu’on pouvait faire c’était de répéter.
Hugo : Et c’était le meilleur moment de la semaine.
Vankou : Ouais c’était vraiment l’évènement, c’était cool de pouvoir voir les copains, on se prenait à boire, à grignoter et puis on faisait de la musique, sans pression, sans deadline. Si il faut retenir un truc positif du covid c’est ça, sinon on ne l’aurait pas fait de la même manière et surtout pas à ce moment-là. Au final c’était assez satisfaisant de pouvoir composer et de faire des nouveaux trucs.
LVP : C’est vraiment un album qui a eu le temps de murir.
Audrey : Oui clairement !
LVP : On ressent d’ailleurs une évolution dans votre style, hormis le temps, est-ce que quelque chose a changé dans votre processus créatif ?
Audrey : On a plus composé à trois que moi toute seule, alors qu’avant j’arrivais vraiment avec une maquette qu’on travaillait ensemble ensuite. Là on a pu jammer et de chouettes riffs en sont sortis. Je pense notamment à Spiders and Monkeys, on répétait et Vankou devait aller pisser, il nous a lancé “quand je reviens je veux un tube” (rires). Dix minutes plus tard on avait un couplet et un refrain et puis c’est parti.
Vankou : Ce qui est marrant c’est qu’on a beaucoup plus travaillé comme quand on était ados et qu’on pouvait faire de la musique. Évidemment on était dans des groupes différents, mais c’était vraiment : on allait au local de répet le samedi sans savoir ce qu’on allait faire, il n’y avait aucune pression et on faisait de la musique. On a retrouvé ce processus qui est assez jouissif parce qu’il est improvisé et je pense que ça a clairement influencé la composition de l’album. Et puis il y a eu ce contexte du confinement et une direction qui avait déjà été amorcée vers la fin de l’album précédent. On voulait quelque chose avec un peu plus de gravité.
Audrey : Et puis la musique a quand même fort évolué avec moi aussi, j’ai fort changé depuis qu’on a commencé. Avant j’étais célibataire, j’avais plus de boulot, j’étais un peu comme une adolescente et maintenant j’ai plus des questionnements d’adulte et ça se ressent dans les textes et les compositions.
Hugo : Et puis les membres ont changé, moi quand je suis arrivé vous m’aviez dit directement que vous ne vouliez plus rester sur du garage. Et puis le groupe a vieilli, ce qui est une bonne chose.
Vankou : Sauf pour ta sciatique. (rires)
LVP : L’influence des nineties est très évidente dans votre musique, est-ce que c’est une époque à propos de laquelle vous vous sentez nostalgiques ?
Audrey : Oui moi je suis clairement nostalgique de l’époque MCM, MTV et de tous ces clips à la télé.
Vankou : Et puis c’était notre adolescence donc on est clairement nostalgiques de cette époque-là aussi. Je pense qu’on romantise beaucoup, je suis plus heureux maintenant que quand j’étais adolescent mais c’est nos premiers amours, c’est quand on commence à faire de la musique, il y a des moments qu’on n’oubliera jamais dans cette période-là. Et vu que c’est la bande originale de ce moment-là de notre vie, inévitablement ça nous rend super nostalgiques et ça nous influence créativement . Nous on parle souvent de Weezer ou Nada Surf pour le côté mélodique mais c’est aussi des albums de Nirvana qu’on connait par cœur ou Smashing Pumpkins. C’est des musiques qui nous ont forgé et qu’on avait l’impression d’être les seuls à connaitre.
Hugo : C’est vrai qu’à l’époque quand tu voyais quelqu’un avec un t-shirt Nirvana tu te disais “lui ça va être mon pote”.
Audrey : Après on aime aussi des trucs un peu moins rock des années 90, je pense notamment à Sheryl Crow qui moi m’a influencée dans mes compositions. Des chansons plus pop avec une mélodie qui reste en tête.
Vankou : En plus j’ai l’impression que ces derniers temps il y a comme un petit revival des années 90, c’était pas calculé mais ça tombe bien pour nous.
Hugo : Oui quand on regarde les sorties actuelles c’est vraiment cool parce qu’on retrouve des références à cette période de groupe plus jeunes, et ils le font parfois même mieux qu’à l’époque.
LVP : Justement, est-ce que vous avez des influences plus actuelles ?
Audrey : Je sais pas si on a tellement d’influences actuelles. Moi quand j’ai commencé le groupe en 2007 j’avais vraiment une idée de ce que je voulais faire, j’admirais beaucoup Courtney Barnett pour son écriture, ses paroles très simples et les moments où elle parle plus qu’elle ne chante. Je voulais vraiment faire un groupe dans ce style-là, très pop garage avec des influences bien définies. Mais maintenant j’ai l’impression que c’est beaucoup plus flou et qu’on a trouvé notre style. Évidemment on n’est pas les seuls à faire ce genre de musique mais c’est moins copié-collé.
Vankou : Après si tu regardes ce qu’on écoute dans le van en tournée, c’est l’algorithme le plus éclaté au monde. On peut chanter les Spice Girls en cœur comme écouter un album de black metal. On écoute beaucoup de punk rock aussi, ça influence sûrement ce qu’on joue d’une certaine manière mais ce n’est pas conscient. Dans cet album on a eu l’impression qu’on partait parfois dans tous les sens parce qu’il y a des morceaux beaucoup plus énervés que ce qu’on faisait avant et d’autres beaucoup plus calmes.
Audrey : D’un côté on avait peur que le public ne s’y retrouve pas, mais d’un autre côté on s’est dit qu’au moins ils n’allaient pas se faire chier, parce que tous les morceaux sont différents.
Hugo : Et on s’est quand même mis des limites, on n’a pas fait du ska non plus. Même si j’ai essayé. (rires)
LVP : By The Sea est le premier single que vous avez sorti pour cet album, est-ce que vous pourriez m’en parler un peu plus ?
Audrey : Moi quand j’écoutais l’album au casque, c’est le morceau qui m’a le plus touché. J’ai eu les larmes aux yeux, c’est chaud de dire ça de sa propre musique mais je trouvais que ce morceau était vraiment bien.
Vankou : Quand on l’a enregistré on n’avait pas en tête que ce morceau allait être notre single. Quand on a enregistré en studio avec le producteur Amaury Sauvé, il essayait vraiment de capter les émotions donc on enregistrait live. Et dans ce live, l’émotion du morceau est vraiment bien ressortie, on ne s’attendait pas à un truc comme ça. Quand on l’a écouté dans la régie c’était comme une évidence.
Hugo : Il faut savoir aussi que ce morceau a failli ne pas se retrouver sur l’album, parce qu’on n’arrivait pas à trouver la bonne tonalité pour la voix d’Audrey. Et c’était un enfer parce que c’est un morceau qui a vachement beaucoup d’amplitude. Mais moi je voulais absolument qu’on le fasse.
Vankou : On a du faire dix versions différentes avec 10 tonalités différentes, on se disait que c’était un morceau qui ne fonctionnerait pas en groupe. Heureusement qu’Hugo nous a poussés à le faire. Et puis stratégiquement il y a aussi un côté très fédérateur dans ce morceau parce qu’il est mélancolique et que chacun peut émettre ses propres projections.
LVP : On sent que la mélancolie c’est quelque chose qui vous porte dans cet album.
Audrey : Oui, il y a déjà le fait que c’est un album covid qui se ressent, et puis il n’y a rien à faire, c’est quand on est triste qu’on écrit les meilleures chansons.
Vankou : Personnellement c’est un des sentiments qui me touche le plus. C’est le truc dans lequel je me projette le plus et dans lequel je m’englobe pendant longtemps.
Audrey : C’est un sentiment qui est tacite mais qui est présent et qui n’est pas aussi fort que la dépression ou la déprime.
LVP : Du coup pour vous il en ressort quelque chose de positif ?
Vankou : C’est un sentiment qui te fait te sentir vivant, mais c’est problématique quand tu restes bloqué dedans.
Hugo : Moi c’est clairement la musique qui me touche le plus, parce que ça m’amène dans cet état particulier qui est plutôt positif.
LVP : Un petit mot de la fin ?
Audrey : Achetez le disque et venez nous voir en concert ! (rires)
Le groupe sera en tournée :
- Le 25 mars à Bruxelles – La Brasserie de l’Ermitage
- Le 8 avril à Marbehan – Les Nuits Éclectiques
- Le 22 avril à Paris – Point Éphémère
- Le 27 avril à Bruxelles – Les Nuits Botanique
Ma playlist est aussi bipolaire que moi. J’aime le metal, le sang et les boyaux, tant que ça reste vegan.