Les Vieilles Charrues : un arc-en-ciel d’émotions sous la pluie et le soleil bretons
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Auteur·ice : Coralie Lacôte
24/07/2021

Les Vieilles Charrues : un arc-en-ciel d’émotions sous la pluie et le soleil bretons

Alors que les concerts reprennent vie cet été, l’envie nous a pris d’aller se plonger le temps d’un week-end au cœur des Vieilles Charrues, digne festival historique breton. Si l’édition 2021 s’annonçait réduite avec sa seule scène et ses trois concerts par jour, le format l’aura rendue cosy et chaleureuse. Après tout, qui n’a jamais rêvé d’un festival sans attente aux stands, à l’espace pour danser dans la foule et à la proximité avec les artistes ? S’y ajoutant une programmation de haute volée, de Johan Papaconstantino à Prudence et L’Impératrice, tout en passant par Last Train, Woodkid ou encore Philippe Katerine, il ne nous en aura pas fallu plus pour filer à Carhaix.

Et pour débuter ce week-end en beauté, c’est Johan Papaconstantino qui foule la scène le premier, accompagné de ses deux musiciens et son désormais célèbre bouzouki. À poser les yeux sur les festivalier·ères autour de nous, on s’aperçoit vite que quel que soit l’âge, le contretemps fait dodeliner les têtes. Emporté par le rythme dès les premières notes, le public se laisse conquérir sans hésiter par l’artiste aux influences grecques aujourd’hui bien installé dans la scène indie française. Dans la foule, ça se regarde, ça se sourit et ça danse les bras levés, tels des appels au soleil qui y répondra, dans un cri unanime émergeant de la fosse, lorsque ses rayons viendront lécher la scène dans les premières minutes du set. Alternant entre ses anciens morceaux chantonnés par le public, et de nouvelles pépites à venir plus groovy et aux accents hip-hop dans le phrasé, on savoure l’agréable étonnement de l’artiste à découvrir que les paroles de son dernier titre, Tata, sont déjà rentrées dans les têtes. Navigant avec aisance entre des Lundi, J’sais Pas, Pourquoi tu cries ??, et sa toujours parfaite reprise des Mots Bleus, on sortira de ce concert et ses deux rappels enflammés avec une certitude : à trépigner d’impatience de le retrouver, personne n’a délaissé Johan Papaconstantino ces deux dernières années, et son retour aura su égayer l’été et les cœurs pour le week-end.

© Nico M

Prenant le relais, Prudence fait alors son entrée sous les “you make my heart beat again” de son titre Beginnings, comme une déclaration d’amour au public retrouvé après un temps d’absence. La chaleur monte d’un cran lorsqu’elle annonce “Je m’appelle Prudence et le soleil est là : je suis tellement heureuse d’être ici”, et le set décolle instantanément quand ses deux musiciennes entrent dans la partie. De morceaux aux influences plus hip-hop (Never With U, Pretty), à l’outro très électro de More Love – Don’t Go Home, ou encore la pop parfaite de Here & Now, Prudence sillonne à travers les tubes déjà connus et scandés par la foule. Forte de son expérience scénique, on sent rapidement que l’artiste n’a pas besoin du public pour la porter. Face à nous, sa maîtrise est totale et il est difficile de ne pas y adhérer. D’envolées aériennes à des sonorités parfois plus profondes, Prudence sait où elle va et emporte Carhaix avec elle, jusqu’à transformer le champ en véritable dancefloor enflammé sur un dernier Good Friends. Tandis qu’elle finira par quitter la scène le sourire aux lèvres en lançant des baisers dans les airs, il ne nous en faudra pas plus : Prudence nous aura charmé·es jusque sous les os.

Et pour clore cette première soirée, on se livre à la nuit avec Woodkid. Avant que le concert ne commence, l’ambiance est posée : les écrans s’éteignent et sur scène des lumières rouges clignotent. Comme un rythme cardiaque que l’on aurait ralenti, l’atmosphère s’alourdit sous un sound design pesant. Si l’on ne s’attendait plus à se faire surprendre en ce samedi de mi-juillet, nous avions bien tort. Dès l’introduction, les lumières se font vives et percutantes, des voix résonnent dans un écho de rite astral, nous sommes happés. C’est lorsque les musiciens font leur entrée, suivis de Woodkid, que la scénographie prend tout son sens. Sur une passerelle au-dessus d’eux, l’artiste se confond avec les images projetées et semble léviter.

© Nico M

Ouvrant audacieusement sur l’épique Iron, il n’en faudra pas plus à la foule pour décoller. Qu’il s’agisse des projections vidéo grandioses, de la scénographie ou de la musique, tout est minutieusement réfléchi et construit. Le hasard n’a pas sa place ici, et face à cette maîtrise absolue, nous restons parfois bouche bée jusqu’à ne plus pouvoir bouger, même lorsqu’il s’agit d’applaudir. Plus qu’un concert, nous sommes face à un véritable spectacle. En chef d’orchestre, Woodkid mène le set, alternant entre moments d’émotions et d’explosions, comme avec I love you dont la montée en puissance culminera par un appel à hurler.

Le public, emporté, ira même jusqu’à sommer les derniers spectateurs bavards de se taire sur Brooklyn et The Golden Age. Le concert s’achève par un long rappel sur un Run Boy Run aux chœurs mémorables. Remerciant la foule, Woodkid termine de réveiller les esprits : “Cette année se joue la santé des festivals, s’il vous plaît venez, jouez le jeu, prenez vos billets, vous êtes géniaux”. Sur ces derniers mots salués par une ovation, les festivalier·ères, nous compris, auront bien du mal à remettre les pieds sur terre et continueront de chanter les chœurs du dernier titre jusqu’à la sortie. 


© Nico M

Deuxième jour, deuxième ambiance. On a sorti notre petit blouson en cuir pour rester dans le thème et accueillir Last Train. Le ciel menace de s’écrouler à chaque instant, mais Carhaix a choisi d’enfiler ses bottes en caoutchouc et de résister. Après tout, les Vieilles Charrues ont déjà vu défiler des années de météo capricieuse, et c’est finalement avec émotion qu’on se dit que cette édition particulière ressemblera aux précédentes, au moins sur certains points. 

© Élodie Le Gall

Connaissant les Alsaciens en véritable tornade sur scène, nous devons avouer que nous comptions les mois avant de retrouver en live ce rock brut et si sincère. Suivant une entrée en scène sous un bouillant “Nous sommes Last Train, est-ce que vous êtes prêts ?”, il faudra quelques titres de chauffe pour réveiller la foule dominicale, qu’on sentira finalement décoller avec les premières notes de basse de Disappointed. Sillonnant entre électricité frénétique et temps plus calmes, le groupe sait en un instant nous rappeler au cocktail explosif qui nous touche particulièrement chez eux : une infatigable énergie couplée à leur complicité émouvante.

Attisant les cris, puis délaissant son micro sur l’emblématique Fire, Jean-Noël, au chant, secoue le public en laissant sa voix se jeter sans filtre dans la fosse en transe, avant de clore l’incandescent The Big Picture sous une bruine salvatrice et dans un bain de foule déchaînée. Sans déroger à la tradition, les quatre garçons termineront par se prendre dans leurs bras sur scène, alors qu’on se dit que, nous aussi, on déchargerait bien l’intensité du moment en faisant des câlins aux festivalier·ères autour de nous.

© Élodie Le Gall

À 20h45, c’est désormais au tour de L’Impératrice de se saisir de la scène pour présenter son second album Tako Tsubo sorti au printemps dernier. Alors que le groupe a écumé de nombreuses salles et festivals, c’est leur première fois à Carhaix, un “rêve de gosse” devenu réalité et auquel nous sommes ravi·es d’assister. 
À l’image de leur album, le set commence par Anomalie Bleue. Dès les premières mesures, les nappes synthétiques donnent les couleurs de l’instant à venir et nous saisissent. Dans leurs costumes signatures conçus par Salut beauté, les six membres du groupe (Flore, Tom, Achille, Charles, David et Hagni) s’emparent de l’espace et conquièrent un public qui les estimait déjà. Dès le deuxième morceau, le mot d’ordre est donné : “N’hésitez pas à devenir fou”. Pari lancé ou maxime à méditer, nous ne manquerons pas de garder précieusement en tête ces mots qui nous sont confiés. 
Pendant plus d’une heure, les morceaux du nouvel opus s’enchaînent, mélangés aux anciens tubes devenus cultes. Submarine, Hématome, Erreur 404, Peur des filles, Voodoo ?l’envie de danser est irrésistible. Les ambiances et les couleurs se mélangent, élaborant ainsi un savant entremêlement disco, pop et funk, auquel le public, vendu comme de bons danseurs, adhère avec plaisir. Si leur musique donne le sourire, elle n’en est pas pour autant naïve. C’est sans doute l’une des forces de L’Impératrice : des convictions sublimées par la production. 
Complices, les membres du groupe s’alternent sur le devant de la scène. Nulle vanité n’est de mise ce soir, à la place, la joie touchante de se retrouver et de partager l’instant présent ensemble. 
Alors que l’on aurait aimé danser avec elleux toute la nuit, le concert parfaitement maîtrisé se termine et le groupe qui a enflammé la foule quitte la scène sous les acclamations d’un public hautement conquis. 


© Olivier Roué

De L’Impératrice, passons, pour terminer cette soirée en beauté, à sa majesté Katerine. Alors que le ciel se montre toujours aussi inquiétant, le concert débute sous les acclamations d’un public déjà convaincu. Dès l’introduction le ton est donné : sous couvert de sérieux, soyons absurdes, si ce n’est l’inverse. Tandis que résonne le célèbre et grandiloquent Tannhaüser : ouverture de Wagner, Katerine déguisé en roi fait son entrée.

© Nico M

Ce qui pourrait être officiel est déjà contrebalancé par son veston bleu à poils longs, mais également par la scénographie : une installation en forme de nez trône au milieu de la scène, entourée de doigts gonflables disséminés ça-et-là. Et c’est par les narines que le tant attendu Philippe Katerine fait son entrée, accompagné de ses musicien.ne.s : Elise Blanchard, Gabriel Gosse, Ann Shirley, Louis Delorme et Adrien Soleiman. Immédiatement, le chanteur-performeur s’empare de l’espace scénique. En maître de cérémonie ou en bête de scène, il triomphe, et ce soir, sa mission est claire : “faire de nous le dernier village encore debout dans l’Hexagone”. 



Pendant un peu plus d’une heure, les tubes s’enchaînent, chantés à tue-tête par la foule : Stone avec toi, Louxor ou encore La banane, laissant ainsi place à des genres musicaux variés : de la pop, au rock, en passant par des nuances hip hop sur fond d’autotune et des influences plus électroniques. 
Ce dimanche soir, Katerine aura ainsi laissé entrevoir un personnage complexe mais attachant, loufoque et brillant. Qu’il s’agisse de la musique, de la scénographie ou de l’ambiance, le spectacle aura été maîtrisé à la perfection et c’est sur ce “moment parfait” sous la pluie que s’achèvera notre expédition au plus célèbre festival breton. 


© Élodie Le Gall

Article co-écrit avec Joséphine Petit

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