L’hiver éternel de winnterzuko
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Auteur·ice : Arotiana Razafimanantsoa
05/04/2023

L’hiver éternel de winnterzuko

Un septième pas, une septième prouesse, un septième projet en l’espace de deux ans seulement. WINNTERMANIA est la nouvelle pièce maîtresse dans la carrière de winnterzuko. Pour mieux la découvrir, on vous invite à franchir avec nous une fenêtre temporelle, comme celle qui a permis à John Titor de remonter le temps et d’ainsi quitter l’année 2036 pour se retrouver en 2000. À travers cette ouverture temporelle, nous allons parcourir plusieurs années en nous accordant quelques arrêts nécessaires. Plus on avancera, plus le froid persistera car on se rapprochera du monde dans lequel winnterzuko a toujours évolué, un monde où l’hiver n’est jamais fini. Un hiver sans neige, teinté de violence et de misère mais aussi d’amour et de reconnaissance.

De la guerre vers l’Après 2036

Premier arrêt : décembre 1994, le début d’une « guerre oubliée sur laquelle l’Occident ferme les yeux ». L’histoire de winnterzuko commence bien avant sa naissance. Si la guerre est un thème très récurrent dans sa musique, il a laissé un indice de taille sur ses origines dans SYNCHRONICITY en reprenant un extrait du JT de 20 heures de France 2 (daté de novembre 2002). Il apporte même une indication supplémentaire dans 8H36 en évoquant un deuxième camp de réfugié en Pologne. Ce qui est sûr c’est que depuis petit, winnterzuko a connu les larmes – « j’avais quel âge quand tous les soirs j’avais les joues grave humides ? » (DEVIL JIN) – et son hiver éternel a commencé lorsque « dehors il y avait des tanks, il y avait des soldats » (SUZUKI). Même si WINNTERMANIA aborde des sujets que ses auditeur·ices ont souvent entendu dans ses autres projets – des thématiques qui le définissent et qui marquent les contours de son univers -, cet album est aussi le carnet de bord d’un jeune réfugié de guerre qui a puisé dans les souvenirs de son passé pour enrichir sa plume et révéler son authenticité.

Une rafale de vent nous fait avancer alors que plusieurs images se défilent : l’arrivée de winnterzuko en France, sa mère qui se démène pour faire vivre sa famille, un père violent puis absent, des années entières en HLM, un petit collégien néophyte qui se lance dans la musique, et puis… La Machine du Moulin Rouge entièrement remplie le soir du 21 mars 2023, des CD sous une cover réalisée par Maxim1zer et Yevart17 dans les rayons de la FNAC, une mise en avant sur les plateformes de streaming et leurs réseaux sociaux. winnterzuko a probablement raison lorsqu’il compare sa vie à un film. Il vient de loin comme GEARLESS Joe, le principal protagoniste de l’anime Megalo Box qui a d’abord combattu sur des ring dans des bidonvilles avant de devenir un adversaire redoutable. Pour se rendre compte de la fulgurance de winnterzuko, il nous faudra effectuer d’autres arrêts express dans le temps, de ses quelques morceaux publiés sur Soundcloud et YouTube en 2018 jusqu’à son #SpotifyWrapped avant la sortie de WINNTERMANIA.

Le 2 décembre 2020, c’est un winnterzuko confiant qui partage en story les statistiques de son single Envy sorti quelques jours avant (un total de 26 streams). C’est l’un des premiers morceaux qu’il a distribué sur les plateformes de streaming et pourtant il nous révèle dans DEVIL JIN qu’il était sur le point d’arrêter le rap en 2020. Se sont ensuite enchaînés plusieurs projets tout au long de l’année 2021 : Gearless Mania, 2036, 2036+4 et Dystopia avec Beamer. Cette productivité lui a permis d’approfondir son univers musical et de faire la rencontre d’un genre musical très spécifique qui était en pleine émergence en France : l’hyperpop. À cette étape du voyage, il est tout à fait normal de sentir quelques secousses comme si on était sur un bateau en train de chavirer. C’est ce qui est arrivé dans le monde du rap. Avec 2036, winnterzuko s’est rapidement distingué pour devenir l’un des propulseurs de la New Wave en France, aux côtés d’autres rappeurs comme Khali ou So La Lune qui ont sorti des projets tout aussi significatifs pour leur carrière au cours de la même année (LAÏLA pour Khali et sept EP consécutifs du côté de So La Lune). Ce n’est donc pas étonnant de les retrouver en feat avec zuko dans WINNTERMANIA, sans oublier Realo et wasting shit. On est en fin 2021 et winnterzuko nous dévoile un #SpotifyWrapped époustouflant qui vient récompenser tout son travail : 657k streams et 40k auditeurs. On entre dans une nouvelle ère : l’Après 2036.

Si tout cet engouement a été soudain et totalement inattendu pour le rappeur – « quand je guettais les stats tous les jours alors qu’il n’y avait rien à voir » (JE SUIS MUSIK) – il n’était pas prêt pour la suite… Quelques temps après la sortie de VON, son seul projet en 2022, il s’est retrouvé sur la chaîne du fameux youtubeur que quasiment tous les adeptes du rap connaissent : Le Règlement. En très peu de temps, son nom s’est répandu dans toute la France et son nombre d’auditeur·ices s’est multiplié comme il ne l’aurait jamais imaginé. Il finit donc 2022 avec 18,8M de streams et 597k d’auditeurs sur Spotify. Rendez-vous en décembre 2023 pour découvrir les fruits de WINNTERMANIA

Quand la transparence règne sur l’egotrip

Si winnterzuko y traite des sujets qui nous sont désormais familiers, qu’est-ce qui différencie WINNTERMANIA de ses autres projets ? Il nous a déjà démontré que c’était un avant-gardiste qui a bousculé le rap game en kickant sur des prod futuristes, mais cette fois-ci il vise encore plus haut. winnterzuko a pu compter sur l’ingéniosité de 11 beatmakers différents : koboi, Tony Seng, vilhelm, Amnezzia, Guapo du Soleil, Louis Marguier, mei, bademe, abel31, 143 et wasting shit. Avec leur contribution, il a réussi à créer un fil conducteur autour de productions hyperpop et eurodance en apportant une touche très personnelle : son histoire, son authenticité. Sa musique nous propulse vers le futur tout en nous plongeant dans une nostalgie tenace, celle qui l’a accompagné – et l’accompagne toujours – tout le long de son évolution. Il partage son parcours de vie et expose ses ressentis avec une transparence totale. Bien que l’egotrip soit une attitude très fréquente dans le rap, winnterzuko n’hésite pas à mettre son ego de côté pour laisser transparaître son humilité – « j’mets la couronne sur la tête et ça m’va as-p » (SUZUKI) – et reconnaît le rôle de ses proches dans son ascension – « j‘suis avec Dou-mama […], j’compte sur mon frérot, j’compte pas trop sur la chance » (GEARLESS).

Il est intéressant de noter le rapport de winnterzuko à l’art. Il fait par exemple allusion au fait de ne pas connaître toutes les peintures de VAN GOGH, comme s’il avait du mal à cerner les œuvres d’art et leur essence et venait s’interroger sur sa légitimité – « j’suis qu’un artiste qui comprend pas ce que vous peignez sur vos toiles » (JE SUIS MUSIK). Pourtant même s’il dit « faire ça pour du bif » (DIRTY), winnterzuko est un artiste qui retranscrit ses états d’âme dans chaque composant de sa musique. Sa toile est teintée d’émotions implicites et révèle un message poignant. Et en parlant de message, on ne pouvait pas passer à côté de celui qu’il a laissé à sa mère… Il lui a souvent fait des éloges en louant ses efforts et sa persévérance dans ses autres projets, mais il profite de celui-ci et notamment du titre PAPA T OU pour lui faire une magnifique déclaration :

Question d’émotions, j’ai des carences, désolé je peux rien y faire

J’sais que t’étais là avant et j’sais qu’tu seras là après

Trop pudique pour dire je t’aime mais bon j’espère qu’tu le sais

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