L’Odysée électronique de Romane Santarelli
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Auteur·ice : Coralie Lacôte
07/12/2022

L’Odysée électronique de Romane Santarelli

| Photo : © Aloïs Rebaud

Il est de ces festivals qui cultivent les petits et les grands plaisirs, les moments de grâce et les surprises. Assurément, le MaMA Festival fait partie de ceux-ci. Juché sur les hauteurs de Montmartre, le célèbre festival parisien nous offre chaque année l’opportunité de découvrir les talents d’ici ou d’ailleurs, d’aujourd’hui et demain. Parmi ceux-ci, nous comptions cette année la talentueuse Romane Santarelli. Comme nous l’avions prédit, la musicienne s’est emparée de la Machine du Moulin Rouge pour clôturer cette superbe édition, ravissant un public déjà conquis, et le laissant ainsi voguer à travers la nuit, le sourire aux lèvres.

Venue présenter son premier album Cosmo Safari sorti en juillet dernier, la musicienne nous a offert un peu de son temps pour échanger. Ensemble, nous avons parlé de son parcours, de ses inspirations, de composition et de processus de création. Une rencontre lumineuse et passionnante qui nous aura permis de saisir davantage la cartographie de son univers électronique fait d’histoires et de mélodies. Avec cet album, Romane Santarelli tient la promesse que nous font les chansons, celle de nous offrir un monde dans lequel on peut se réfugier, se découvrir, se sentir moins seul ou se retrouver.

La Vague Parallèle : Salut Romane ! On se rencontre à l’occasion de ton concert au MaMA Festival. Comment ça va ? 

Romane Santarelli : Je suis un peu stressée. C’est ma première fois au MaMA. Je suis venue hier en repérage. C’est bien de s’imprégner un peu du lieu et d’écouter les autres artistes, donc je suis allée voir quelques concerts à la Machine du Moulin Rouge. Hier, j’étais très sereine, ce matin aussi, et là, plus on approche de 22h50, et plus c’est un stressant, mais ça va bien se passer. De toute façon, je suis très angoissée avant mes concerts. Systématiquement. Donc c’est habituel. 

LVP : Tu es productrice, compositrice, autrice, interprète, remixeuse, tu as donc un parcours musical assez développé. Par ailleurs, il me semble qu’avant d’arriver à la musique électronique tu avais une production plutôt rock. Comment s’est fait le passage entre les deux ? 

Romane Santarelli : Mon père m’a mis une guitare dans les mains un peu par hasard, un dimanche après-midi quand j’avais environ douze ans. Je devais être en CE2 ou en sixième (6e primaire pour la Belgique). J’étais une enfant un peu hyperactive, je voulais toujours m’occuper, faire des choses, être en mouvement. Je crois que la musique, enfin la guitare pour le coup, ça a été la première activité qui m’a canalisée. Puis j’ai commencé à vraiment me passionner pour ça, donc mes parents m’ont inscrite en école de musique. J’ai fait neuf ans de guitare. C’est un peu ça le cursus. J’ai également monté des groupes. Nous n’étions que des filles d’ailleurs. On était quatre: bassiste, batteuse, moi au chant, enfin on alternait. J’apprenais aussi à mes copines à faire de la musique, parce qu’elles n’étaient pas musiciennes. J’avais un peu cette obsession de jouer à plusieurs, de monter mon groupe et de faire des reprises. On reprenait Arctic Monkeys, Placebo, Bloc Party. C’était mes influences, à l’époque. Puis, arrivée à la fin du lycée, je me suis dit : “C’est cool de faire des reprises, mais j’ai besoin de composer.” Je pense qu’il y a eu à un moment une dissonance, je me suis dit “je crois que c’est quelque chose qui doit se faire en solitaire”, en tout cas pour ma part. En conséquence, ça s’est un peu essoufflé avec mon groupe. On a arrêté de faire de la musique. On faisait d’autres choses à la place. C’était l’année du bac, j’ai installé Ableton et j’ai commencé à m’acheter des petits claviers, un peu de matériel, et là ça m’a passionnée. J’ai basculé dans quelque chose où je me suis dit : “Donc là je peux enregistrer, composer des morceaux, faire 40 fois le même truc jusqu’à ce que ça sonne pro”. C’était complètement amateur au départ. Je faisais des démos guitare-voix, sur lesquelles je rajoutais des petites touches d’électro. Finalement, plus j’avançais, moins je mettais de voix et de guitare et plus je mettais d’électro. Cette même année, j’écoutais beaucoup Fakear, Birdy Nam Nam, Vitalic et Rone. C’était un peu les claques que je me suis prises à ce moment-là en électro. Même si, le plus marquant, c’était Rone. J’ai vraiment eu un déclic. Je me suis dit que je voulais faire quelque chose de similaire, en tout cas essayer d’aller dans des esthétiques un peu oniriques, très mélodieuses. Ça a été un peu ça, le cheminement.

© Aloïs Rebaud

LVP : Le 1er juillet dernier, tu as sorti ton premier album Cosmo Safari. Avant ça, tu avais publié des EP’s. Est-ce que passer à un long format a changé ta manière de créer ? Est-ce que tu as adopté une posture différente ? 

Romane Santarelli : Oui, complètement. Je pense que ça m’a plu davantage parce que tu dois remplir une plage plus grande en termes de temps et d’espace. Je visualise un peu ça comme ça. C’était la cour de récréation, de se dire que je pouvais mettre des interludes, etc. Quand j’écoute des albums, j’adore justement aller jusqu’à la fin des titres pour voir s’il n’y a pas des choses cachées, voir comment l’artiste ou le groupe transitionne d’un morceau à l’autre. Là, c’était mon tour. Je l’avais déjà un peu expérimenté sur les EP’s, mais avec 4 ou 5 titres, et surtout quand tu commences, on te dit qu’il faut être efficace, qu’il faut mettre le single en premier, etc. Alors que là, j’ai senti qu’il y avait un peu plus de liberté, puisque je devais me dévoiler sur un long format d’au moins 40 minutes. Je ne sais même pas combien il fait au total, peut-être 50, mais je pouvais vraiment réfléchir à l’introduction, essayer de construire une histoire avec des paroles, avec une voix parlée qui est celle de ma sœur, par exemple sur l’intro, et tout un tas de trucs comme ça. J’ai adoré voir petit à petit le puzzle se remplir et, au fur et à mesure qu’il se remplissait, apercevoir les pièces manquantes et me dire : “Je vais créer telle chose exprès.” Par exemple, l’intro est le dernier morceau que j’ai composé parce que je me suis dit : “Il faut absolument un morceau qui ressemblerait un peu à un truc en suspens, très lent, un peu en flottement comme si on était dans l’espace, et qu’il y ait une voix qui parle et qui lance une sorte de chemin initiatique.”

LVP : En parlant de l’introduction, l’album s’ouvre donc sur le morceau Checkpoint, qui est un titre très évolutif, qui figure une certaine ouverture sur le monde formé par l’album. Quand on écoute les paroles, on a l’impression que la protagoniste fait un point sur la situation et annonce le début d’un voyage, d’un parcours. Est-ce que tu as pensé ton album comme tel ? 

Romane Santarelli : J’avais un petit paquet de cinq titres que j’aimais vraiment bien. Je savais qu’ils seraient sur l’album, donc j’ai commencé à réfléchir et à me dire : “Like a mantra pourrait arriver en sixième morceau et celui-ci en quatrième. Ça, ça voudrait dire ça, et ça, ça voudrait dire ça.” Mon cerveau était en ébullition. J’ai vraiment adoré le faire. L’idée, c’est que la voix du début annonce une sorte de lâcher prise, quelque chose d’un peu spirituel. Je trouve qu’il y a quelque chose comme ça dans mes influences, et j’ai voulu le retranscrire sur cet album. En réalité, tout le disque parle d’amour, de ses différentes formes et pas seulement de l’amour sentimental comme on a l’habitude d’en parler. Par exemple, I Love You So, c’est l’amour de mon public. L’introduction parle de l’amour et de l’acceptation de soi. Like a mantra est un peu un morceau d’autodérision qui critique les postures de cyber-séduction qu’on va adopter pour se donner des points, essayer d’être là pour les autres, etc. C’était une période de ma vie où je ressentais l’envie de faire un morceau comme celui-ci. Il y a un peu cette trame dans l’album. Amoramas est un mot inventé qui veut dire vision de l’amour. Quant à Hello Elie, c’est un titre pour mon neveu. C’était la première fois que j’avais un neveu et j’ai eu le déclic à me dire : “Comment est-ce possible que l’humain puisse aimer inconsidérablement un être qui vient de naître alors qu’il ne le connaît pas ?” C’est ce que le morceau raconte. Je l’ai composé le jour de sa naissance, en 3 heures. Il ne devait pas être sur l’album, mais finalement j’y tenais. C’est d’ailleurs le seul titre en format chanson. Je me suis dit que c’était l’occasion d’essayer autre chose. Il y a aussi Isabelle qui est un titre plus dark. Je l’ai composé dans un contexte un peu particulier, j’étais très triste. Ma mère était à l’hôpital. Elle était un peu entre la vie et la mort, et je l’ai composé aussi très vite, en une nuit seulement. Quand il a fallu me replonger dedans un an plus tard, ça a été difficile. Je n’arrivais pas à résoudre le puzzle parce que l’énergie dans laquelle j’ai fait ce titre était tellement particulière, qu’un an après je n’arrivais pas à le finir. L’histoire faisait aussi que c’était compliqué. Finalement, en visualisant tous les morceaux, une vision globale de l’album m’est apparue. J’ai constaté que ça parlait de tel et tel sujet, qu’il y avait une base commune, quelque chose de très humain. Je suis donc allée à fond là-dedans.

 

LVP : Comme on le disait, tu es arrivée par le rock, donc par une production très organique avec la guitare, la batterie, etc. C’est quelque chose qu’on retrouve finalement dans tes morceaux : un mélange entre l’électronique et l’organique. On entend aussi un travail très minutieux d’ornementations, de textures. Exode est un très bon exemple, avec ces éléments qui s’ajoutent pour finalement donner place à une sorte de mindmap très évoluée, riche et précise. Est-ce que ce lien entre l’organique et l’électronique te semble juste pour parler de ta musique ?

Romane Santarelli : Oui, mais je pense que c’est une influence qui n’est pas forcément consciente. Je suis arrivée à la musique par le corps et sa mémoire : prendre des tablatures (bon j’étais un peu allergique aux partitions), mais ça a commencé de cette façon, en reproduisant les tablatures, en apprenant avec. Aussi, j’écoutais énormément de rock et de morceaux pop. D’ailleurs ça dépend des périodes, mais actuellement j’écoute beaucoup plus de pop et de rap, enfin de formats plutôt chantés et où les structures sont très identifiées, que de morceaux d’électronique comme on les connaît, qui durent sept minutes et sont très progressifs. Ça m’arrive par moments, mais ce qui me touche c’est quand même plus des formats un peu chanson où il y a une introduction, un couplet, un refrain, un pont et un final. Ce qui m’amuse quand je crée un titre, c’est de me dire : “Là j’ai un riff, comment ça pourrait devenir un drop ou un refrain ?” À l’époque, quand j’écoutais Fakear et que je lisais ses interviews, je me souviens qu’il parlait de sa musique en disant qu’il avait envie de faire ce type de choses, et ça me parlait complètement. C’était au moment où je commençais la production, j’avais peut-être 18 ans. Je me suis dit que j’avais envie de faire comme lui. Tel que je fais de la musique, je n’ai pas envie de faire un morceau où tu entends un kick pendant une minute, puis tu as les snares qui rentrent, etc. Enfin j’adore aussi, mais c’est plus ce que j’écoute quand je vais voir des artistes en club. Je crois qu’inconsciemment, quand je fais de la musique, c’est plutôt pour une écoute de salon, en fait. Les gens vont écouter ça chez eux, c’est fluide, il y a plein d’émotions mais dans un temps assez court.

LVP : Comment as-tu abordé la composition de ces morceaux ? Tu as un processus particulier ?

Romane Santarelli : Alors je suis vraiment système D. Je crois que je ne suis vraiment pas une collectionneuse de synthés. Je suis même un peu allergique à tout ce qui est trop technique. J’aimerais pouvoir dire un jour : “Je suis connaisseuse, j’ai fabriqué un synthé”, mais ce n’est pas du tout ça. J’ai envie d’immédiateté, qu’il y ait un son qui sorte directement quand je crée une note. Chercher le bon synthé modulaire pendant une heure et demi, ce n’est pas du tout mon truc. J’aimerais, mais honnêtement je n’ai pas la patience. Par contre, mon processus de création est quand même un peu cérébral. J’ai envie de faire du son tout de suite, d’enregistrer des choses un peu comme un enfant hyperactif, j’ai toujours ce côté-là. Mais une fois que j’ai plein de pistes, je vais faire beaucoup d’edits et ça va être très informatique. Je vais passer beaucoup de temps à retoucher les tracks avec ma souris, éditer les pistes, me dire que j’aime bien telle partie et que je vais la mettre là ou là. J’ai un côté un peu comme ça, où au final c’est technique et très informatique, mais on est plus du côté mathématique que de celui de la technique et de la physique du son. 

LVP : Tes productions étant très riches, on devine que tu ne peux pas tout jouer sur scène. Comment penses-tu tes lives ? Tu retravailles tes morceaux ? 

Romane Santarelli : Ça, c’est difficile. Entre le moment où le morceau est fini et où je réfléchis à comment l’interpréter, il y a tout un temps qui est presque aussi long que celui de la composition en elle-même. Il y a toute une phase où je me dis que ça va être compliqué parce que j’ai vraiment envie que ce soit la même structure que celle sur laquelle j’ai passé beaucoup de temps, donc j’ai du mal à déconstruire mes morceaux et à me dire que je vais faire une introduction différente. Je le fais de plus en plus, mais il y a énormément de préparation en résidence, aussi pour réfléchir à la lumière. Là, on a proposé une nouvelle formule avec une scénographie, qui ne sera malheureusement pas visible ce soir. En tout cas, il y a un vrai travail qui est fait en résidence pour pouvoir interpréter mes propres morceaux, ce n’est pas toujours évident.

LVP : Tu as particulièrement pensé la scénographie pour cette nouvelle tournée. Tu en as géré la direction artistique et tu as fait intervenir sept artistes. Comment as-tu mené ce travail ? 

Romane Santarelli : C’était le fruit de rencontres. Je me suis rendue à l’évidence que je ne savais pas dessiner. J’ai fait mes premières pochettes d’EP’s sur Photoshop. J’aime bien le faire, mais il y a quand même une limite. En revanche, j’avais beaucoup d’idées. Pour chaque morceau, je visualisais des choses. On s’est donc dit avec mon équipe que ce serait bien qu’il y ait de la vidéo sur scène pour cette nouvelle tournée. C’était aussi un objectif que j’avais et que je voulais atteindre. Quand je vais voir des artistes en concert, j’aime beaucoup qu’il y ait des créations visuelles et des vidéos. Je trouve que ça propose une autre dimension au live. J’ai donc travaillé avec Yann, un stage designer. Il a pensé toute la notion d’espace et, une fois qu’on a eu ce dispositif-là, je me suis dit qu’il fallait créer des choses en conséquence. À partir de là, j’ai envoyé des mails à des personnes que j’avais rencontrées, comme Alfred, un bédéiste français que j’ai rencontré au Liban pour le Beirut Comic Art Festival et avec qui ça avait bien matché. En plus on s’était rencontrés dans le cadre d’un concert dessiné : je jouais et lui dessinait en temps réel. Ce sont toutes ces rencontres que j’ai faites, par-ci, par-là. Il y a aussi des fans qui sont devenus des amis. Je pense notamment à Victor, qui a fait toute la création d’Amoramas. À l’origine, c’était un peu un fan de la première heure. On est devenus potes et il m’a dit qu’il était partant pour le faire. Ça a été un travail de famille où chacun a mis la main à la pâte. 

 

LVP : Pour finir, pourrais-tu nous confier un de tes coups de cœur parmi la programmation du MaMA ? 

Romane Santarelli : J’aurais adoré voir S8FOU, mais c’est juste avant mon set donc que je pense que je serai en mode stress. Hier, j’ai vu The Doug à la Chaufferie, c’est un ami donc je ne suis peut-être pas objective, mais c’est vraiment un artiste super talentueux. Lazuli aussi, qui est de Lyon et que j’ai vu plusieurs fois en concerts, sur des tremplins ou à des concerts régionaux. Je le soutiens à fond. C’est un autre style, on est carrément sur du rap baile funk, mais j’adore ! Donc ça c’étaient mes coups de cœur d’hier, et ce soir, je ne sais pas si je vais pouvoir voir beaucoup de choses malheureusement.