| Photo : Romain Garcin
On n’y croyait plus, et pourtant : le trio bruxellois porte-drapeau du genre rap conscient est de retour. Et à en croire Négatif, leur nouveau titre, ils n’ont rien perdu de leur verbe. Le morceau se dresse comme le manifeste de la nouvelle philosophie du groupe : un regard plus grave et profond sur le monde qui les entoure (à l’instar de leur brillant Sapiens trois ans plus tôt) mais avec une focale supplémentaire sur ce qui gronde de l’intérieur. Une vision plus introspective et caillassée qui explore tout en punchlines cette allégorie du négatif, lié à cette idée de perspectives multiples.
Alors que Swing se dévoilait plus mélodique que jamais sur son excellent EP Alt-F4, que Primero nous ouvrait les portes d’une précieuse sensibilité sur son projet Serein et que Loxley apaisait nos dimanches soirs aux platines de la radio Tipik, on aurait pu croire à la fin du collectif. Ce morceau sonne donc le retour inattendu (mais qu’on attendait toustes) d’une des formations les plus singulières de la scène francophone actuelle, n’hésitant jamais à faire se rencontrer poésie et rap dans des œuvres toujours plus grandes.
Des gamins payeront l’entrée pour visiter de grands déserts de béton
J’imagine tout qui pète au ralenti sur le plus sombre des airs de Beethoven
À quel endroit du calendrier va-t-on mettre qu’il est temps de sauver la Terre ?
Pour Négatif, c’est à travers trois sections distinctes mais symbiotiques que s’opère la magie. Les rimes s’enfilent et les punchlines sont tirées à balles réelles par les trois penseurs qui viennent, un à un, exploiter leurs coins d’ombre dans une ode à la relativité. Traitant le sujet abstrait de la perspective, ils démontrent ainsi que la vérité se trouve partout et en même temps nulle part : “Si c’est vrai, ça ne l’est que jusqu’à preuve du contraire. Du coup, à quoi ça sert de vouloir avoir raison ?” Le bagage plus mélodieux peaufiné par Swing sur son projet solo offre au refrain de Négatif une touche toute particulière tandis que le timbre de Loxley nous rappelle à quel point il avait manqué au paysage musical de ces dernières années. Primero, lui, se détourne du côté smooth aiguisé sur Serein pour exploser sur un couplet percutant au texte fort et au débit calibré, signant le moment clé du morceau.
Pour enrober leur lignes, L’ODC a pu compter sur deux invités de marque : Seezy, beatmaker des pointures du milieu (de Ninho à Kery James) mais également le Canadien Frank Dukes – oui oui, le Frank Dukes derrière les tubes de Cardi B et Rihanna, pour ne citer qu’elles. Un duo incongru qui donnera naissance à une instru trap aussi bouillonnante que maîtrisée, se faisant l’écrin idéal des tribulations introspectives du trio. Niveau clip, c’est le réalisateur Lenny Grosman qui s’y colle, entouré de la boîte de production Beaucartel. Alors que Swing y sillonne les rues de Bruxelles, ses deux collègues nous invitent entre les murs de leurs intimités, clin d’œil au confinement qui ponctue nos quotidiens depuis près d’un an. Le visuel varie du noir et blanc au capteur thermique hypersaturé pour donner à ses tableaux un effet surréaliste et semi-modélisé impressionnant.
Un retour en grandes pompes, donc, qui n’annonce que du bon pour la suite. D’ici là, gardez-les à l’œil : L’Or du Commun vous le rendra bien.
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.