Lothar : “Chacun de mes choix est guidé par la recherche de la radicalité”
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Auteur·ice : Paul Mougeot
09/07/2021

Lothar : “Chacun de mes choix est guidé par la recherche de la radicalité”

À la manière d’un boxeur sur le ring, Lothar crochète, frappe et ne manque jamais sa cible. Celui qui a choisi à la scène le nom de la tristement célèbre tempête de 1999 continue de tout dévaster sur son passage avec un premier album, Distorsion, qui brille par sa puissance et sa constance. Entretien avec un artiste à la démarche aussi radicale que sa musique est percutante.

© Alice Sevilla

La Vague Parallèle : Hello ! Comment ça va ?

Lothar : Ça va très bien ! Je suis content que la vie reprenne son cours petit à petit. Toute cette période d’arrêt de la musique a été un enfer avec cet éternel recommencement des confinements et des annulations. Je crois que c’est ce qui a été le plus dur, le plus épuisant. Si j’avais su dès le départ que ça durerait un an et demi, je l’aurais peut-être mieux accepté.

Après, je ne dirais pas que la période m’a empêché de créer. Elle ne m’a ni inspiré ni découragé, j’ai eu la chance de ne pas être trop affecté par tout ça malgré tout. Ça m’a plutôt donné du temps pour faire tout ce que j’avais à faire alors que d’habitude, comme je suis toujours en tournée avec d’autres gens, j’en manque toujours.

LVP : La première fois qu’on a présenté Lothar à nos lecteurs·ices, c’était à l’occasion de la sortie de ton premier EP. À l’époque, c’était un projet que tu portais avec Benoît David de Grand Blanc. Est-ce que tu peux nous expliquer la manière dont a évolué le projet depuis ? Qu’est-ce que ça a changé dans ta manière de composer, d’écrire, d’envisager ton projet ?

L : Le premier EP qu’on a fait avec Benoît, il venait de très loin. Quand on composait ensemble pour le premier album de Grand Blanc, on se disait : “tout ce qui n’est pas pour Grand Blanc, on le met de côté pour ce projet”. C’est ce qui est ensuite devenu le premier EP de Lothar. Avec Benoît, on avait énormément de facilités pour faire de la musique ensemble, on s’est trouvé beaucoup de points communs, de références musicales partagées. Au début, on avait en tête de faire un mélange entre George Brassens et Arnaud Rebotini. Je ne sais pas à quel point on y est arrivé (rires).

Finalement, comme Grand Blanc lui prenait beaucoup de temps, Benoît a décidé d’arrêter Lothar. De mon côté, c’est un projet que j’adore avec un cahier des charges incroyable, une nomenclature géniale, alors je me suis dit que je n’avais pas envie de recommencer seul un autre projet qui reprendrait les mêmes codes, sans vraiment savoir si j’allais expliquer ou non ce qui s’était passé. C’est comme ça que j’ai sorti mon premier EP tout seul en 2019, c’était vraiment un travail de recherche de ce qu’allait être ce projet en solo. Et puis aujourd’hui, donc, je sors mon premier album et j’en suis hyper content. C’est un disque qui respecte tout ce que je pense être important dans Lothar, tout en étant très différent de ce que j’ai pu sortir auparavant. J’en suis très fier, j’ai le sentiment de m’être donné à fond et j’ai adoré ça.

LVP : À côté de Lothar, tu es effectivement ingénieur du son pour un certain nombre d’artistes de la scène française (Bagarre, Grand Blanc…). Est-ce que ça a une influence sur la manière dont tu crées ta musique ? Est-ce que ce n’est pas trop difficile d’arriver à te débarrasser de toutes ces influences quand tu es sur ton propre projet ?

L : Je ne me vide pas du tout de tout ce que je vois, de tout ce que j’écoute avec les autres, au contraire ! J’ai vraiment une approche de la production qui est très spontanée : je suis convaincu qu’il y a des morceaux partout, tout le temps, et que faire un morceau, c’est faire des choix, couper dans le vif de plein de choses qui existent. Je n’ai jamais vraiment d’idées de ce que je veux faire à l’avance.

Je suis comme une éponge avec les projets avec lesquels je travaille, d’autant que j’arrive à 30 piges, je travaille avec des gens de plus en plus jeunes, qui me font toujours découvrir de nouvelles choses, c’est passionnant. Je n’aurais jamais fait cet album de cette manière si je n’avais pas bossé avec toutes ces personnes. Chacune d’entre elles m’a inspiré ou presque.

LVP : Au milieu de toute cette activité qui est la tienne depuis plusieurs années déjà, quel a été le déclic qui t’a donné envie de te lancer plus sérieusement dans ton propre projet musical ?

L : En fait, j’ai toujours fait de la musique, mais ça me suffisait d’en faire avec les autres et pour les autres. Je m’y retrouvais complètement. Je crois que le déclic vient du fait que ces derniers temps, je me place très différemment sur les projets avec lesquels je collabore. Par le passé, j’ai fait des erreurs avec Grand Blanc ou avec Bagarre, des projets avec lesquels j’avais un placement trop flou, trop hybride. Désormais, c’est beaucoup plus clair pour moi. Je sais à la fois ce que je veux faire avec les groupes avec qui je travaille sur scène ou en studio et ce que je veux faire pour moi.

Je crois que cette volonté de faire de la musique a toujours été là, mais le déclic vient plutôt de l’affinage de ce qu’est mon métier, ma musique, mon art… J’ai mis du temps à parvenir à séparer les deux clairement, en fait.

LVP : Le résultat de cette démarche c’est donc la sortie de ton premier album, Distorsion. Est-ce que tu appréhendes différemment la sortie de ce premier format long ?

L : Oui, c’est encore plus d’excitation. J’adore l’idée d’avoir un format plus long parce qu’en l’occurrence, c’est l’abondance des morceaux qui a fait qu’ils ont trouvé un sens entre eux. J’aime beaucoup quand le sens vient a posteriori. Quand tu déplaces les morceaux les uns par rapport aux autres, en les situant dans un contexte différent, ils prennent un tout autre sens. Je me suis même rendu compte que j’avais fait des transitions entre eux sans l’avoir prémédité.

LVP : Ce qui marque à l’écoute de cet album, c’est qu’on a l’impression qu’il est moins cryptique, plus facile à décoder que tes disques précédents. Est-ce que c’est parce que, cette fois, le message que tu avais à délivrer était plus important ?

L : Oui, carrément ! J’ai toujours adoré faire des morceaux narratifs mais avant, je me contentais de rester dans la suggestion. Je construisais une trame et chacun pouvait s’inventer une histoire dessus. Là, je voulais quelque chose de plus écrit, donner davantage de clés de compréhension.

Cela dit, je suis très attaché à l’ambiguïté, c’est quelque chose d’important pour moi. Je veux que ce soit l’auditeur qui fabrique le sens, mais cette fois, je voulais que ce soit moins mystérieux. En réalité, souvent, être mystérieux, c’est un peu un non-choix. Quand tu fais de la musique, ça fonctionne toujours, et il y a plein de moments où je me satisfaisais de ça. Maintenant, je veux aller plus loin. Je ne veux plus sortir un morceau sans qu’il ait un vrai parti pris, une vraie proposition que je peux expliquer, qui a du sens pour moi.

LVP : Musicalement, on a souvent l’impression que ce sont souvent les percussions, la batterie, qui donnent le ton des morceaux avec des patterns et des sonorités très originales. C’est ce qui te vient en premier ?

L : Pour le coup, ce n’est pas forcément volontaire, mais c’est vrai que les parties de drums viennent souvent très vite. C’est peut-être un défaut, mais j’aime avoir des sources maximisées et ultra-identifiables : un énorme kick, une énorme snare… Des trucs percutants, qui te marquent.

C’est mon côté EBM (Electronic Body Music, NDLR), voire carrément EDM (Electronic Dance Music, NDLR), même. J’ai une vraie passion cachée pour l’EDM, ce côté inattendu, ces montées sans queue ni tête qui ont pour seul but de proposer quelque chose que tu n’as pas entendu au moment du drop. Le premier morceau de l’album, Être prêt, c’est un bon exemple de ça : je voulais que le refrain vienne changer radicalement de registre, t’arracher la tête (rires).

LVP : C’est réussi puisque dès la première écoute, ce qui frappe, c’est que ta musique comporte très peu de temps morts. Elle est toujours très intense, un peu comme une lame de fond qui emporterait tout sur son passage. Est-ce que c’est comme ça que tu la conçois, que tu l’envisages ?

L : Oui, je voulais vraiment être radical, la radicalité est au centre de cet album. Je ne voulais aucun non-choix, que tout soit percutant, radical, distordu. Chacun de mes choix est guidé par la recherche de la radicalité.

Mais en même temps, je ne voulais pas d’un album qui soit inaudible pour autant. Il y a beaucoup de groupes que j’adore mais dont je ne peux pas écouter les albums en entier parce qu’ils te cassent trop la tête. Du coup, je voulais avoir un truc vibrant partout mais pas forcément trop noisy.

LVP : On retrouve ce côté radical, presque martial dans la musique de Grand Blanc, qui vient aussi de Metz. Tu crois que c’est

quelque chose qui correspond à l’atmosphère de la ville ?

© Alice Sevilla

L : Je ne sais pas… On n’a pas trop d’électro vénère à Metz, mais il y a quand même cette espèce d’héritage de La Grande Triple Alliance internationale de l’Est, Noir Boy George

Pour ma part, c’est peut-être plus lié au côté rural. J’ai grandi dans un village de 400 habitants avec forcément un gros rapport à la voiture : on avait 20 minutes de route pour aller à Metz et du coup, mon moment préféré, c’était d’être dans la voiture pour écouter de la musique. On avait nos iPods et on se faisait écouter les dingueries qu’on avait découvertes dans la semaine. Le but, c’était d’exploser la tronche des autres, c’était trop bien ! C’était le moment de l’electro-trash, des succès de Justice

On avait besoin d’entendre des trucs assez violents. Le côté coldwave, j’y suis venu plus tard, c’est vraiment les Grand Blanc qui me l’ont fait découvrir. Ce n’était pas assez radical pour moi à l’époque. Ado, j’écoutais du métal, de l’électro archi-vénère, qui tabassait beaucoup plus. Le but, c’était de s’en mettre un maximum dans la tronche ! Tout ce qui n’était pas archi-violent, je l’ai découvert beaucoup plus tardivement.

LVP : Cet album a justement un côté assez sombre et violent puisque tu le présentes comme symbolisant un monde dystopique, un monde en guerre, tiraillé entre l’ombre et la lumière. Quel parallèle est-ce que tu dresses entre ce monde que tu as imaginé et le nôtre ? Est-ce le contexte récent a également pesé sur la création de cet album ?

L : On pourrait penser que c’est un album de pandémie mais ce n’est pas le cas, cette dystopie-là est différente. D’ailleurs, je ne voulais pas expliquer ou dépeindre une dystopie, mais la faire ressentir en y plaçant ma narration. L’album prend place dans un monde complètement similaire au nôtre mais qu’on aurait fait pivoter de quelques degrés. Un monde où tous les extrêmes auraient pris le dessus, où tout ce qui peut mal tourner aurait mal tourné. C’est un monde qui est en guerre permanente, une guerre quotidienne à laquelle on s’est habitué. C’est comme dans notre monde : la première fois qu’il y a eu des attentats, on l’a pris en pleine tête, et puis la fois suivante, on s’y était déjà un peu accoutumé… C’est gravissime ! C’est fou de pouvoir encaisser de tels niveaux de violence en pleine tronche et s’y habituer aussi facilement.

C’est dans ce monde-là que je voulais me placer, un monde dans lequel il est normal que tout soit archi-violent. En vérité, on vit un peu dans ce monde-là. C’est dur de voir à quel point nos systèmes sont violents puisqu’on vit dedans, mais je ne sais pas quel regard on aura plus tard sur les années 2020. On s’apercevra sans doute que c’était un moment un peu charnière, on arrive clairement au bout d’un chapitre.

LVP : Sur une note plus positive, maintenant que les concerts reprennent progressivement, comment tu t’imagines porter cet album en live ?

L : J’aimerais beaucoup que les morceaux prennent un tournant rock en live. On sera trois sur scène avec Mus (Bagarre) à la batterie et Raph, le guitariste et chanteur de Paalma. Normalement, ce set-là, il devrait botter des culs !

Tout ce côté très percutant, très radical dont tu parlais, on devrait le ressentir à fond. Aujourd’hui, la musique jouée a un peu délaissé sa vocation initiale qui était de faire transpirer et vibrer les gens. C’est le rap qui s’en charge désormais. Je n’ai rien du tout contre le rap, mais j’aimerais bien que la musique jouée et le rock en particulier reprenne ce rôle de donner des émotions. Il ne faut rien calculer et foncer !

LVP : Pour finir, est-ce que tu peux nous partager un coup de cœur musical récent ?

L : J’ai beaucoup aimé l’album de Corps. C’est très radical, ça me parle beaucoup. J’ai l’impression qu’il y a une scène post-pop, post-apocalyptique qui se dessine actuellement et au sein de laquelle on parle un peu tous de la même chose, je trouve ça cool.

Je dirais aussi Mason Lindhal, avec l’album Kissing Rosy in the Rain, c’est génial. De la guitare, que de la guitare. C’est Benoît de Grand Blanc qui m’a fait écouter ça et c’est trop beau.


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