Gore : sous-genre du cinéma d’horreur qui suscite l’épouvante par l’abondance de sang. Un pan de la culture cinématographique qui se caractérise aussi par son côté absurde, voire ridicule. “Ma vie a été tellement hardcore qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer !” Articulé autour de cette notion, le premier album de Lous and The Yakuza se veut aussi brut et authentique que possible, traduisant en musique le parcours houleux de la jeune Bruxelloise et résonnant avec force aux problématiques actuelles du monde. Résilience, identité, relationnel et sentiments : en déclinant le terme gore en quatre nuances différentes, Lous parvient à proposer une pop versatile hautement efficace. Une invitation à découvrir le côté gore qui sommeille en elle.
Si les textes et l’émotion qu’ils renferment reflètent un esprit de chanson française intemporelle, les productions voguent sur les tendances actuelles, entre trap, hip-hop et pop. L’alchimie flamboie. Des prods signées El Guincho, le magicien derrière les succès de la reine du néo-flamenco Rosalìa. Au rang des Yakuza (surnom des acolytes de la Bruxelloise, inspiré du cartel mafieux japonais), on retrouve aussi Ponko, David Mems ou encore Krisy. Et alors que les beats des producteurs relèvent tout l’opus d’un dynamisme opportun, les cœurs des morceaux restent, eux, intacts : des lignes profondes, vibrantes, sincères. Un album saisi à la manière d’une tribune, exutoire des grondements qui la tourmentent.
Le gore résilient
Pour mieux comprendre le rapport qu’entretient Lous avec les thèmes du gore et de la résilience, un petit throwback s’impose. Tout juste âgée de sept ans, Marie-Pierra Kakoma (de son vrai nom), née à Lubumbashi en République du Congo, se met à écrire des compositions. Sa plume se voit auréolée très tôt d’une certaine maturité, notamment au vu du contexte de la Seconde guerre du Congo de 1998 qui aura touché directement la famille Kakoma. Partagée entre les cultures congolaises, puis belges ainsi que rwandaises, sa jeunesse nomade lui apportera une identité plurielle, marquée par les beautés comme les failles de ses trois foyers.
Lorsqu’elle rejoint définitivement la capitale belge en 2011, elle a quinze ans et des rêves plein la tête. Une détermination qui la poussera à s’investir dans ses projets musicaux, quitte à se confronter aux idées de ses parents. À 19 ans, la jeune belgo-congolaise traversera le sans-abrisme, la rue, ses vices mais aussi sa lumière moins évidente.
J’ai crié, j’ai pleuré, j’ai appelé à l’aide
J’ai cherché mais il n’y a pas de remède
Une viе de merde c’еst juste une vie de merde
Mais t’inquiète pas, depuis Gore j’ai découvert
Forgée de ces expériences multiples, elle deviendra Lous and the Yakuza et enregistrera une cinquantaine de morceaux peu visibilisés, sans jamais en démordre. Et le travail paiera : en septembre 2019 sort Dilemme, le phénomène est en marche. Se dévoile alors la synergie effervescente entre la trap d’El Guincho et les textes crus de Lous, entre rap et chanson française. Les mélodies s’enfilent et constituent une ode chaloupante à l’empowerment, en décidant d’enrober la noirceur du passé abordé dans des couches d’allégresse. Un processus qui se répétera beaucoup chez la chanteuse : Tout est gore, Dans la Hess ou encore Amigo s’articulent tous trois autour de cette même idée de résilience, de catharsis après le drame. Et malgré le fond douloureux, la forme reste toujours légère et habitée d’une fougue dansante et mouvementée. C’est peut-être ça, la vraie résilience : piétiner ses cicatrices à coups de pas de danse et de twerk ?
Le gore identitaire
Une résilience qui a beaucoup à voir avec son identité : une femme de couleur dans un monde hanté par le sexisme et le racisme. C’est ainsi que l’artiste parviendra à coupler son art à son activisme, en s’attelant à relayer ses positions au travers de compositions frontales et dures. Nombreuses sont les causes alors abordées et déconstruites par la chanteuse, dont la prostitution, les agressions sexuelles faites aux femmes et le racisme.
Avec Courant d’air, elle ose aborder le thème de la prostitution sous un angle délicat. Guidée par les rencontres avec les travailleur·euses du sexe qui auront croisé sa route durant ses années de sans-abrisme, Lous narre un scénario intéressant articulé autour de ces “fils de pute”. Quelle place pour les enfants de prostitué·es ? Par des lignes crues, le titre impressionne par sa justesse et son audace en documentant un sujet tabou. Quatre heures du matin vient dénoncer le viol, quand la nuit sombre et épaisse tombe sur les rues et que les “chauds lapins” s’adonnent à des crimes encore trop peu réprimandés. Dans une société où la culture du viol gagne dramatiquement du terrain, le morceau se dévoile fort et puissant. Par une narration originale, Lous livre le point de vue tant de la victime que du bourreau, brisant les interdits pour mieux dénoncer une problématique corrosive.
Les diables n’ont pas de couleurs
Lâches, ils sont venus, à plusieurs
Je n’ai pas vu mes agresseurs
Je me souviens juste de leurs odeurs
Sur Solo, la parenthèse plus douce de l’album, elle s’ouvre sans filtre sur le fardeau d’un héritage douloureux et sur les discriminations exercées depuis trop longtemps sur le peuple noir. “Certains continuent de nous voir comme leurs adversaires. Pourquoi le noir n’est-il pas une couleur de l’arc-en-ciel ?” chante-t-elle, résonnant avec force avec les événements mis en lumière ces derniers mois. Sans pathos superflu, elle livre avec ce morceau un véritable témoignage de la condition de la femme noire dans le monde actuel. Assurément la pièce maîtresse de Gore et notre coup de cœur indéniable.
Le gore sentimental
Facette moins explicite de Lous, c’est sa sentimentalité qui est mise en avant sur Bon Acteur. Une lettre à l’amour envolé, destructeur et fait de jeux, de mensonges et d’espoir. Pour écrire cette délicieuse démonstration de vulnérabilité, c’est notamment Matthew Irons du groupe belge Puggy qui prêtera main forte à la chanteuse. L’occasion aussi pour elle de créer la surprise : là où on aurait pu s’attendre à un piano-voix déchirant traduisant cette romance écourtée, Lous décidé de composer un banger de trap–rap incendiaire en tout point. Un titre qu’elle avait dévoilé sur un live COLORS impressionnant, prouvant par la même occasion la prestance de son personnage et la finesse de son style.
Le gore relationnel
C’est finalement en mettant en lumière ses rapports systémiques que Lous fait briller Gore. Avec Téléphone sonne, l’un des morceaux les plus pop de l’opus, elle s’adonne à un mea culpa pour s’être renfermée dans une sorte d’ermitage focalisé sur sa carrière et ses projets. “Chaque fois qu’le téléphone sonne, j’raccroche et n’parle à personne. C’est à croire qu’j’suis devenue folle. Putain il faut qu’je dorme.” Nuits bâclées, rendez-vous manqués, proches mis·es de côté, ghosting incessant, elle délivre ici l’autre face de la réussite : les longues heures de travail et de remises en question qui pavent la voie du succès mais brûlent de nombreuses relations.
Rigolera bien qui rira le dernier
Les sourires faux sont souvent cachés
Rigolera bien qui rira le dernier
Les masques finiront par tomber
Messe basses, fruit d’une maestria de production évidente et d’un sens aigu de la topline, condense toute la magie de l’univers de Lous and the Yakuza. Empruntant à la musique pop sa fibre efficace et entêtante, le titre se montre aussi versatile dans les couches qui le composent, que ce soit par sa trap pimentée ou par ses sections de chœurs galvanisants “façon Stromae.” Une brillante réussite.
Attendue par beaucoup comme le prochain visage de la scène belge, Lous and the Yakuza cristallise un potentiel consolidé au fil des sorties et qui atteint ici son apogée. Marie-Pierra Kakoma a déversé ses joies et ses peines, ses blessures du passé et ses espoirs du futur pour constituer un premier album puissant, conciliant l’efficacité de la pop à la profondeur des genres alternatifs qui l’ont influencée. Gore résonne alors comme le portrait fidèle d’une femme noire et forte qui change ses cicatrices en armes, à l’origine d’une musique singulière et riche.
AGENDA :
- 19 Janvier : Botanique (Bruxelles – BE)
- 21 Janvier : L’Aéronef (Lille)
- 22 Janvier : Le 106 (Rouen)
- 23 Janvier : Théâtre Sénart (Lieusaint)
- 29 Janvier : Le Bikini (Ramonville)
- 30 Janvier : Paloma (Nîmes)
- 03 Février : L’Autre Canal (Nancy)
- 04 Février : La Laiterie (Strasbourg)
- 09 Février : La Cigale (Paris)
- 10 Février : Radiant-Bellevue (Caluire Et Cuire)
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.