Poussé sur le devant de la scène par la pépite qu’est son titre Les dauphins et son tout récent Prix Public Riffx aux iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel, St Graal a de quoi nous rendre curieux·ses. Avec des réseaux sociaux truffés d’extraits inédits et d’une belle dose d’autodérision, il nous tardait de rencontrer ce magicien nouvelle génération. Et quelle meilleure opportunité que de profiter de son concert au Weekend des Curiosités pour discuter rapport au numérique et à l’électronique, tout autant qu’influences musicales et intensions scéniques ? Après avoir surfé sur ses morceaux sous le soleil toulousain, nous nous sommes empressé·es de lui poser quelques questions.
La Vague Parallèle : Salut Léo, on se retrouve juste après ton concert au Weekend des Curiosités. Comment te sens-tu ?
Léo : Libéré ! Et content d’avoir pu jouer à Toulouse, c’est ma première fois ici.
LVP : Alors, comment est passé le feeling avec le public toulousain ?
Léo : Franchement très cool. On m’avait dit qu’ils kiffaient les basses, donc je me suis dit que j’allais mettre les morceaux avec les plus grosses basses. Ça n’a pas loupé, ils ont dansé et je suis allé danser avec eux dans la foule. C’était trop bien !
LVP : C’est la première fois qu’on se rencontre en interview pour La Vague Parallèle. Tu peux nous présenter un peu ton projet pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore ?
Léo : Je m’appelle St Graal. Je suis issu du milieu techno, house et chanson française. Ça donne un petit cocktail étrange de chanson française avec des beats un peu techno. Dans la réalité, je m’appelle Léo et je viens d’Angoulême. J’ai fait des études au conservatoire de Bordeaux pendant longtemps, j’ai fait de l’opéra et des études de jazz aussi. Quand j’étais au lycée, j’ai acheté l’ordinateur d’un pote sur lequel il y avait Ableton, et j’ai commencé à apprendre en autodidacte.
LVP : On sent que les choses s’accélèrent pour toi cette année, depuis la sortie de ton titre Les dauphins l’été dernier. Tu as enchaîné beaucoup de dates, notamment au Printemps de Bourges Crédit Mutuel, où tu as reçu le Prix Public Riffx iNOUïS. Comment est-ce que tu as vécu ces derniers mois ?
Léo : De manière intense. C’était très bon, et ça m’a redonné confiance en moi, de me dire que je pouvais toucher les gens, à travers des choses humoristiques comme sur les réseaux, mais aussi à travers des choses plus sérieuses qui me ressemblent. Les concerts où le public chante les paroles, c’est aussi la chose la plus fabuleuse que j’ai pu vivre de toute ma vie. Et ce prix aux iNOUïS du Printemps de Bourges, c’est un cadeau énorme. Ça signifie qu’il y a des gens qui me font confiance, et maintenant il ne reste plus qu’à tout donner ! Je dois régaler mon public, parce que sans public on n’est personne. Ou alors je reste chez moi et je me fais de la musique à moi-même tranquilou (rires).
LVP : Justement, tu es très présent sur les réseaux sur lesquels tu as développé une réelle communauté. C’est un moyen pour toi de connecter avec ton public ?
Léo : Bien sûr, je ne peux pas être présent sur les réseaux et prétendre faire de la musique sans jouer en concert et les voir en vrai. Ce ne serait pas logique. J’ai envie de rencontrer mon public. S’ils ont envie de me voir, tant mieux, s’ils me découvrent, c’est super, et s’ils n’aiment pas, c’est comme ça. C’est aussi rendre la monnaie de la pièce, car mon public m’a beaucoup apporté. J’essaie d’être proche d’eux à travers les réseaux.
LVP : C’est très honnête comme démarche.
Léo : Oui, j’essaie de rester ultra naturel, comme je suis dans la vraie vie. Je fais des blagues entre les morceaux. Quand on me parle du personnage que j’incarne sur scène, je n’en ai aucune idée. Honnêtement, j’aime faire des vannes et faire le clown, mais aussi être très sérieux et intense dans ce que je peux parfois dire. C’est ce que j’essaie de retranscrire en live finalement, avec des morceaux plus dark, et d’autres comme Les dauphins. Ça retranscrit une certaine schizophrénie un peu étrange.
LVP : J’ai l’impression qu’il y a une volonté de rendre tes textes très visuels : “faire du jet-ski sur des dauphins”, “faire rougir notre monde” ou encore “ton cœur est en titane”. Ça évoque des images. Ça te permet d’habiller ton univers ?
Léo : C’est ça. Les textes sont parfois métaphoriques, on a peut-être du mal à les comprendre, mais je préfère les rendre imagés pour que les gens se disent que « faire rougir son monde », ça peut être soit un peu sexuel, énervé, ou bien honteux, et avoir plusieurs sens. À travers ces métaphores, je veux retranscrire des soupçons d’émotions et de sentiments.
LVP : On en parlait tout à l’heure, on t’a découvert notamment avec Les dauphins, un morceau d’une efficacité incroyable. Tu postes souvent sur les réseaux de petites capsules, parfois drôles, d’autres touchantes, mais toujours efficaces. Aller droit au but, là où l’on fait mouche, c’est quelque chose qui entre en jeu quand tu composes ?
Léo : Pas vraiment, je me dis plutôt que les gens ont envie d’entendre de la musique parce que c’est ce que je fais. Donc dès la première seconde, c’est ce que je leur donne. Je ne passe pas par quatre chemins en essayant de me présenter à chaque fois. J’aime bien ce côté brut, laisser les gens découvrir dans le vif. Après, ils vont probablement juste tomber sur un idiot dans sa chambre en train de chanter (rires). Ça me permet aussi de savoir s’il y a un morceau qu’ils apprécient plus qu’un autre, comme Les dauphins par exemple, et de me dire que je peux le sortir dans ce cas.
LVP : Finalement, tu utilises tes réseaux pour savoir quel morceau sortir.
Léo : C’est un incubateur pour moi. Les gens sont un peu jury de ce que je fais. Avec Les dauphins, les gens ont sur-validé, je l’ai sorti et j’ai été sur-récompensé. Je ne pensais pas que ça pouvait aller aussi loin. Je suis ravi ! Si ça peut me permettre de pouvoir un jour vivre de ma musique, ce serait top.
LVP : J’ai le sentiment qu’il y a très souvent une touche de mélancolie dans tes titres, un accord par-ci par-là qui donne une certaine couleur à l’ensemble. Comment tu l’expliques ?
Léo : Quand j’ai commencé la chanson française, j’ai été énormément influencé par Thiéphaine, Bashung, Gainsbourg, ou encore en plus actuel Feu! Chatterton et Odezenne. Leur musique est souvent mélancolique, ou alors tristement belle. J’ai toujours baigné dedans, même à travers l’héritage que m’ont offert mes parents. Ça m’a construit. Aujourd’hui, j’aime rendre quelque chose de beau un peu mélancolique, comme un souvenir d’enfance passé qui pourrait donner des pincements au cœur. Même dans les chansons heureuses, j’aime bien avoir une mélodie un peu lancinante ou triste.
LVP : Ton dernier morceau en date, perdu, est un featuring avec Ajar. Comment s’est passée la collaboration ?
Léo : J’ai rencontré Gabriel (aka Ajar) sur les réseaux. Il m’a dit qu’il venait de Marseille et qu’il habitait à Paris depuis peu. À ce moment, j’organisais une soirée avec des concerts au Pop Up du Label à Paris, le St Graal & friends #2, et je lui ai proposé de jouer. Pour lui, ça a été super, c’était son premier concert à Paris. On s’est liés d’amitié, et il m’a un jour aidé sur un morceau. Le feeling a été instinctif. Je l’ai ensuite aidé sur un autre morceau et on a ressenti la même énergie. On s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose ensemble. En plus, mon manager l’a pris sous son aile. Maintenant, on est une famille de trois. Il y a quelque chose qui se crée avant même de parler musique. perdu, on l’a écrit à Poitiers, chez moi. Le morceau était plié en une journée. Ça a été très évident et rapide. C’est un compositeur de malade mais il ne le sait pas (rires), c’est ce qui est beau aussi. Il a un talent monstrueux, et je trouve que même si nos deux univers pourraient ne pas matcher avec nos différents backgrounds, ça a fait une belle fusion.
LVP : L’électronique est aussi très présent dans ta musique, ça fait partie de ton identité. Comment abordes-tu les machines par rapport aux instruments acoustiques ?
Léo : Je trouve ça formidable. Je comprends que beaucoup de gens puissent en avoir peur, et se dire que tout s’automatise. Mais ça permet à des personnes comme moi, qui ne sont pas scolaires et pour qui c’est très compliqué d’apprendre, d’y trouver quelque chose d’instinctif. Au final, plus on apprend et plus on essaie de nouvelles choses. Aujourd’hui, je connais des gammes sans les connaître, et je connais des accords qui vont sonner avec tel autre. Je ne sais pas forcément tout ce que je joue, mais je sais que ça sonne bien. C’est dans la tête en fait. Tous ces logiciels m’ont apporté énormément. Au départ, j’avais envie de tout faire tout seul. J’avais un groupe avant, mais ça ne se passait pas très bien parce qu’on n’avait pas les mêmes idées. Je peux être très buté quand je le veux (rires). Ça m’a permis de me dire que je voulais tout faire tout seul : batterie, basse, guitares, synthés, chants, chœurs. C’est là que j’ai voulu apprendre, en me disant que si ça n’allait pas, je ne pourrais m’en vouloir qu’à moi-même.
LVP : D’ailleurs, tu es aussi seul sur scène pour présenter tes morceaux. Est-ce que ça te rassure, ou bien c’est plutôt un défi ?
Léo : Au début, c’était plutôt une nécessité. Puis au fur et à mesure que mon projet s’est rodé, j’ai continué tout seul. Je prends le train tout seul, je vais dans la salle et suis tout seul dans mes loges, je vais à l’hôtel tout seul. Au final, je finis par me dire que c’est ma bulle à moi. J’emmène ma création tout seul et je l’expose moi-même. Je pense qu’un jour ce sera peut-être bien d’avoir un batteur sur scène, quelqu’un avec moi, et des techniciens. Mais pour le moment je le vis plutôt bien, c’est enrichissant. C’est simplement parfois compliqué à retranscrire aux gens avec qui on vit.
LVP : Ça représente quoi pour toi de jouer au Weekend des Curiosités ?
Léo : Une nouveauté, c’est mon premier festival dans le sud. Ça me permet aussi de rencontrer des gens du milieu, comme Bleu Citron, ou encore tous les artistes qui jouent ici. Je trouve ce festival bienveillant.
LVP : Pour finir, quel est ton coup de cœur dans la programmation du festival ?
Léo : Honnêtement, November Ultra m’a fait quelque chose. Je la suis depuis longtemps. Elle est très touchante et a une voix incroyable.
LVP : Et elle fait des blagues comme toi entre les morceaux !
Léo : Oui ! C’était la première fois que je la voyais en live, et j’étais le premier à rire dans le public. Sinon j’ai aussi vraiment hâte de voir Jacques, et de revoir Lewis OfMan.
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.